Adresse : 82 Boulevard de Clichy à Paris (18ème arrondissement)
Nombre de salles : 1
En ce 7 décembre 1929, le journal Comoedia commente avec un brin de nostalgie la transformation du cabaret Moulin Rouge en salle de cinéma: « un music-hall qui meurt; un cinéma qui naît… le tout est de savoir s’adapter, car la loi de Darwin est formelle: tous ceux qui ne s’adaptent pas sont condamnés à mort. Le Moulin Rouge music-hall est mort et c’est un peu du vieux Paris qui part avec lui ».
Le quotidien poursuit en commentant la visite effectuée en compagnie de Pierre Foucret, l’animateur du nouveau cinéma. « La salle toute de rouge tendue (forcément) est une merveille… C’est une salle très chic avec son vaste plafonnier rose, ses lumières arrondissant la corbeille, ses fauteuils confortables, ses loges étroites et d’une tonalité chaud, son vaste promenoir, son hall enfin si majestueux. Paris possède un très beau cinéma de plus, celui-ci passera des films sonores et parlant puisqu’il a été conçu uniquement pour cela ».
La presse souligne que le Moulin Rouge Cinéma, malgré les dépenses engagées, reste un cinéma « à la portée de toutes les bourses » annonçant ainsi la dimension populaire des films qui y seront présentés. L’hebdomadaire Cinémonde du 5 décembre 1929 nous fournit des informations complémentaires: « Il y a maintenant 2 400 places assises, toutes excellentes. Le balcon a été rehaussé de 1m85 afin de ne pas gêner la visibilité des spectateurs de l’orchestre… Une installation sonore avec appareil Western Electric a été faite par des ingénieurs spécialistes. On peut dire que le Moulin Rouge Cinéma sera un modèle de cinéma sonore et parlant ».
Ci-dessus: le cinéma du Moulin Rouge en 1930.
Ci-dessus: plan d’architectes du cinéma Moulin Rouge en 1943, coupe longitudinale.
Ci-dessus: plan d’architectes du cinéma Moulin Rouge en 1943 des parterre (825 fauteuils), mezzanine (382 fauteuils) et balcon (347 fauteuils).
Le Moulin Rouge Cinéma, une nouvelle salle pour le cinéma parlant.
Avec les balbutiements du cinéma sonore et les difficultés rencontrées pour équiper les salles, le Moulin Rouge Cinéma inaugure sa salle entièrement conçue pour cette nouvelle technologie. Mais, en cette fin des années 1920, les premiers échos dans la presse soulignent combien le public de la place Blanche est effaré d’entendre un film parlé en américain! C’est ainsi que dès le 22 janvier 1930, le premier succès de la salle est un film musical de Pierre Wolf « La Route est belle » joué et chanté par André Bauge, acteur et baryton français très sollicité en ce début du parlant. Le 3 mai 1930 sort en exclusivité « Sous les toits de Paris » de René Clair. Le film est proposé avec en première partie une attraction, la chanteuse Claire Franconay.
La société Pathé-Natan assure la gérance du Moulin Rouge Cinéma dès le début des années 1930. Le 26 septembre 1930 sort « Mon gosse de père » avec sur scène les ballets de la danseuse américaine Loïe Fuller (1869-1929). C’est aussi à cette époque que la salle connaît son plus gros succès commercial avec « Le Roi des resquilleurs » de Pierre Colombier mettant en scène le très populaire comique Georges Milton. Le film avec son personnage légendaire de Bouboule tient l’affiche trente semaines au Moulin Rouge Cinéma. La démolition et la reconstruction du Gaumont-Palace voisin pourrait expliquer ce long triomphe, le public se rabattant sur la salle de la place Blanche. On retrouve Georges Milton dans « Le Roi du cirage » de Pierre Colombier le 13 novembre 1931 pour une exploitation de onze semaines.
Ci-dessus: « Les Croix de bois » en exclusivité au Moulin-Rouge Cinéma.
La salle est choisie par Pathé pour la prestigieuse production qu’elle sort, le chef d’œuvre de Raymond Bernard, « Les Croix de bois » . Ce film de guerre adapté de l’œuvre de Roland Dorgelès qui en assure le scénario, est à l’affiche du Moulin Rouge Cinéma le 17 mars 1932 pour quatorze semaines.
