Adresse: 22-28 avenue de la Motte-Picquet à Paris (VIIè arrondissement)
Nombre de salles: 1
En ce mois de décembre 1913, deux grands cinémas sont inaugurés dans la capitale : le Lutetia-Wagram et le Mozart-Palace. Un troisième cinéma, plus modeste, ouvre ses portes le 12 du même mois aux numéros 22-28 avenue de la Motte-Picquet : le Ciné Magic-Palace. L’inauguration du nouvel établissement a lieu – déjà à cette époque – dans un contexte de fléchissement des recettes des cinémas parisiens. La baisse de la fréquentation des salles est attribuée à une météo déplorable qui incite alors le public à rester chez lui. Cependant, à la même période, les théâtres parisiens engrangent des recettes exceptionnelles…
Dans son indispensable ouvrage Paris-Palaces ou le temps des cinémas (1894-1918) aux CNRS Editions (1995), Jean-Jacques Meusy évoque l’ouverture de cette salle de 730 places à l’angle de la rue Duvivier : « Son propriétaire, le comte de Viforano a fait appel à l’architecte Henri Preslier pour sa construction. On entre par un grand porche qui englobe trois arcades. Après un petit vestibule triangulaire, une batterie de portes vous introduit dans la salle par la droite de la scène (une disposition peu heureuse mais nullement exceptionnelle). Celle-ci est sensiblement carrée et la cabine se trouve au fond à l’opposé de l’entrée ».
Jean-Jacques Meusy poursuit sa présentation avec le programme d’ouverture : « L’ouverture a lieu le 12 décembre 1913 avec La Marquise de Trevenec, un film Gaumont tiré d’un roman populaire de Pierre Sales et réalisé par Henri Frescourt ».
Comment cet établissement cinématographique va-t-il être accueilli dans ce quartier bourgeois du VIIè arrondissement, alors que bon nombre considère le cinéma – encore en 1913 et malgré ses presque vingt ans d’existence – comme une attraction populaire ?
Jean-Jacques Meusy répond à cette interrogation : « Bien que le quartier paraisse un peu guindé et triste, avec la proximité de vastes édifices officiels, l’Ecole Militaire et l’Hôtel des Invalides, le Ciné Magic trouve une clientèle dans le quartier du Gros-Caillou (…) La concurrence n’est pas très forte, limitée au Cinéma Bosquet (83, avenue Bosquet) et momentanément, à l’établissement de Lucien Vivès. Le Ciné Magic poursuit d’ailleurs son chemin sous la même direction au-delà de la Seconde Guerre Mondiale donnant lui aussi un bel exemple de stabilité ».
Le système d’aération des salles de cinéma doit être de nature à assurer les conditions hygiéniques règlementaires, au risque de voir rejeté un permis de construire. Comme le souligne Shahram Abadie dans son ouvrage Architecture des salles obscures, Paris 1907-1939 aux Editions AFRHC, des dérogations peuvent être accordées par la Commission supérieure de voirie. Ainsi, sans devoir décrire en détail le système de ventilation prévu, « Le Comte de Viforano se voit accorder cette tolérance (pour le Ciné Magic) simplement en prenant l’engagement écrit de « renouveler une fois et demie par heure le cube d’air de la salle de spectacle par tous moyens appropriés et nécessaires à cela ». Shahram Abadie s’interroge : « Le statut du Comte a-t-il joué en sa faveur ? »
Le cinéma de l’avenue de la Motte-Picquet offre une soirée à 20h30, deux matinées le dimanche et une le jeudi. Les premiers programmes sont composés de ciné-romans à succès comme Fantômas de Louis Feuillade ou bien Les Mystères de New York de Louis Gasnier et George B. Seitz à partir du 3 décembre 1915.
Pour fidéliser la clientèle, les producteurs développent les sérials – films à épisodes – qui envahissent les écrans. Le Ciné Magic propose Le Masque aux dents blanches, un film américain en 16 épisodes de George B. Seitz et Edward Jose à partir du 10 novembre 1916.
