Adresse: 63 avenue des Champs-Elysées à Paris (8ème arrondissement)
Nombre de salles: 1

Le mercredi 11 novembre 1936 est créée sur les Champs-Elysées une nouvelle salle de cinéma qui va porter le même nom que son film inaugural réalisé par Marcel Pagnol: Le César. Construite à l’emplacement du restaurant Albert, la nouvelle salle de 400 fauteuils fait partie, avec Le Bonaparte, Les Agriculteurs et le Ciné-Opéra, du circuit de salles spécialisées de M. Queyrel. Le réseau programme des œuvres de qualité en exclusivité dans ses salles à une époque où le modèle de sortie reste celui des théâtres: une œuvre, une salle. Ce circuit connaît un triomphe avec la sortie exclusive de « La Bandera » (1935) de Julien Duvivier.

Le film inaugural est maintenu neuf semaines dans le circuit avant d’être à l’affiche du Rex pour deux semaines puis du Gaumont-Palace et de bénéficier ensuite d’une sortie générale. Le deuxième programme du César – et des trois autres salles – est « Un grand amour de Beethoven » d’Abel Gance dès le 13 janvier 1937 , suivi le 3 mars de « Révolte à Dublin » de John Ford, une production de la RKO. Le grand succès de l’année 1937, « Gueule d’amour » de Jean Grémillon, sort dans le réseau le 15 septembre alors que les films avec Jean Gabin sont plutôt programmés au Marivaux ou au Madeleine. L’année suivante, « Alerte aux Indes » réalisé par Zoltan Korda bénéficie des écrans de l’Olympia pour la version française et, à partir du 22 juin, du César pour la version originale.

Ci-dessus: « Rendez-vous… Champs-Elysées » sorti le 31 avril 1937 au César et au Bonparte.

Ci-dessus: seconde exclusivité de « Le Schpountz » de Marcel Pagnol au César le 8 juin 1938.

Le César rejoint le circuit Siritzky via la société des Cinémas de l’Est qui comprend notamment les salles parisiennes Max Linder, Marivaux, Moulin Rouge, Olympia et Biarritz. Le César alterne alors des prolongations d’exclusivités du Biarritz voisin, comme « Pygmalion » d’Anthony Asquith et Leslie Howard le 3 mai 1939, et des sorties en exclusivité sur son seul écran.

Le 5 juillet 1939, à la veille du conflit, « Les Aveux d’un espion nazi » d’Anatole Litvak rencontre un énorme succès sur les écrans de l’Apollo, du Max Linder et du César. L’exploitation dure jusqu’au 31 octobre de cette même année, soit 17 semaines sans aucune interruption au moment de la déclaration des hostilités.

Films de propagande et productions de la Continental-Films à l’affiche du César.

Pendant l’Occupation, tout comme ses voisins le Normandie et le Biarritz, la salle tombe dans le giron de la Société de Gestion et d’Exploitation de cinéma (S.O.G.E.C.), une société à capitaux allemands.  Serge Siritzky revient sur cette période dans « Figures des salles obscures » de Samra Bonvoisin, Claude Forest et Hélène Valmary (Nouveau monde éditions): « En 1940, dès leur entrée à Paris, en juin, les Allemands ont ordonné aux juifs de fermer leurs salles. Puis, une des premières mesures du gouvernement de Vichy, le 16 août 1940 a été la création du Comité d’Organisation de l’industrie cinématographique le C.O.I.C. (précurseur du CNC). Le C.O.I.C. a permis l’organisation corporatiste de la profession et, après l’instauration du statut des juifs, le 3 octobre, la carte d’identité professionnelle a été instituée en novembre. Pour y avoir droit, dans toutes les professions du cinéma, il fallait justifier de deux générations d’aryanité… ». Le César est ainsi, comme les autres salles du circuit Siritzky, vendu sous contrainte.

La salle propose désormais des exclusivités en alternance avec des prolongations de films sortis dans les autres salles de la S.O.G.E.C., en particulier celle du Normandie située sur les Champs-Elysées. L’année 1941 voit ainsi au César les films « L’Empreinte de Dieu » Léonide Moguy le 20 août 1941 pour 6 semaines, « Premier rendez-vous » de Henri Decoin, produit par la Continental-Films, le 1er octobre, « Le Dernier des six » de Georges Lacombe le 29 octobre, « Le Président Krüger » Hans Steinhoff, Karl Anton et Herbert Maisc le 12 novembre, « L’Assassinat du père Noël » de Christian-Jaque le 3 décembre et le 14 janvier 1942 « Péchés de jeunesse » de Maurice Tourneur.

