Insurgés ils le sont: après les paysans dans l’excellent et poignant documentaire Tous au Larzac, c’est au tour du monde ouvrier de crier sa révolte contre une mondialisation incontrôlée. Et le réalisateur haut-savoyard Gilles Perret (né à Mieussy) sait de quoi il parle: lui-même fils d’ouvrier, un de ses précédents documentaires évoquait déjà la domination de la finance dans l’économie (Ma mondialisation, 2006).

C’est dans un des berceaux de la lutte ouvrière que nous emmène d’abord Gilles Perret, à Cluses plus précisément où, en 1904, une grève finie dans un bain de sang: les patrons tirent sur les grévistes. Malgré les avancées sociales à l’initiative du député savoyard Ambroise Croizat dans la France d’après-guerre, les ouvriers sont peut-être devenus les plus mal-lotis de notre société.

Et ce sont des anciens bâtisseurs qui l’affirment: le réalisateur Gilles Perret donne la parole, libre, poignante et lucide à un groupe d’hommes et de femmes ouvriers d’hier, d’aujourd’hui et de demain: des retraités des aciéries d’Ugine, à des anciens maçons du barrage de Roselend, à un prêtre-ouvrier qui œuvrait sur les chantiers des stations de ski… Tous ces témoignages sont accompagnés, à travers la vision sociologique des deux historiens Michel Etievent et Mino Faïta, d’enseignements pour mieux comprendre la mutation d’un tissu industriel délaissé.

Grâce à des images d’archives dénichées dans les fonds de la Cinémathèque des Pays de Savoie et de l’Ain et bercée par une musique de la compositrice Laurie Derouf, De Mémoires d’ouvriers est indéniablement une grande leçon de courage et d’espoir d’un monde dont on ne parle jamais (ou presque). Comme chantait Léo Ferré à propos des anarchistes: « Y’en a pas un sur cent, et pourtant ils existent ». On pourrait le chanter pour ces bâtisseurs méprisés et sous-représentés (1% des députés proviennent du monde ouvrier alors qu’ils représentent 6 millions de personnes…) Gilles Perret ainsi que toutes ces femmes et ces hommes nous prouvent qu’ils existent encore bel et bien.