La salle alterne les exclusivités et les prolongations de films sortis à l’Ermitage sur les Champs-Elysées ou à l’Olympia sur les grands boulevards comme « Les Gaîtés de l’
La salle du Moulin Rouge reprise par le circuit Siritzky.
Après la faillite de la société fermière des établissements du Moulin Rouge, propriétaire des lieux, et aux difficultés financières de Pathé-Natan, la salle est intégrée dès le 16 juin 1938 au circuit Siritzky. Le nouvel exploitant du Moulin Rouge Cinéma l’inaugure avec le film « Les Nouveaux riches » d’André Berthomieu avec le grand Raimu en tête d’affiche.
Serge Siritzky dans « Figures des salles obscures » paru aux éditions Nouveau Monde revient sur cette période d’avant-guerre : « Le circuit Siritzky à la fin des années 30, qui comprenait des fonds de commerce, des gérances, des murs et des salles en simple programmation était l’entreprise (cinématographique) la plus prospère, là où les sociétés Gaumont et Pathé avaient été reprises ».
C’est le 20 septembre 1938 que le circuit Siritzky programme au Moulin Rouge Cinéma la seconde exclusivité du « Quai des brumes ». Le film de Marcel Carné complète avec succès l’exclusivité au Marivaux, un cinéma justement racheté par Léon Siritzky le 4 juin 1937. Le circuit propose ainsi aux distributeurs une carrière assurée pour leurs films confiés au circuit Siritzky, dans d’excellentes conditions commerciales grâce à de prestigieuses salles.
Rappelons qu’à cette époque le circuit Siritzky, alors en pleine expansion, acquiert par contrat avec la Sofrexi le contrôle du cinéma Variétés de Toulouse ainsi que des salles du Capitole, de l’Eldo et du Majestic à Marseille. D’autres salles rejoignent le circuit comme le Français, l’Apollo et le Capitole à Bordeaux, le Familia à Lille, l’Opéra à Reims… Et bien sûr les deux joyaux parisiens que sont le Biarritz sur l’avenue des Champs-Elysées et l’Olympia proche de l’Opéra. Le prestigieux Moulin Rouge Cinéma complète brillamment le réseau des salles Siritzky, d’autant que la salle de la place Blanche propose en cet été 1938 des projections à ciel ouvert.
Le Moulin Rouge Cinéma aux mains d’une société allemande, la SOGEC.
La période de l’Occupation rime pour les exploitants de cinéma avec la création du Comité d’Organisation de l’Industrie Cinématographique (C.O.I.C). De confession juive, Léon Siritzky est contraint de céder ses salles à une société aux capitaux allemands. Le Moulin Rouge rejoint ainsi la S.O.G.E.C. (Société de Gestion et d’Exploitation du Cinéma) tout comme les cinémas parisiens le Biarritz, le César, le Normandie, l’Olympia, le Français et le Max-Linder. Avec la SOGEC, une véritable spoliation des salles de cinéma appartenant à des juifs est organisée.
Ci-dessus: les salles parisiennes de la S.O.G.E.C. en 1941.
Désormais exploité par la SOGEC, le Moulin Rouge rouvre le 22 décembre 1940 avec « La Fugue de monsieur Petterson » d’Herbert Selpin que distribue la Tobis-Films. La salle connaît de très gros succès pendant la période de la Collaboration en prolongeant les exclusivités du Normandie, du Biarritz et de l’Olympia comme avec « Caprices » de Léo Joannon avec Danièle Darrieux le 19 mars 1942, « La Symphonie fantastique » de Christian-Jaque le 4 juin 1942 ou le chef d’œuvre de Henri-Georges Clouzot, produit par la Continental-Films, « L’Assassin habite au 21 » le 31 décembre 1942.
Les grands succès du Septième art au Moulin Rouge Cinéma.
Au sortir de la guerre, la salle est toujours gérée par la SOGEC qui, une fois nationalisée, devient l’U.G.C. (Union Générale de la Cinématographie). La programmation du Moulin Rouge Cinéma est donc associée aux salles UGC comme la combinaison Normandie / Olympia avec parfois le cinéma Biarritz pour des sorties conjointes, à l’instar de « Rebecca » d’Alfred Hitchcock le 21 mai 1947, « Le Diable au corps » de Claude Autant-Lara le 10 septembre 1947, « La Maison du docteur Edwardes » d’Alfred Hitchcock le 19 mars 1948 ou bien « Fabiola » d’Alessandro Blasetti le 3 juin 1949, complété par les salles le Français et le Max-Linder.
