Adresse: 67 boulevard Saint-Marcel à Paris (13e arrondissement)
Nombre de salles: 1 (2 600 places à l’ouverture, 1 200 places dans la salle reconstruite)
Après la grande guerre, le circuit de salles Lutétia-Fournier ouvre à Paris un certain nombre d’établissements de grande capacité comme le Royal-Wagram (17e), le Lyon-Palace (12e), le Capitole (18e), le Métropole (18e) et, dans le 13e arrondissement, le Saint-Marcel.
En 1926, Paul Fournier dirige plus de 90 salles de cinéma, tant à Paris qu’en province. Cette année-là, il détient, entre autres, le Lutétia-Wagram (17e), le Batignolles (17e), le Louxor (10e), le Max Linder (9e), le Magique Ciné-Théâtre (15e), le Belleville-Palace (19e) et le Saint-Marcel.
Ci-dessus: le programme des cinémas Lutétia la semaine du 3 novembre 1922.
Ci-dessus: vues de la salle originelle du Saint-Marcel.
C’est au lendemain de la Grande Guerre qu’est édifié le Saint-Marcel. Son architecte – à ce jour anonyme – conçoit une salle en forme de quasi éventail. Dotée à l’origine d’une capacité de 2 600 places, elle présente un immense parterre et un balcon dont la particularité est de posséder de longues galeries latérales qui le prolongent.
Les programmes des premières années d’exploitation de la salle mêlent petits sujets et prestations scéniques, attirant un public très populaire.
Dès le début des années 1920, les ciné-romans déferlent sur les écrans. Composés de nombreux épisodes à la manière des séries d’aujourd’hui, leur objectif est avant tout de fidéliser un public régulier qui revient toutes les semaines pour connaître la suite des récits d’aventures.
Le 28 janvier 1921, Les Deux gamines réalisé par Louis Feuillade en 12 épisodes est annoncé à l’affiche du Saint-Marcel. Le 7 octobre 1922, ce sont Les Mystères de Paris, réalisé par Charles Burguet en 12 épisodes d’après l’œuvre d’Eugène Sue, qui y occupent l’écran. Suivent le 29 décembre 1922 20 ans après réalisé en 10 épisodes par Henri Diamant-Berger et le 20 février 1925 Surcouf réalisé en 8 épisodes par Luitz-Morat, dans lequel Antonin Artaud joue le rôle d’un traître.
Durant ces mêmes années 1920, les longs métrages supplantent les serials. Parmi ceux proposés au Saint-Marcel, citons Sherlock Junior Détective (Buster Keaton) la semaine du 16 janvier 1925, Le Miracle des loups (Raymond Bernard) celle du 24 avril 1925, Le Pèlerin (Charles Chaplin) celle du 10 février 1928, Metropolis (Fritz Lang) le 9 mars 1928 ou bien Les Espions du même réalisateur le 29 mars 1929.
Chaque semaine, le Saint-Marcel propose le « Pathé-Revue » composé d’actualités cinématographiques et accompagné de nombreuses attractions parmi lesquelles des artistes célèbres comme le chanteur Félix Mayol, la semaine du 10 février 1928 et le comique Gaston Ouvrard les semaines du 9 mars et du 4 mai 1928.
Le circuit Lutetia-Fournier racheté par Pathé-Natan.
Les salles du groupement Lutétia-Fournier sont prises en gérance dès le 24 avril 1929 par la Société de Gérance des Cinémas Pathé (S.G.C.P.) créée le 12 avril 1929 par Bernard Natan, l’homme d’affaire venant de prendre le contrôle de Pathé-Cinéma. L’objectif pour l’entrepreneur étant de développer la branche exploitation de Pathé, le S.G.C.P. devient rapidement propriétaire des salles du circuit Fournier-Lutétia. Le 28 juin 1930, la somme de 92,5 millions de francs est déboursée pour acquérir le circuit de Paul Fournier.
Le Saint-Marcel Pathé est alors intégré au groupement de salles parisiennes de seconde exclusivité de la S.G.C.P. avec le Louxor (10e), le Mozart (16e), le Métropole (18e), le Lutétia (17e), le Royal (17e)…
Ci-dessus: le coq Pathé Cinéma (1929).
Parmi un des premiers cinémas de France à être sonorisé, le Saint-Marcel subit des travaux sous la direction d’Eugène Bruynell, l’architecte de Pathé qui concevra les prestigieux Ermitage et Marignan sur les Champs-Elysées.
L’architecte conserve les galeries latérales de la salle. « L’essentiel des travaux, réalisés sous la conduite d’Eugène Bruynell en un temps record (entre le 2 août et le 29 septembre 1929), consiste à alléger la décoration » relate Éléonore Marantz dans son article L’Architecture des cinémas en France pendant les années 30 : captation et mise à l’épreuve du concept de modernité.