Suivent les sérials produits par Gaumont et réalisés par Louis Feuillade : le mystérieux Judex à partir du 6 avril 1918, Tih Minh en 12 chapitres à partir du 7 février 1919 ou bien Barrabas en 12 épisodes à partir du 5 mars 1920.
Dans les programmes de ces années 1910, on peut y voir également une série de grands films artistiques issus des studios Gaumont comme L’Etrange interview le 7 mars 1914 ou bien venant des studios Pathé comme Blessure d’amour avec Gabrielle Robinne le 24 mars 1916.
Ci-dessus: La Dame de Monsoreau de René Le Somptier en 1914.
Le 20 octobre 1916, la presse annonce le programme du Ciné Magic-Palace : « Tous les Parisiens élégants, fidèles habitués de cette coquette et confortable salle de l’avenue de la Motte-Picquet, qui ont applaudi La Faute d’une autre, la première partie du film sensationnel tiré du drame célèbre Les Deux gosses, iront cette semaine admirer la deuxième et dernière partie, plus pathétique encore que la première : Fanfan et Caudinet. Charlot pâtissier fera rire tout le monde avec sa bouffonnerie inimitable. Au programme encore les meilleurs films d’actualité et une attraction sensationnelle ».
A l’affiche du Ciné Magic le 6 avril 1917, on y trouve la production S.C.A.G.L. (Société Cinématographique des Auteurs et Gens de Lettres) Le Chemineau réalisée par Henry Krauss d’après Jean Richepin. Suivent des films majeurs du cinéma muet comme Bouclette de Louis Mercanton et René Hervil le 19 décembre 1919, la production américaine La Petite chocolaterie d’Albert Capellani d’après la pièce de Paul Gavault le 19 mars 1920, Le Pauvre amour de D.W. Griffith avec Lillian Gish le 25 mars 1921, Robin des Bois d’Allan Dwan avec Douglas Fairbanks et Wallace Beery le 14 décembre 1923, le film de cape et d’épée Scaramouche de Rex Ingram avec Ramon Novarro le 19 décembre 1924, Sherlock Junior de et avec Buster Keaton le 16 janvier 1925, le film historique Le Miracle des loups de Raymond Bernard le 24 avril 1925, Feu Mathias Pascal de Marcel L’Herbier avec Ivan Mosjoukine le 12 février 1926 ou bien le mélodrame distribué par Pathé Consortium Cinéma L’Occident de Henri Fescourt le 28 décembre 1928.
Ci-dessus: Robin des Bois d’Allan Dwan le 14 décembre 1923.
Tous ces programmes sont accompagnés par des courts métrages mettant en scène des personnages burlesques comme Bout de Zan (interprété par René Poyen), Onésime (interprété par Ernest Bourbon), Max Linder, Fatty (interprété par Roscoe Arbuckle) et bien évidemment Charlot. Suivent les actualités du Pathé-Journal puis les attractions sur scène.
Les « films parlés » arrivent enfin sur l’écran du Ciné Magic qui s’équipe en 1930 du système sonore RCA Photophone 1930. A l’affiche de la salle nouvellement sonorisée, la production Jacques Haïk Le Mystère de la villa rose de Louis Mercanton et René Hervil le 24 octobre 1930 et la production Pathé-Natan Accusée, levez-vous ! – le premier film parlant de Maurice Tourneur -, avec Gaby Morlay le 26 décembre 1930.
Durant les années 1930, le Ciné Magic-Palace garde son statut de salle de quartier avec des films en sortie générale. A partir de 1935, le double programme s’installe sur son écran qui, pour se différencier des cinémas Magic-City et Magic-Pathé, s’affiche dans les programmes de la presse comme Magic-Viforano.
Parmi les programmes, citons Le Mystère de la chambre jaune de Marcel L’Herbier à l’affiche la semaine du 27 mars 1931 ou Le Congrès s’amuse tourné en double version dans les studios de la UFA à Berlin par Erik Charell et Jean Boyer avec Lilian Harvey le 4 mars 1932. Suivent Au nom de la loi de Maurice Tourneur avec Marcelle Chantal et Gabriel Gabrio le 14 octobre 1932, Mata Hari de George Fitzmaurice avec Greta Garbo et Ramon Novarro le 4 août 1933 ou encore la production Tobis Les Aventures du roi Pausole d’Alexis Granowsky d’après Pierre Louÿs avec Josette Day et André Berley le 16 mars 1934.