Ci-dessus: la salle du Moulin Rouge Cinéma, rénovée par Georges Peynet en 1956.
Ci-dessus: le hall du Moulin Rouge Cinéma, en 1962.
En 1956, l’ancienne salle à l’architecture venant du music-hall est transformée par l’architecte Georges Peynet en une salle dédiée au Septième art. La revue La Cinématographie française commente les transformations du nouveau Moulin Rouge Cinéma : « la façade est entièrement en verre Sécurit sur 18 mètres de largeur sans aucun montant métallique… les deux balcons de la salle originale ainsi que la scène sont démolis afin de créer le grand volume qui reçoit un nouvel orchestre et une mezzanine légèrement surélevée. La scène désaffectée est incorporée dans sa plus grande partie à la salle… »
La programmation de la salle est associée dès 1953 avec celles des cinémas Rex et Normandie pour d’importantes sorties comme celles de « Thérèse Raquin » de Marcel Carné le 6 novembre 1953, de « Tant qu’il y aura des hommes » de Fred Zinnemann le 27 mars 1954, de « Vera Cruz » de Robert Aldrich le 11 mai 1955, de « Le Pont de la rivière Kwaï » de David Lean le 20 décembre 1957 ou « Les Canons de Navarone » de Jack Lee Thompson le 8 septembre 1961. « Un Singe en hiver » d’Henri Verneuil le 11 mai 1962 est le dernier film programmé avec cette combinaison de prestigieuses salles parisiennes.
Ci-dessus: « Le Pont de la rivière Kwaï » de David Lean au Moulin Rouge Cinéma en 1957.
Ci-dessus: « Le Convoi des braves » de John Ford au Moulin Rouge Cinéma en 1964.
Ci-dessus: « Il était une fois dans l’ouest » de Sergio Leone au Moulin Rouge Cinéma en 1969.
Ci-dessus: la façade du Moulin Rouge Cinéma en 1958 avec à l’affiche « Liberté surveillée » de Henri Aisner avec Robert Hossein et Marina Vlady.
Ci-dessus: « Brèves amours » de Camillo Mastrocinque et Giuliano Carnimeo avec Michèle Morgan à l’affiche du Moulin Rouge Cinéma en 1958.
Serge Siritzky, toujours dans « Figures des salles obscures » évoque les difficultés de son grand-père pour récupérer ses salles à la Libération. « Alors que le tribunal d’instance avait décidé au début de 1948 de lui restituer ses salles, la cour d’appel a annulé cette décision en novembre 1948 sous le motif de « commerce avec l’ennemi » pour avoir vendu ses salles à Serge Dairaines qui était lié à la Continental ». Léon Siritzky fait valoir que le contrat spécifie alors l’interdiction de vendre à des Allemands, ce qu’il n’a pas fait directement. A la Libération, ses salles devenues parties intégrantes du nouveau circuit d’Etat UGC, les procédures judiciaires durent des années.
L’ère Parafrance avant la fin de l’exploitation du Moulin Rouge Cinéma.
Le 27 juin 1962, le Moulin Rouge Cinéma revient à la famille Siritzky, plus particulièrement à ses successeurs les frères Jo et Sammy Siritzky. Le film « Jack, le tueur de géants » de Nathan Juran est à l’affiche du cinéma de la place Blanche. Avec ses nouveaux propriétaires, la salle se dote d’un écran de 21 mètres de large sur 10,5 de haut. Le Moulin Rouge Cinéma associe sa programmation avec les salles Le Paris et Le Français pour les sorties de « Lawrence d’Arabie » de David Lean proposé en 70MM dès le 17 mars 1963 et de « Bons baisers de Russie » de Terence Young le 11 mars 1964.
C’est à partir du 11 mars 1966 avec « L’Espion qui venait du froid » de Martin Ritt que le Moulin-Rouge rejoint la combinaison des salles parisiennes associées au cinéma Paramount proche de l’Opéra. La salle connaît de grands triomphes avec le film de René Clément « Paris brûle t-il ? » le 26 octobre 1966, celui d’Howard Hawks « El Dorado » le 30 juin 1967 ou encore celui de Sergio Leone « Il était une fois dans l’Ouest » le 27 août 1969.