La salle propose en sortie générale les films Pathé-Natan à l’instar des Trois Masques (André Hugon) « Film français 100% parlant » comme le vante la publicité, la semaine du 31 janvier 1930, L’Arlésienne (Jacques de Baroncelli) celle du 7 novembre 1930, Accusée levez-vous (Maurice Tourneur) celle du 19 décembre 1930, Ariane, jeune fille russe (Paul Czinner) avec Gaby Morlay, le 28 avril 1932, la superproduction Les Croix de bois (Raymond Bernard) le 28 octobre 1932, Les Misérables (Raymond Bernard) dont les trois parties sont présentées les 30 mars, 6 et 13 avril 1934 ou bien Golgotha (Julien Duvivier) le 6 septembre 1935. La souris de Walt Disney Mickey apparaît en complément de programme dès le début des années 1930 et reviendra régulièrement.
Ci-dessus: Ma cousine de Varsovie (Carmine Gallone) la semaine du 29 mai 1931.
De nombreuses productions d’autres sociétés occupent l’écran du Saint-Marcel Pathé durant ces années 1930 comme À nous la liberté (René Clair) la semaine du 3 juin 1932, M le maudit (Fritz Lang) celle du 14 octobre 1932, 14 juillet (René Clair) celle du 21 avril 1933 ou King Kong (Merian C. Cooper et Ernest B. Schoedsack) le 23 mars 1934.
Suivent New-York-Miami (Frank Capra) le 4 janvier 1935, La Kermesse héroïque (Jacques Feyder) le 21 février 1936 avec une reprise le 4 septembre 1936, Regain (Marcel Pagnol) le 16 février 1938 ou bien l’incontournable Blanche-Neige et les sept nains (Walt Disney) le 14 décembre 1938 et le 23 août 1939.
Ci-dessus: Courrier Sud (Pierre Billon) la semaine du 19 mars 1937.
Le Saint-Marcel Pathé se distingue des salles concurrentes en proposant, durant les attractions avant le « grand film », de nombreuses vedettes se produisant sur sa scène comme Lys Gauty la semaine du 15 décembre 1933, Tino Rossi les semaines du 8 mars 1935 et du 29 mai 1936, « l’hirondelle des faubourgs » Fréhel celle du 17 janvier 1936, Mireille celle du 3 avril 1936, Jean Lumière celle du 1er mai 1936, Lucienne Boyer celle du 15 mai 1936 ou bien le chanteur Reda Caire celle du 16 octobre 1936. Très populaires à l’époque, ces artistes accompagnent le film à chaque séance, durant toute la semaine (une séance tous les soirs à 20h 30 et une matinée le jeudi, dimanche et fêtes à 14h30).
A la déclaration de la guerre, le Saint-Marcel-Pathé ne ferme que quelques jours. Du fait de la mobilisation générale, il est probable que les circuits aient pu disposer de davantage de personnel que les indépendants qui vont rencontrer des difficultés à maintenir leur activité.
Le Saint-Marcel Pathé en temps de guerre.
Ainsi, dès le 20 septembre 1939, le cinéma affiche un double programme composé de deux anciennes productions Pathé-Natan, Cette vielle canaille (Anatole Litvak) et L’Âne de Buridan (Alexandre Ryder). Lorsque les troupes allemandes entrent dans Paris, Pension Mimosas (Jacques Feyder) y est à l’affiche. Le Saint-Marcel Pathé obtient l’autorisation de rouvrir ses portes le 18 septembre 1940, avec Dernière jeunesse (Jeff Musso), une co-production franco-italienne de la Scalera Film interprétée par Raimu.
Durant l’Occupation, à l’instar des autres salles du circuit Pathé, le Saint-Marcel programme des films en sortie générale comme Paradis perdu (Abel Gance) la semaine du 30 avril 1941, Battement de cœur (Henri Decoin) celle du 15 octobre 1941, Romance de Paris (Jean Boyer) le 18 février 1942, La Symphonie fantastique (Christian-Jaque) le 28 octobre 1942, Pontcarral Colonel d’Empire (Jean Delannoy) le 26 mai 1943 ou bien Le Corbeau (Henri-Georges Clouzot) le 15 mars 1944.
Un arrêté du 22 juillet 1944 du ministère de la Production industrielle ordonne la fermeture des cinémas de Paris, Seine, Seine et Oise et Seine et Marne. Le Saint-Marcel-Pathé, à la Libération, rouvre ses portes le 18 octobre 1944 avec à l’affiche La collection Ménard réalisé par Bernard Roland et Léo Joannon et interprété par Lucien Baroux et Suzy Prim.
