C’est le récit romanesque d’une famille. Celle des Siritzky, dont le patriarche Léon a constitué avant-guerre un circuit de prestigieuses salles de cinéma à Paris et dans la France entière. Un de ses descendants, son petit-fils Serge Siritzky, raconte dans Le Cinéma était leur pays les mille et un succès ainsi que les effroyables déconvenues de cet exploitant de salles injustement oublié.
Israël Siroshkine est né en 1887 à Mykolaïv au sud de l’Empire russe, aujourd’hui en Ukraine. Fuyant les pogroms, il s’établit à Constantinople où il y ouvre avec sa femme Rosa une salle de cinéma. Quittant la Turquie au début des années 1920 alors même que les communauté grecque et arménienne y sont pourchassés, il choisit la France, « le pays d’Emile Zola, celui qui a fait innocenter Dreyfus » nous dit l’auteur.
La capitale va lui offrir son terrain de jeu lorsque Léon reprend la gérance de cinémas endormis – le Clichy-Palace, le Maine, le Saint-Charles, l’Excelsior et le Sèvres. Créant des sociétés d’exploitation de salles également en province avec Les Cinémas de l’Est et Les Cinémas de la Côte Basque (18 salles en 1936), intégrant ses deux fils Samy et Jo dans l’affaire familiale, les Siritzky deviennent en quelques années un acteur important de l’industrie cinématographique nationale.
Le point d’orgue est atteint avec la reprise de salles d’exclusivité à l’instar du Max Linder sur les Grands boulevards, du prestigieux Marivaux, du Biarritz sur les Champs-Elysées (l’ancien Elysées-Gaumont), des César et Portiques (1939, bientôt appelé George V) toujours sur la célèbre avenue du cinéma… Jusqu’au Moulin-Rouge et à l’Olympia, tous deux en 1938.
Lorsque les lois vichystes sont promulguées, les propriétaires de cinémas de confession juive sont interdits d’exercer leurs activités. L’ascension des Siritzky est brutalement interrompue, à l’instar de celle de Joseph Rytmann avec ses Théâtre de Montrouge et Miramar. Avant sa fuite pour les Etats-Unis, la famille est forcée de vendre – en catastrophe et au prix le plus bas – ses établissements qui seront par la suite requisitionnés par les occupants. Le circuit de la S.O.G.E.C. (Société de Gestion et d’Exploitation du Cinéma) d’Alfred Greven est ainsi constitué sur la base de cinémas spoliés à des juifs, dont les Siritzky.
L’auteur narre dans les années d’après-guerre le long combat judiciaire du patriarche – auquel s’est confronté également un autre exploitant juif d’origine russe, Boris Gourevitch – pour récupérer ses biens. Serge Siritzky révèle que les cinémas intégrés à la S.O.G.E.C. – devenue en 1946 le circuit nationalisé UGC – n’ont pas été restitués à Léon pour d’obscures raisons commanditées par les autorités françaises, soucieuses de conserver un circuit de salles. Il loue l’incroyable force des Siritzky qui reconstitueront, sous l’ère des frères Samy et Jo, le 3e plus grand circuit de salles après Pathé-Gaumont et UGC, en y ajoutant une branche production et distribution.
Avec ce récit forcément passionnant d’une famille admirablement combative et résiliente, douée à la fois d’un sensationnel sens des affaires et d’un amour inconditionnel du cinéma, Serge Siritzky réhabilite la mémoire de son grand-père et rend un hommage poignant à sa famille malmenée dans un pays livré aux soubresauts de l’Histoire.
Le Cinéma était leur pays.
Serge Siritzky
Mars 2024, 242 pages.
Editions Vérone
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