Ci-dessus: « Jeff » de Jean Herman avec Alain Delon et Mireille Darc au Moulin Rouge Cinéma en 1969. La salle jouxte le cinéma Paramount-Montmartre.
C’est à cette période que naît la société de distribution et d’exploitation Parafrance des frères Siritzky. « Charles Bluhdorn qui avait repris la Paramount, s’est rapproché de mon père et mon oncle et leur a proposé d’entrer dans leur capital pour développer la société et ils ont accepté de revendre 50% tout en conservant la gestion. Le circuit est devenu Parafrance » rappelle Serge Siritzky.
Le Moulin Rouge est, au fil des années, associé à des combinaisons de plus en plus larges incluant les salles de cinéma en banlieue parisienne. Dans sa salle unique de 1 400 fauteuils, la fréquentation entame cependant une inexorable baisse en ce milieu des années 1970, comme la plupart des salles de quartier.
Une ultime relance de la salle est tentée à la fin des années 1980 en mettant en avant le grand écran de la salle au moment où la fréquentation du Kinopanorama redémarre avec des reprises de films en 70MM. L’accroche « Le seul écran Cinérama de la rive droite » installée sur la majestueuse façade du Moulin Rouge semble abusive: la salle n’a jamais été conçue pour ce procédé et l’écran est plat. D’autant que les œuvres annoncées en 70MM sont souvent projetées en 35MM: c’est le cas de « Cléopâtre » de Joseph L. Mankiewicz, « Ces merveilleux fous volants dans leurs drôles de machines » de Ken Annakin ou « Salomon et la Reine de Saba » de King Vidor.
Le déclin du Moulin Rouge Cinéma mène à sa fermeture définitive le 23 décembre 1980, soit huit ans après celle du Gaumont-Palace. Les lieux sont aujourd’hui occupés par l’Espace Moulin Rouge utilisé pour des émission de télévision et pour des conférences et séminaires.
Ci-dessus: la discothèque La Loco – ancien Paramount-Montmartre – et l’exposition Toy Story dans l’ancienne salle du Moulin-Rouge Cinéma dans les années 1990.
Ci-dessus: la salle du Moulin Rouge Cinéma en attente de réaffections dans les années 1990.
Ci-dessus: coupure de presse de « L’Arlésienne » en 1930.
Ci-dessus: coupure de presse de « Zouzou » de Marc Allegret en 1934.
Ci-dessus: coupure de presse du « Pont de la rivière Kwaï » en 1957 aux cinémas Rex, Normandie et Moulin-Rouge.
Ci-dessus: coupure de presse de « Vera Cruz » de Robert Aldrich en 1955 aux cinémas Rex, Normandie et Moulin-Rouge.
Remerciements: M. Thierry Béné.
Photos et documents: Le Cinématographie française, Le Film français, Gallica Bnf.
Photos couleurs (années 1990): collection particulière.
Photo du Moulin Rouge Cinéma avec « Terre de volupté », une production MGM à l’affiche du 20 décembre 1929 au 9 janvier 1930: collection particulière.
On peut entrevoir la salle et le hall dans « Neige » de Juliet Berto …
Très bon site par ailleurs, bravo!.
J’ai vu Lawrence d’Arabie en 1963 au Moulin Rouge, j’avais 13 ans. Ça m’a profondément marqué. Le plan le plus mythique de l’histoire du cinéma : Peter O Tool éteint l’allumette, cut to, le soleil se lève sur le désert avec la musique de Maurice Jarre qui monte…. Démentiel !
En 1964, j’y ai vu Bon baiser de Russie, le meilleur James Bond…. inoubliable.
Merci pour cet article! J’avais confondu les cinémas Moulin Rouge et son voisin Paramount Montmartre!
Très belle salle qui manque dans ce quartier.
Aurélie.
Toujours très intéressants ces articles sur les cinémas de Paris disparus .
J’en ai connu certains dans les années 1965 à 1975
Beaucoup de salles ( même celles dites de quartier ) avaient une capacité supérieure à 1 000 places
J’avais vu La route de l’ouest ( avec Kirk Douglas et Robert Mitchum ) en 1967 au Moulin Rouge
Bonne continuation dans cette exploration des salles parisiennes disparues