Le 11 mars 1942 et durant une période d’exploitation de six semaines, le César propose le film de propagande « Le Jeune Hitlérien Quex » de Hans Steinhoff avec Heinrich George. Réalisée en 1933, cette production des studios de la UFA-ACE relate la lutte des jeunesses nationales-socialistes contre les communistes. Une autre oeuvre de propagande est à l’affiche du César la même année: « Le Péril juif » un documentaire réalisé par Fritz Hippler.

Ci-dessus: pavé de presse pour la promotion du « Jeune Hitlérien ».

En avril 1942, la revue Le Film annonce que le cinéma Le César se consacre, à travers la présentation de programmes intitulés « Les Images du Monde » , à la projection de films documentaires. Le 14 avril de la même année, la nouvelle formule est lancée avec cinq documentaires A.C.E.-U.F.A. dont un en couleurs ainsi qu’un reportage de long métrage: « Volcans » film scientifique de la UFA, « La coiffure à travers les âges » puis un rallye de kayaks dans la vallée de la Cure, un documentaire sur les guêpes et, en Agfacolor, « Danses et féeries » suivies d’un grand reportage au pays du Soleil de Minuit « Symphonie Norvégienne ». La reprise par la Tobis de « Tabou » (1931) de Friedrich Wilhelm Murnau le 28 avril 1943 rentre dans cette nouvelle formule.

A la Libération, la S.O.G.E.C. est nationalisée et devient quelques années plus tard l’U.G.C. (Union Générale de la Cinématographie). Le César, comme bon nombre de salles, reprend des films dont la carrière avait été interrompue durant l’Occupation. Pour sa réouverture le 18 octobre 1944, le César affiche ainsi le film de Dominique Bernard-Deschamps « Tempête », initialement sorti le 1er avril 1940 au cinéma Marignan.

Le César change d’enseigne et devient Le Raimu.

La période de l’immédiate après-guerre est consacrée aux films américains invisibles pendant l’Occupation, en alternance avec des films français mineurs. Le César affiche également des prolongations en seconde exclusivité comme « La Bataille du rail » de René Clément dont l’exclusivité a lieu au Rex et dans la salle de l’Empire.

Ci-dessus: Le César devient Le Raimu le 7 octobre 1949.

Le César entame en 1949 une restructuration sous la houlette de l’architecte Georges Peynet. Un an plus tard, la salle rouvre sous l’enseigne Le Raimu en hommage au grand acteur décédé le 20 septembre 1946. La décoration intérieure est entièrement transformée et de nombreux aménagements permettent son agrandissement. La revue La Cinématographie française du 6 juin 1950 commente la renaissance de la salle des Champs-Elysées: « l’ancienne salle comportait 250 places et la nouvelle en offre près de 400. La suppression sur le côté cour, de loges et de cloisonnements en staff, a permis le déplacement et l’élargissement de la circulation latérale, et par la suite un gain de places. L’aération est améliorée par l’installation de panneaux mobiles en arrière de claustras en staff, éléments décoratifs de chaque côté de la salle à la hauteur des vagues de plafond. Derrière ces claustras, des tubes de néon donnent un éclairage indirect. Le sol de la salle, relevé, permet une meilleure visibilité et la création d’emmarchement dans le hall, éléments décoratifs plaisants… La décoration de la salle a été conçue de telle façon que le spectateur se sente dans une atmosphère agréable. De chaque côté de la salle la décoration des murs est faite en staff, une corniche haute permet une modulation agréable des formes  et dissimule les trous d’aération permanente. Les murs, dans la partie basse, sont revêtus d’un enduit de soie de verre, qui donne l’impression de tissu velouté de teinte pourpre. Au-dessus les claustras et le plafond,  formé de vagues éclairées au néon, sont peints en jaune citron. Devant l’écran, en fond de scène, tombe un rideau de velours de laine jaune citron avec une partie fixe de chaque côté. Un éclairage de couleurs multiples, placé dans une gorge en staff, devant le rideau, permet les jeux de lumière. Le sol de la salle est recouvert d’un tapis violine en harmonie avec les tons de soubassement, et un produit caoutchouté à l’emplacement des sièges. Les ensembles d’éclairage sur des fonds de teintes judicieusement choisies, donnent une ambiance délicate. Dans le hall d’entrée, un ensemble de boiseries vernies, des cadres de photos en cuivre rouge et la caisse en frêne verni, cuivre rouge et marbre, installés dans l’axe sur les emmarchements en comblanchien, donnent une impression de luxe. En haut de ces emmarchements, deux batteries de portes en acajou verni avec des poignées de cuivre rouge, donnent accès sur un dégagement où s’opposent un revêtement en acajou sur deux faces et un enduit d’application de soie de verre de même teinte que la salle sur les deux autres, transition heureuse entre le hall et la salle. Les services sanitaires, hommes et dames, sont aménagés avec le luxe souhaitable. La façade a été traitée de façon très simple, avec de chaque côté une partie arrondie réservée à la publicité et une partie dominante marquée par la marquise. Sur cette dernière, peinte en blanc, se détache en lettres Piranese pourpres du ton de la salle « Le Raimu ».

