Adresse: 38, boulevard des Italiens à Paris (9ème arrondissement)
Nombre de salles: 1 puis 5
Aujourd’hui: Gaumont Opéra Français
La salle du Français – Théâtre Jacques Haïk ouvre le vendredi 22 mars 1940 au soir alors que la France est en guerre depuis six mois. Le créateur de la salle Jacques Haïk est alors l’un des grands producteurs et exploitant français à l’origine des cinémas Rex et Olympia à Paris.
La direction et la programmation du Français sont confiées à Sammy Siritzky, une des grandes figures de l’exploitation cinématographique. La soirée de gala se déroule sous les auspices de la charité, puisqu’elle est donnée au profit des « Œuvres d’Assistance du Syndicat de la Presse ».
Ci-dessus: la salle du Français en 1940 avec sa fameuse grille de scène.
La salle est conçue comme un écrin pour les productions françaises en exclusivité. Ainsi, « Sans Lendemain » de Max Ophüls constitue-t-il le programme inaugural. Le journal L’Intransigeant du 22 mars 1940 commente l’ouverture du Français, « la salle la plus moderne dont Paris pourra justement s’enorgueillir ».
Et poursuit: « construit d’après les plans des architectes Bluysen et Fondeur, le Français a été achevé par M. Painchault. Le point le plus attractif est incontestablement l’utilisation de la lumière noire qui permettra aux spectateurs du Français d’applaudir dans la salle obscure, un admirable bouquet de fleurs aux riches colories, véritable feu d’artifice tiré dans la nuit! Des appareils sonores d’une merveilleuse netteté, des murs revêtus d’une matière nouvelle permettant d’apprécier la qualité du son, une salle climatisée grâce à un chauffage urbain… autant de perfectionnements techniques qui font du Français la salle la mieux conçue de Paris! Il faudrait encore parler des fauteuils d’une tonalité cyclamen, de la façade inspirée par l’architecte Ciclis, qui a eu l’idée de construire une scène donnant sur la rue, avec baie mobile… »
La publicité d’ouverture spécifie que le Français est l’unique salle parisienne à présenter vingt-cinq minutes d’actualités. L’originalité de la salle réside dans une grille de scène remplaçant le traditionnel rideau de scène. La presse parle beaucoup des jets d’eau qui fonctionnent lors de l’entracte. Quant à la façade du cinéma, elle permet de créer des visuels « en relief » en plaçant des personnages en arrière plan et d’autres au premier plan. Enfin, un imposant blason orné d’un cavalier couronne la façade du Français.
Au début de l’Occupation, le Français ferme ses portes. Il est rapidement autorisé à rouvrir, son enseigne est débaptisée au profit du cinéma Le Boulevard. La salle reprend rapidement son nom original.
Dès 1940 pendant la période de l’Occupation, l’établissement fait partie du circuit allemand S.O.G.E.C. Il est à l’instar des cinémas Normandie et du Biarritz, deux salles de prestige sur les Champs-Elysées, le lieu privilégié de productions des studios de la Continental. La programmation du Français est alors souvent couplée avec celle du Biarritz: « L’Assassin habite au 21 » de Georges-Henri Clouzot y est projeté le 16 octobre 1942 et « Le Val d’enfer » de Maurice Tourneur le 19 novembre 1943. Le Français assure également les prolongations de films sortis au Normandie comme « La Ville dorée » de Veit Harlan le 28 mai 1943.
En 1946 la restitution du Français à Jacques Haïk est prononcée par un arrêt en date du 19 novembre de la Cour d’Appel de Paris. Jacques Haïk entend faire du Français une des grandes salles de prestige parisiennes.
La salle ouverte quelques semaines avant l’Occupation n’a pas permis de révéler au public ses possibilités techniques et artistiques. Marcel Richard, le directeur commercial des sociétés Haïk, évoque son intention de faire du Français l’un des plus importants cinémas de Paris tant par sa présentation que par ses programmes. C’est « Arsenic et vieilles dentelles » de Frank Capra qui inaugure cette nouvelle ère le 20 décembre 1946.
Les films proposés sont souvent des productions américaines et en exclusivité unique comme « Le Chant de Bernadette » de Henry King le 2 avril 1947 ou bien « Gilda » de Charles Vidor le 28 mai 1947.
