Adresse: 48 rue Saint-Didier à Paris (XVIè arrondissement)
Nombre de salles: 1

Dans les beaux quartiers du XVIè arrondissement parisien, à quelques pas du Pathé Victor-Hugo ouvert au début des années 1930, un nouveau cinéma sort de terre quelques années plus tard, au numéro 48 de la rue Saint-Didier. Construit à l’emplacement de l’ancienne Cité des Sports par son propriétaire M. Nemirowsky, le cinéma Saint-Didier (téléphone Kléber 80-42) possède une capacité de 900 fauteuils.

La revue Architecture d’aujourd’hui évoque, sous la plume de René Clozier, les caractéristiques du Saint-Didier dans son numéro de septembre 1939 : « La salle de la rue Saint-Didier a de bonnes proportions, 28 mètres sur 18 mètres et 8 mètres 50 de hauteur, ce qui autorisait la place de 770 fauteuils sans étage, solution idéale. Ces fauteuils confortables et bien desservis se répartissent en un parterre et une corbeille surélevée. Le charme de cette disposition se complète et celui du coloris général : le tapis et les murs dans une gamme de bleu dégradé du sol au plafond et les fauteuils et rideaux rouge Cardinal ».

Cinéma Saint-Didier à Paris

Ci-dessus: vues de la salle en 1937, avec son parterre et sa corbeille.

Cinéma Saint-Didier à Paris

Ci-dessus: le bar, installé derrière l’écran, possèdent deux balcons.

Cinéma Saint-Didier à Paris

Ci-dessus: plan de la salle en 1937.

René Clozier évoque ensuite une particularité de la nouvelle salle : « Un bar créé derrière l’écran, donnant vue sur la salle par deux balcons qui encadrent cet écran et s’harmonisent avec lui, permet aux spectateurs de profiter de la salle pendant les entr’actes non seulement pour l’admirer, mais pour y demeurer en cas de mauvais temps ». Enfin l’auteur s’intéresse à l’éclairage : « Le tout se complète heureusement d’un agréable éclairage gradué, et d’un conditionnement d’air où chauffage et ventilation ont été particulièrement étudiés. La cabine de projection a été installée avec des appareils de la toute dernière création et dont le haut-parleur dirige les ondes sonores dans toute la salle, avec la plus grande régularité ».

Equipé par un projecteur Western Electric, avec pour la première fois en France le procédé dit Mirrophonic, le Saint-Didier, « la salle la plus moderne, la plus somptueuse », est inauguré le 16 décembre 1937 avec la production Metro-Goldwyn-Mayer réalisée par W. S. Van Dyke et interprétée par Spencer Tracy et Gladys George On lui donna un fusil (They Gave Him a Gun) en version originale avec sous-titres français.

Ci-dessus: On lui donna un fusil de W. S. Van Dyke, le premier film du cinéma Saint-Didier.

Ci-dessus: inauguration du Saint-Didier le 16 décembre 1937.

Le bilan d’exploitation de l’année 1937, édité par la revue La Cinématographie française du 31 décembre 1937, met en évidence l’augmentation des sorties en version originale : 237 films « parlants étrangers » (dont 185 américains) sont distribués en France cette année-là. Un an plus tôt, ils sont 263, et également 237 en 1935. Les nouvelles « salles spécialisées » comme le Saint-Didier sont une opportunité pour les grands studios hollywoodiens: ils peuvent sortir leurs films mineurs à moindre frais, sans les doubler en version française, sauf en cas de succès surprise.