C’est avec « Riz Amer » réalisé par Giuseppe De Santis que le Raimu inaugure sa nouvelle salle le 7 octobre 1949. Le film est un grand succès, le Raimu voit défiler quelques 11 445 spectateurs pour sa première semaine d’exploitation. Après avoir été programmé sur les écrans du Biarritz, du Rex, du Radio-Ciné-Opéra et du Scarlett, le Raimu affiche le 13 juin 1952 le chef d’oeuvre de Victor Flemming « Autant en emporte le vent ».

Ci-dessus: la salle rénovée du Raimu en 1949.

Les années 1950 voient le Raimu devenir progressivement une salle de prolongation d’exclusivités, tout en proposant des films mineurs des studios américains. Ainsi « Marty » de Delmer Mann avec Ernest Borgnine rencontre un important succès à partir du 14 septembre 1955 partageant l’exclusivité avec le Broadway. Mais à la fin des années 1950, le Raimu rejoint les salles de secondes exclusivités, en particulier pour les films avec Jean Gabin ainsi que pour les prolongations du Normandie, qui appartient – comme le César –  à l’U.G.C. pas encore privatisée. Les douze semaines de prolongations du film d’André Cayatte « Le Passage du Rhin » enregistrent 42 978 spectateurs au Raimu.

En 1963, le Raimu adopte une programmation Art & Essai, s’inspirant peut-être du succès du Studio-Publicis voisin. Il est associé au nouveau Studio Saint-Séverin dans le Quartier latin pour des sorties comme « Un Goût de miel » de Tony Richardson le 6 mars 1963, « Les Abysses » de Nikos Papatakis le 17 avril ou « Main basse sur la ville » de Francesco Rosi le 8 novembre de la même année. « Judex » de Georges Franju y rencontre un beau succès dès le 22 janvier 1964 tandis que « The Servant » de Joseph Losey y bat des records de fréquentation avec un taux de remplissage de 91%.

Malgré une spécialisation dans l’Art et Essai, les jours du Raimu sont comptés. Le film hongrois, « L’Alouette » de Laszlo Ranody, sorti conjointement avec le Bonaparte, est la dernière affiche du Raimu le 9 septembre 1964. Quinze jours plus tard, le cinéma mono-écran tire définitivement son rideau.

Ci-dessus: pavé de presse pour « Claudine à l’école » au César, au Bonaparte, au Ciné-Opéra et aux Agriculteurs le 15 décembre 1937.

Ci-dessus: « Alerte aux Indes » sorti e version originale au César et en version française à l’Olympia le 22 juin 1938.

Ci-dessus: le film inaugural « César » de Marcel Pagnol à l’affiche le 11 novembre 1936 et « Le Roman de Werther » de Max Ophuls en exclusivité le 7 décembre 1938.

Voir les salles de cinéma des Champs Elysées.

Remerciements: M. Thierry Béné.
Documents: La Cinématographie française, Le Film, Le Film français, Gallica-BnF.