Depuis presque trente ans, Françoise Ickowicz et Lenicka Philippot-Le Goueff, les petites-filles de Bernard Natan (1886-1942), poursuivent inlassablement un travail de réhabilitation de la mémoire de leur grand-père. Figure largement oubliée du cinéma français, Bernard Natan n’en fut pas moins un des grands entrepreneurs et producteurs de l’entre-deux guerres. A cette époque, son nom est associé à la firme Pathé, alors en difficulté, qu’il rachète en 1929 et qu’il développe en ouvrant des salles de cinéma (l’Ermitage et le Marignan sur les Champs-Elysées, le Victor-Hugo dans le XVIè arrondissement parisien, le Bellecour à Lyon…) et en lançant de grandes superproductions comme La Merveilleuse Vie de Jeanne d’Arc, fille de Lorraine (1929) réalisé par le peintre Marco de Gastyne ou Les Croix de bois (1932) d’après Roland Dorgelès et filmé par Raymond Bernard.

Patriote et amoureux de la France, épaulé par son frère cadet Emile, il produit une des meilleures adaptations du roman de Victor Hugo Les Misérables (1934) de Raymond Bernard interprété par le grand Harry Baur. Pourtant, à l’instar de Jean Zay (1900-1944), ministre de l’Education et des Beaux-Arts et initiateur du Festival de Cannes, le chemin de Bernard Natan est miné par l’antisémitisme qui aura finalement, et dramatiquement, sa peau. Alors que Jean Zay est assassiné par la milice française, Bernard Natan meurt dans le camps d’Auschwitz où il est arrivé, comme le rappelle Philippe Durant, par le convoi 901/32 en partance de Drancy. Son nom, avant d’être à l’affiche en 1941 de l’ignoble exposition Le Juif et la France au Palais de Hanovre, est aujourd’hui inscrit sur le mur du mémorial de la Shoah à Paris, « dalle n° 109, colonne n° 37, rangée n°1. »

Paru chez La Manufacture de Livres, l’ouvrage de Philippe Durant relate, comme dans un roman tragique, la vie de Bernard Natan, né Nathanaël Tanenzapf en 1886 à Iasi (Roumanie) et débarquant en France en 1906. Naturalisé en 1921, il aura servi dans l’armée française durant le premier conflit mondial avant de fonder le laboratoire Rapid-Film installé au 6 rue Francoeur dans le XVIIIè arrondissement parisien. Alors tout-puissant directeur de Pathé, une sombre affaire de transferts de fonds le mène, entre calomnie et haine antisémite relayée par les journaux avec Léon Daudet en tête, devant les tribunaux en 1939 où s’enclenche la spirale infernale qu’il le broiera . Jusqu’à son assassinat.

Après le documentaire Bernard Natan, le fantôme de la rue Francoeur (2019) réalisé par Francis Gendron et projeté dans la salle du Saint-André des Arts, la mémoire de Bernard Natan est peu à peu honorée. Celui qui fut, selon Serge Klarsfeld, « le juif le plus haï de France », méritait bien cette première et passionnante biographie écrite par Philippe Durant, critique de cinéma et biographe de Jean-Paul Belmondo et Simone Signoret, qui tient son lecteur en haleine face au terrible destin de Bernard Natan, cet homme qui « disparaît dans la nuit et le brouillard à une date qui restera à jamais inconnue ».

Le Fantôme du cinéma français.
Gloire et chute de Bernard Natan.

Philippe Durant
Janvier 2021, 208 pages dont 8 pages en couleurs.
Editions La Manufacture de Livres

 

Ci-dessus: le cinéma Marignan Pathé-Natan, « le plus élégant cinéma d’Europe», à son ouverture en 1933.

La Merveilleuse Vie de Jeanne d'Arc, fille de Lorraine de Marco de Gastyne

Ci-dessus: La Merveilleuse Vie de Jeanne d’Arc, fille de Lorraine (1929) de Marco de Gastyne, produit par Bernard Natan.

Bernard Natan

Ci-dessus: portrait de Bernard Natan (photo Pathé-Natan).