Le Saint-Didier adopte cette formule de « cinéma spécialisé », traditionnellement vouée aux salles des Champs-Elysées ou dans des salles comme le Cinéma du Panthéon ou celui de La Pagode. Les programmes sont loin de ceux des cinémas d’avant-garde, le terme « spécialisé » se rapportant au fait que les films y sont donnés en version originale anglaise. Si parfois le film sort en exclusivité au Saint-Didier, comme à partir du 16 février 1938 le musical L’Espionne de Castille de Robert Z. Leonard avec Jeanette MacDonald, la plupart des titres à l’affiche sont des prolongations d’exclusivité des salles des Champs-Elysées comme celle du Paris : Laurel et Hardy au Far West de James W. Horne le 16 mars 1938, Le Roman de Marguerite Gautier de George Cukor avec Greta Garbo le 8 juin 1938, Pilote d’essai de Victor Fleming avec Clark Gable le 9 novembre 1938 ou bien Blanche-Neige et les Sept Nains de Walt Disney le 21 décembre 1938.

Ci-dessus: L’Espionne de Castille de Robert Z. Leonard le 16 février 1938. 

L’année 1939 voit se généraliser au Saint-Didier les double-programmes avec un film français et un film étranger en version originale : la semaine du 8 mars 1939, Vacances de George Cukor avec Katherine Hepburn et Cary Grant et Feux de joie de Jacques Houssin avec l’orchestre de Ray Ventura ; celle du 24 mai, Un envoyé très spécial de Jack Conway avec Clark Gable et Myrna Loy accompagné de La Belle revanche de Paul Mesnier.

Quand la guerre éclate, le Saint-Didier programme malgré lui un double programme dont les titres ont une résonnance particulière : Le Déserteur de Léonide Moguy – qui prendra quelques semaines plus tard un nouveau titre plus patriotique, Je t’attendrai – accompagné du film américain Échec au crime de H. Bruce Humberstone avec Thomas Mitchell.

A cette période, certains cinémas sont contraints de fermer leurs portes, la mobilisation générale les privant de leurs opérateurs en cabine de projection. La presse commente la fermeture des théâtres et des cinémas qui « contribue à donner à Paris, chaque soir, son aspect morne et sombre » tout en soulignant que le cinéma fait vivre de nombreuses femmes, comme les caissières, les ouvreuses ou les secrétaires qui se retrouvent ainsi privées de leurs ressources.

A la date du 4 octobre 1939 restent ouverts, entre autres, le Marignan-Pathé, le Normandie, le Lord Byron, le Paris, le Mozart-Pathé ou encore l’Impérial sur les Grands boulevards. MM Siritzky, les propriétaires des prestigieux cinémas Marivaux, Max Linder, Biarritz et Moulin Rouge, accordent une réduction de 50% aux soldats en uniforme se présentant au guichet de leurs établissements.

Lorsqu’il rouvre en octobre 1939, les titres à l’affiche du Saint-Didier sont, comme dans la plupart des salles, des films français en reprise à l’instar de l’exquis Quadrille de Sacha Guitry la semaine du 11 octobre. Le cinéma retrouve une programmation de salle de quartier et propose des double programmes comme, lors de la semaine du 7 février 1940, La Chevauchée fantastique de John Ford et Paradis pour deux de Thornton Freeland.

La loi du 3 octobre 1940 « portant statut des Juifs » ne permet plus à son propriétaire M. Nemirowsky d’exercer sa profession. Si l’on se réfère à l’annuaire « Le Tout-Cinéma » de 1946, M. Nemirowsky récupère finalement son cinéma après la guerre, en 1945. A la fin de l’année 1940, le Saint-Didier reçoit l’autorisation de réouverture – sans son vrai propriétaire – des autorités d’Occupation. C’est avec la production allemande Pages immortelles de Carl Froelich avec Zarah Leander que le Saint-Didier reprend son activité le 25 décembre 1940.

Ci-dessus: Le Juif Süss, film de propagande antisémite de Veit Harlan, à l’affiche le 26 juin 1941.