Dans les années 1950, l’affiche du Français est couplée avec celle du Marignan. « Du Rififi chez les hommes » de Jules Dassin sort dans les deux salles le 13 avril 1955 tout comme « Lola Montes » de Max Ophüls le 23 décembre 1955, « Orfeu Negro » de Marcel Camus le 12 juin 1959 ou « La Dolce Vita » de Federico Fellini le 11 mai 1960. Les films étrangers sont projetés en version française au Français alors que la version originale est donnée dans la salle du Marignan.
La salle est rénovée en 1958 par l’architecte et décorateur Rigal. Le cadre d’écran est en piles plantées dans le vide avec jets d’eaux à changements de couleurs. Des rideaux dorés se substituent à l’ancienne grille, les fauteuils sont rouges et la dominante des murs est gris bleuté.
Ci-dessus: « La Route du bagne » au Français en 1945.
Ci-dessus: « Arsenic et vieilles dentelles » au Français en 1946.
Ci-dessus: « Fabiola » au Français en 1949.
Ci-dessus: « Suivez cet homme » au Français en 1953.
Ci-dessus: Cette nuit-là de Maurice Cazeneuve avec Mylène Demongeot et Maurice Ronet au Français en 1958.
Ci-dessus: le hall du Français en 1958.
Ci-dessus: le hall du Français en 1958.
En 1962, la salle est incluse dans la combinaison des cinémas Ermitage/Miramar/Wepler. Le film à sketches de Federico Fellini, Luchino Antonioni, Vittorio De Sica et Mario Monicelli sorti le 29 août 1962 et « Le Doulos » de Jean-Pierre Melville sorti le 8 février 1963 bénéficient de cette distribution.
Dès 1963 la salle est associée au cinéma Le Paris pour les sorties de films de la Columbia: « Lawrence d’Arabie » de David Lean le 15 mars 1963 ou « Le Cardinal » d’Otto Preminger le 21 décembre 1963, deux films proposés en 70MM, sortent simultanément dans les deux salles.
« Bons baisers de Russie » de Terence Young le 13 mars 1964 ou « Angélique, marquise des anges » de Bernard Borderie le 9 décembre 1964 bénéficient de la combinaison étendue des cinémas Le Paris/Le Français/Miramar/Wepler.
A la fin des années 1960 la salle est associée avec celles des cinémas Colisée/Gaumont Rive-Gauche/Caravelle/Bosquet pour de grands succès tels « La Horde sauvage » de Sam Peckinpah le 15 octobre 1969 et surtout « Le Passager de la pluie » de René Clément dès le 16 janvier 1970 ou « Le Cercle rouge » de Jean-Pierre Melville le 21 octobre 1970.
En 1973, Pathé reprend la salle du Français. Ce n’est qu’en 1977 qu’une seconde salle est ajoutée à la grande salle d’origine. Le cinéma qui jouxte le Français, le Cinémonde-Opéra, est intégré au Pathé-Français.
Enfin, Pathé entreprend de diviser la salle d’origine ce qui fera du complexe du boulevard des Italiens un cinéma de cinq salles.
Ci-dessus: en 1992, le Pathé-Français devient le Gaumont Opéra Français.
En 1992, Gaumont reprend le complexe cinématographique et le baptise Gaumont Opéra Français.
Remerciements: M. Thierry Béné.
Documents: La Cinématographie française, Le Film français, Gallica/BnF.
Merci pour ces informations. Je recherche d’autres cas de salles de cinéma appartenant à des exploitants dépossédés après les lois anti juifs. Pouvez-vous m’indiquer des pistes de recherche? Manuel Sanchez
Merci Jean-Marie pour ces précisions concernant la spoliation des salles sous l’Occupation.
LE FRANÇAIS SERA RESTITUE A JACQUES HAIK QU’EN 1950
En effet, dès 1945, Jacques Haïk s’est battu contre les fonctionnaires du Centre National de la Cinématographie pour obtenir la restitution des célèbres salles parisiennes l’OLYMPIA et le FRANÇAIS. Cette terrible bataille l’amena jusqu’au Conseil d’État. La lutte fut rude. Dans ses conclusions il accusa et nota : « L’acharnement ainsi mis par une Administration de l’État dans cette affaire date de loin. Lorsque, à la Libération, les Domaines mirent la main sur les salles pillées par les Allemands pendant la guerre, l’idée vint à un groupe de fonctionnaires de conserver ces salles ainsi que quelques autres éléments cinématographiques et d’en faire un secteur nationalisé de cinéma d’État ». La justice française finit par lui donner raison, après l’OLYMPIA, le FRANÇAIS lui fut rendu la veille de sa mort, le 31 août 1950.