L’après-guerre est marqué par diverses tentatives de redémarrage de l’activité cinématographique alors que les productions américaines commencent à inonder le marché.
Certains films venus d’outre-Atlantique et ayant commencé leur carrière avant le conflit connaissent une exploitation intensive comme Elle et Lui (Leo McCarey) à l’affiche du Saint-Marcel la semaine du 14 février 1945, Quasimodo (William Dieterle) celle du 28 février 1945 ou bien La Baronne de minuit (Mitchell Leisen) le 15 août 1945.
L’accord Blum-Byrnes signé le 28 mai 1946 permet la libre pénétration des films américains en France et suscite une vive réprobation chez les professionnels. Productions américaines et françaises, en particulier les productions Pathé, occupent l’écran du Saint-Marcel comme Les Enfants du Paradis (Marcel Carné) la semaine du 6 février 1946, La Bataille du rail (René Clément) celle du 14 août 1946, La Symphonie pastorale (Jean Delannoy) le 11 décembre 1946, Soupçons (Alfred Hitchcock) le 12 février 1947 ou l’adaptation de Georges Simenon Panique de Julien Duvivier le 23 avril 1947.
Ci-dessus: Les Portes de la nuit (Marcel Carné) la semaine du 19 mars 1947.
Suivent Rebecca (Alfred Hitchcock) le 4 février 1948, Bambi (Walt Disney) le 27 octobre 1948, Duel au soleil (King Vidor) le 2 mars 1949, Le Troisième homme (Carol Reed) le 1er février 1950 ou bien l’étonnant Olivia (Jacqueline Audry) le 14 novembre 1951.
La reconstruction du Saint-Marcel Pathé.
En 1954, Pathé entreprend une vaste rénovation de ses théâtres cinématographiques. Le Saint-Marcel fait partie du projet qui prévoit la destruction de la salle et la construction d’appartements dans l’immeuble qui héberge le cinéma.
Ci-dessus: vues de la nouvelle salle (1954).
Ci-dessus: cabine de projection (1954).
Œuvre des architectes Cavalle (Milan) et Klein (Paris), le nouveau Saint-Marcel comporte 1 200 fauteuils confortables situés dans un volume plus réduit qu’auparavant. La revue Le Film français en date du 12 novembre 1954 commente le nouveau bâtiment : « Désormais c’est dans le cadre d’un immeuble tout neuf qu’est placé le Saint-Marcel. Du boulevard, l’immense façade de glace, vitrine transparente, ouvre sur un spacieux hall d’accès en staff blanc. Des coupoles minuscules dispersent comme autant d’étoiles, par les éclairages plafonniers. De grandes vitrines servent à la présentation des affiches de programmes ».
Les caractéristiques de la salle sont évoquées dans ce même article : « La salle a été traitée dans des tons très agréables qui se fondent harmonieusement : murs blancs ivoire ou gris perle à la cimaise, tapis du sol vert amande, fauteuils du même vert amande velouté. Les soubassements sont d’un gris lilas très doux ».
Le Saint-Marcel est conçu sur deux niveaux, un parterre installé légèrement au-dessous du niveau du boulevard et une corbeille « à laquelle on accède par quelques marches, présente deux avancée et une rampe tubulaire entièrement constituée par des plaques de verre ».
L’écran, avec des caches, permet la projection des films de toutes proportions, depuis le 1 x 1,33 normal, jusqu’au standard large international 1 x 2,55 et 1 x 2,30 du CinemaScope, nouvellement arrivé en France. La cabine comprend trois projecteurs RCA LG 220, modèle alors nouveau.
L’expérience du « Télé-Cinéma ».
L’innovation du Saint-Marcel Pathé est ailleurs : doté d’un équipement permanent pour la réception et la projection sur son grand écran des programmes de télévision, il est le premier « Télé-Cinéma » de France.
Ci-dessus: au centre du balcon, le projecteur de télévision (1954).
Cet ancêtre des contenus alternatifs représente en 1954 une des techniques les plus modernes destinée à lutter contre la concurrence menaçante de la télévision à domicile, encore peu répandue en 1954, mais douée d’un avenir certain. Au centre de la corbeille du premier rang, le projecteur de télévision est placé à 14 mètres de l’écran protégé par des plaques de verre épais. À proximité de la cabine de projection, une seconde cabine est installée, comprenant tout le dispositif de contrôle et de commande pour la réception des émissions de télévision et leur projection sur grand écran avec une image de 6,50 mètres de large sur 4 mètres de haut.
Pathé avait déjà testé ce dispositif, mais de manière provisoire, au prestigieux Marignan des Champs-Élysées pour le couronnement de la reine d’Angleterre le 2 juin 1953.