Durant l’Occupation, le Saint-Didier reste ouvert. On peut y découvrir des titres comme le film d’aventures de la UFA (Universum Film AG) Congo Express d’Eduard von Borsody avec Marianne Hoppe le 22 janvier 1941, Premières amours d’Henry Rûhman avec sur scène à chaque séance la jeune Georgette Plana le 16 avril 1941, le film de propagande mussolinienne Scipion l’Africain de Carmine Gallone le 16 janvier 1941, Sans lendemain de Max Ophüls avec Edwige Feuillère le 22 octobre 1941, Volpone de Maurice Tourneur avec Harry Baur le 5 novembre 1941, Le Dernier des six de Georges Lacombe sur un scénario d’Henri-Georges Clouzot le 24 décembre 1941, Mademoiselle ma mère d’Henri Decoin avec la pétillante Danielle Darrieux le 23 mars 1942, Lumières dans les ténèbres de Mario Mattoli avec Alida Valli le 20 mai 1942 ou encore, le 7 octobre 1942, La Comédie du bonheur de Marcel L’Herbier avec Micheline Presle, Michel Simon, Jacqueline Delubac et Ramon Novarro.

Suivent Battement de cœur de Henri Decoin avec Danielle Darrieux le 25 novembre 1942, la production Continental Films L’Assassin habite au 21 de Henri-Georges Clouzot le 13 janvier 1943, la production André Paulvé Les Visiteurs du soir de Marcel Carné le 5 mai 1943, le premier long métrage tourné en Agfacolor La Ville dorée de Veit Harlan le 20 octobre 1943, L’Éternel retour de Jean Delannoy avec les lumineux Jean Marais et Madeleine Sologne le 9 février 1944, l’adaptation de Simenon L’Homme de Londres de Henri Decoin avec Jules Berry le 29 mars 1944 ou bien La Guerre des gosses de Jacques Daroy le 2 août 1944.

Après la Libération et une période de fermeture, le Saint-Didier retrouve son son propriétaire M. Nemirowsky et reprend son activité à partir du 19 septembre 1945. C’est avec Les Hauts de Hurlevent de William Wyler, sorti avant-guerre au Biarritz mais interrompu dans sa carrière durant l’Occupation, que le Saint-Didier accueille à nouveau son public. La programmation est américaine et les films sont désormais en version doublée : Au revoir Mr. Chips de Sam Wood le 31 octobre 1945, Prisonniers du passé de Mervyn LeRoy le 12 décembre 1945 ou bien Les Aventures de Robin des Bois de Michael Curtiz et William Keighley avec Errol Flynn dans le rôle-titre le 26 décembre 1945.

Ci-dessus: Les Aventures de Robin des Bois de Michael Curtiz et William Keighley le 26 décembre 1945.

Seul le magnifique Falbalas de Jacques Becker avec Micheline Presle et le grand Raymond Rouleau le 24 octobre 1945 trouve sa place cette année-là dans un programme 100% américain. La mise en place des accords Blum-Byrnes signés le 28 mai 1946 avec l’intégration de quotas étoffe la présence des films français sur l’écran du Saint-Didier, parmi lesquels : L’Idiot de Georges Lampin avec Gérard Philipe et Edwige Feuillère la semaine du 30 octobre 1946, Les Démons de l’aube d’Yves Allégret le 27 novembre 1946, Un Revenant de Christian-Jaque avec Louis Jouvet le 19 février 1947, l’éternel La Belle et la Bête de Jean Cocteau le 7 mai 1947, le film noir Non coupable de Henri Decoin avec l’inquiétant Michel Simon le 25 février 1948, L’Armoire volante de Carlo Rim avec Fernandel le 24 août 1949, Rendez-vous de juillet de Jacques Becker le 5 avril 1950 ou bien le film à sketches Souvenirs perdus de Christian-Jaque le 7 mars 1951.

Ci-dessus: Cendrillon de Walt Disney et le court métrage La Vallée des castors le 11 avril 1951.

En 1953, les résultats de l’exploitation sont réconfortants pour les professionnels. En effet, cette année-là, une hausse de 13 millions de spectateurs est enregistrée par rapport à l’année 1952. Le C.N.C. souligne que la fréquentation atteint son apogée en 1947 avec près de 420 millions de spectateurs puis ne cesse de décroître pour tomber à 356 millions en 1952. Cerise sur le gâteau, près de la moitié des recettes est réalisée par des productions nationales.