Ci-dessus: Quick d’André Daven et Robert Siodmak.
Ci-dessus: La Bataille de Nicolas Farkas et Viktor Tourjansky le 28 septembre 1934.
Début 1934, il est mentionné que, uniquement le lundi, les chiens sont admis au Ciné Magic-Palace ! A partir du 9 mai de la même année, le Magic Motte-Picquet – sa nouvelle enseigne – propose le document tourné par Pathé-Natan lors du Gala de la Madelon, le samedi précédent. Les spectateurs peuvent voir sur l’écran l’entrée des Madelons, leur présentation au public, la proclamation de l’élue et quelques-unes des concurrentes du concours de costumes régionaux. Le film présenté est choisi parmi ceux des Actualités féminines que propose Pathé-Natan dans de nombreuses salles.
En 1936, la société Les Films Sonores Tobis organise un grand concours auprès des exploitants pour la sortie de La Kermesse héroïque. Il s’agit de récompenser la plus belle façade de cinéma réalisée pour le film de Jacques Feyder. Le premier prix revient à M. de Viforano pour le Magic Motte-Picquet qui reçoit en dotation la somme de 1000 francs du distributeur. Le second prix d’un montant de 500 francs revient à Mme Berheim pour le Royal de Nogent-sur-Marne, ex-aequo avec M. Lallemand pour l’Eden de Vincennes. La Kermesse héroïque s’affiche sur la façade du Magic la semaine du 21 février 1936.
Ci-dessus: la façade récompensée du Magic avec à l’affiche La Kermesse héroïque de Jacques Feyder le 21 février 1936.
Ci-dessus: Ramuntcho de René Barberis le 29 avril 1938.
Ci-dessus: Adrienne Lecouvreur de Marcel L’Herbier le 5 février 1939.
Parmi les films proposés dans la deuxième partie des années 1930, citons Mayerling d’Anatole Litvak avec Charles Boyer et Danielle Darrieux le 27 mars 1936, Anna Karénine de Clarence Brown avec Greta Garbo le 15 janvier 1937, Ramuntcho de René Barberis d’après Pierre Loti avec Louis Jouvet le 29 avril 1938 ou bien Adrienne Lecouvreur de Marcel L’Herbier avec Pierre Fresnay et Yvonne Printemps le 5 février 1939.
Durant la sombre période de l’Occupation, le Magic Motte-Picquet reste ouvert et accueille les parisiens friands de sorties. Dans la salle de quartier, on peut y découvrir la comédie Mon Curé chez les riches de Jean Boyer la semaine du 9 octobre 1940, Le Président Haudecœur de Jean Dréville produit par Les Films Marcel Pagnol avec Harry Baur dans le rôle-titre le 27 novembre 1940 ou Les Cinq sous de Lavarède de Maurice Cammage avec Fernandel le 25 décembre 1940. Suivent L’Homme qui cherche la vérité d’Alexander Esway avec Raimu le 19 février 1941, la production allemande Le Maître de poste de Gustav Ucicky le 21 mai 1941, Sans lendemain de Max Ophüls avec Edwige Feuillère le 12 novembre 1941 ou encore la production Pathé Le Briseur de chaînes de Jacques-Daniel Norman avec Pierre Fresnay le 15 avril 1942.
Ci-dessus: Le Voyageur de la Toussaint de Louis Daquin le 2 juin 1943.
Le Magic accueille le 17 février 1943 l’un des plus grands succès du cinéma sous l’Occupation, Le Voile bleu de Jean Stelli produit par C.G.C. avec Gaby Morlay et Elvire Popesco. Suivent le premier film européen en couleur La Ville dorée de Veit Harlan le 24 novembre 1943 ainsi que deux productions Continental Films : Le Val d’enfer de Maurice Tourneur le 5 avril 1944 et surtout le 19 juillet 1944 Premier rendez-vous d’Henri Decoin, un autre grand succès de cette période, avec Danielle Darrieux et Louis Jourdan.