Le vendredi 5 novembre 1954, la firme au coq convie toutes les personnalités de l’industrie à inaugurer son nouvel établissement. Grâce à une caméra de télévision située dans le hall du Saint-Marcel, les spectateurs de cette soirée de gala peuvent voir les personnalités évoluer dans le hall du cinéma et de suivre les interviews de celles-ci par Pierre Sabbagh.
Ci-dessus: installations de réception de la télévision (1954).
Ouvert au public avant son inauguration officielle, les spectateurs découvrent la salle dès le 20 octobre 1954 avec le film d’Yves Allégret Mam’zelle Nitouche avec Fernandel en vedette, dans son premier film en couleurs.
Comme les autres salles de quartier de Pathé, le Saint-Marcel propose comme auparavant les films produits et/ou distribués par Pathé en sortie générale, à l’instar de Cadet Rousselle (André Hunebelle) la semaine du 22 décembre 1954, Obsession (Jean Delannoy) celle du 2 février 1955, Série noire (Pierre Foucaud) celle du 4 mai 1955, Du rififi chez les hommes (Jules Dassin) celle du 28 septembre 1955 ou Les Héros sont fatigués (Yves Ciampi) celle du 15 février 1956.
Suivent Voici le temps des assassins (Julien Duvivier) le 17 octobre 1956, Typhon sur Nagasaki (Yves Ciampi) le 17 avril 1957, Les Misérables (Jean-Paul Le Chanois) présenté en deux époques, respectivement les semaines du 29 octobre 1958 et du 5 novembre 1958, Marie-Octobre (Julien Duvivier) le 28 octobre 1959, La Vache et le prisonnier (Henri Verneuil) le 30 mars 1960 ou bien La Douceur de vivre (Federico Fellini) le 8 mars 1961. Rappelons que dans ces salles de quartier, quel que soit le succès du film, celui-ci ne reste qu’une semaine à l’affiche.
Ci-dessus: Michel Strogoff (Carmine Gallone) la semaine du 6 mars 1957.
Ci-dessus: Classe tous risques (Claude Sautet) la semaine du 19 octobre 1960.
Durant les années 1960, un grand nombre de cinémas de quartier ferment définitivement leurs portes. En cause, une chute drastique de la fréquentation. C’est le cas du Palais des Fêtes (3e), du Roxy (9e), du Capitole (10e), du Lecourbe-Palace (15e), du Saint-Didier (16e), du Legendre (17e), de l’Ornano-Palace (18e)… et de tant d’autres.
Le Saint-Marcel affiche des films très populaires, toujours en sortie générale, mais la durée des exclusivités et des secondes visions est beaucoup plus longue dans les années 1960 qu’auparavant. Parmi les films proposés, Don Camillo Monseigneur (Carmine Gallone) la semaine du 26 avril 1962, Le Tonnerre de Dieu (Denys de la Patellière) celle du 29 décembre 1965, Les Grandes gueules (Robert Enrico) le 12 janvier 1966, Fantômas se déchaine (André Hunebelle), le 16 mars 1966, 20 000 Lieues sous les mers (Richard Fleischer) le 18 mai 1966, Mary Poppins (Robert Stevenson) le 31 août 1966, La Bible (John Huston) le 1er mars 1967 ou bien Les Grandes vacances (Jean Girault) le 21 février 1968 (exceptionnellement pour 15 jours).
Ci-dessus: Don Camillo Monseigneur (Carmine Gallone) la semaine du 25 avril 1962.
Durant ces mêmes années 1960, le cinéma du boulevard Saint-Marcel est permanent le dimanche et propose une soirée tous les soirs à 21 heures, excepté le samedi où deux séances sont proposées à 20 h et 22h. Trois matinées fixes sont proposées le lundi, le jeudi et le samedi.
Un cinéma de quartier ferme ses portes.
A l’heure où les complexes cinématographiques ne sont pas encore envisagés par les exploitants, des grandes salles comme le Saint-Marcel deviennent difficilement exploitables. Le cinéma ferme définitivement ses portes le 5 juin 1968 après une dernière projection du film La CIA mène la danse réalisé par Marco Vicario qui accueille 1 410 derniers spectateurs.
Un supermarché occupe aujourd’hui l’emplacement du cinéma. A quelques encablures, l’Escurial Panorama, le Pathé Fauvettes, l’UGC Gobelins mais aussi l’Epée de bois maintiennent toujours l’activité cinématographique du quartier.
Ci-dessus: Mary Poppins (Robert Stevenson) la semaine du 31 août 1966.
Ci-dessus: Alexandre le Bienheureux (Yves Robert) la semaine du 3 avril 1968.
Texte: Thierry Béné.
Documents: La Cinématographie française, Le Film français, Gallica-BnF, France-Soir.
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