Durant les années 1950, lorsqu’on pousse les portes du Saint-Didier, on peut y découvrir sur son écran Manon des sources de Marcel Pagnol le 1er avril 1953, Ivanhoé de Richard Thorpe le 15 avril 1953, Le Salaire de la peur de Henri-Georges Clouzot le 14 septembre 1953, l’exquis Chantons sous la pluie de Stanley Donen et Gene Kelly le 23 décembre 1953 ou encore Si Versailles m’était conté… du maître Sacha Guitry à partir du 28 avril 1954 pour deux semaines.

Ci-dessus: Si Versailles m’était conté… de Sacha Guitry le 28 avril 1954.

Le péplum hollywoodien La Tunique de Henry Koster inaugure le 22 décembre 1954 les nouvelles installations CinémaScope du Saint-Didier. Il est suivi le 23 mars 1955 de Quo vadis de Mervyn LeRoy, puis des Diaboliques d’Henri-Georges Clouzot le 13 avril 1955, de La Belle et le clochard de Walt Disney le 28 mars 1956, de Picnic de Joshua Logan le 12 décembre 1956, d’Un Condamné à mort s’est échappé de Robert Bresson le 23 janvier 1957 ou d’Elle et lui de Leo McCarey avec Cary Grant et Deborah Kerr le 25 décembre 1957.

Suivent le sublime Ascenseur pour l’échafaud de Louis Malle le 14 mai 1958, Le Pont de la rivière Kwaï de David Lean le 1er octobre 1958, Mon oncle de Jacques Tati le 12 novembre 1958, En cas de malheur de Claude Autant-Lara avec Jean Gabin et Brigitte Bardot le 14 janvier 1959, Les Dix Commandements de Cecil B. DeMille le 6 mai 1959, Sueurs froides (Vertigo) d’Alfred Hitchcock, le 27 mai 1959 ou bien Les Amants de Louis Malle le 28 octobre 1959.

Le journaliste et historien du cinéma Maurice Bessy dans un article intitulé « Le tournant » qui paraît dans Le Film français du 21 février 1958 évoque l’inquiétude de l’industrie cinématographique face à la télévision « déjà triomphante » et se montre particulièrement pessimiste : « Aucun prophète n’était suffisamment lucide pour prévoir le sort d’un Art qui nous est cher et dont la disparition définitive paraissait improbable ». Cette antienne de la disparition du Septième art est entendue depuis ses débuts jusqu’à aujourd’hui, plus de soixante ans après l’article de Maurice Bessy.

Les salles de quartier les plus fragiles et qui ne peuvent investir dans la modernisation de leurs équipements sont menacées, de même que les salles de banlieue. En ce début des années 1960, le Saint-Didier poursuit néanmoins sa programmation avec J’irai cracher sur vos tombes de Michel Gast d’après Boris Vian le 6 janvier 1960, le premier long métrage de Jean-Pierre Mocky Les Dragueurs le 10 février 1960, Le Bossu d’André Hunebelle avec le génial Jean Marais le 13 avril 1960 ou encore Le Pigeon de Mario Monicelli avec Vittorio Gassman le 8 juin 1960.

Ci-dessus: Salomon et la Reine de Saba de King Vidor le 25 mai 1960. 

A partir du 29 juin de la même année, le Saint-Didier propose une reprise de l’adaptation de Georges Simenon, Les Inconnus dans la maison. Produit par Continental Films et réalisé en 1942 par Henri Decoin, le film interprété par l’immense Raimu est le dernier projeté sur l’écran du Saint-Didier dont la dernière séance a lieu le 5 juillet 1960.

Texte: Thierry Béné.
Documents: La Construction moderne, Gallica-BnF, France-Soir.