Au lendemain de la Libération, le Magic Motte-Picquet poursuit sa carrière cinématographique. Il y accueille toutefois, le 2 juillet 1945, la réunion constitutive de l’Amicale des Déportés Politiques et de la Résistance de Buchenwald. M. Christian Pineau, ministre du Ravitaillement, « désireux de marquer par sa présence sa fidélité aux anciens déportés, ses camarades » assiste à cette assemblée comme le confirme le quotidien La France Libre daté du lendemain. Et de préciser que « Le Colonel Manhès, qui avait organisé dans l’enfer du camp de Buchenwald une association clandestine, préside l’Amicale et lui propose des statuts qui ont été discutés dans une atmosphère de camaraderie ».
Ci-dessus: Les Plus Belles Années de notre vie de William Wyler en janvier 1948.
Dans la foulée, le Magic affiche des œuvres comme le somptueux Les Dames du Bois de Boulogne de Robert Bresson la semaine du 28 novembre 1945, Assurance sur la mort de Billy Wilder le 4 décembre 1946, la superproduction Universal en Technicolor Les Mille et une nuits de John Rawlins avec Maria Montez et Sabu le 25 décembre 1946, Le Roman de Mildred Pierce de Michael Curtiz avec Joan Crawford le 17 septembre 1947 ou Dumbo de Walt Disney le 17 mars 1948.
On peut y découvrir également Le Voleur de bicyclette de Vittorio De Sica le 4 janvier 1950, Une Histoire d’amour de Guy Lefranc – le dernier rôle de Louis Jouvet – le 27 février 1952, La Porte de l’enfer de Teinosuke Kinugasa – Grand Prix au festival de Cannes 1954 – le 18 mai 1953 ou bien Jules César de Joseph L. Mankiewicz le 2 juin 1954.
Le CinemaScope débarque au Magic Ciné avec la production 20th Century Fox Tempête sous la mer de Robert D. Webb la semaine du 2 février 1955. Pour cette année 1955, le studio américain, adepte du « block-booking » – un contrat annuel signé avec l’exploitant pour les films du line-up – envoie au Magic des films comme Rivière sans retour d’Otto Preminger la semaine du 23 mars, La Fontaine des amours de Jean Negulesco celle du 30 mars, le péplum La Tunique d’Henry Koster le 6 avril et sa suite Les Gladiateurs de Delmer Daves le 4 mai, Capitaine King de Henry King le 25 mai ou bien Le Jardin du diable de Henry Hathaway le 6 juillet.
Ci-dessus: Michel Strogoff de Carmine Gallone le 10 mars 1957.
Cinéma de quartier par excellence, le Magic poursuit sa programmation en sortie générale de Babette s’en va-t-en guerre de Christian-Jaque avec Brigitte Bardot le 17 février 1960, La Douceur de vivre – sorti à l’époque sous son titre français – de Federico Fellini avec Marcello Mastroianni le 8 mars 1961, Un Pyjama pour deux de Delbert Mann le 27 juin 1962, Lawrence d’Arabie de David Lean le 7 février 1964 ou bien le musical La Mélodie du bonheur de Robert Wise le 22 juin 1966.
Après 54 ans de bons et loyaux services, l’aventure du Magic Motte-Picquet se termine le dimanche 31 décembre 1967 au soir après une ultime projection d’Indomptable Angélique, le film « sulfureux » et interdit au moins de 13 ans de Bernard Borderie, avec dans le rôle-titre la superbe Michèle Mercier élevée au rang de sex-symbol.
Ci-dessus: Indomptable Angélique de Bernard Borderie, le dernier film projeté au Ciné Magic.
Textes: Thierry Béné.
Documents: Conseil Départemental des Hauts de Seine, La Cinématographie française, Gallica-BnF, France-Soir.
Très sympathique ces évocations