Adresse: 13 avenue du Général de Gaulle à Arpajon (Essonne)
Nombre de salles: 5
Anciennement: Le Français, Les Stars

Le 15 octobre 2022 a été inauguré le nouveau cinéma d’Arpajon, le Première Cinéma. Ce complexe de cinq salles possède une longue histoire vieille de soixante-quinze ans. L’occasion d’un retour en arrière pour découvrir les différentes transformations de la salle autrefois appelée Le Français puis Les Stars.

La ville d’Arpajon ne dispose avant-guerre que d’une seule salle, le Cinéma-Théâtre de l’Union, situé 8 boulevard Aristide Briand et dirigée par Georges Lamory. L’Union comprend 350 fauteuils et possède une scène de 2,8 sur 6,5 mètres qui permet également de recevoir les tournées.

1947, l’inauguration de la salle du Français.

Sur les lieux de l’actuel Première Cinéma, M. Lamory y entreprend en 1946 la construction d’un cinéma pour accueillir les spectateurs d’Arpajon qui compte alors près de 4000 habitants en plus du public potentiel des nombreuses communes voisines. Cette situation attractive conforte M. Lamory à ouvrir sa future salle qui arborera l’enseigne Le Français, une résonance forte après la période d’Occupation.

Le nouveau cinéma construit par l’architecte Vladimir Scob – célèbre pour le Vox de Strasbourg – dispose de 700 fauteuils répartis entre un orchestre et un balcon. La salle répond alors à d’excellentes normes d’exploitation à un moment où bon nombres de salles parisiennes sont dans un état déplorable, faute de pouvoir investir dans des rénovations en cette période d’après-guerre encore faite de restrictions et rationnements. La presse souligne alors le luxe et le confort du Français, un cinéma de grande banlieue situé à 34 km de Paris.

Cinéma Arpajon

Ci-dessus: la salle en 1947.

Cinéma Arpajon

Ci-dessus: coupe et plan.

La revue La Cinématographie française évoque dans son numéro du 21 juin 1947 les caractéristiques du Français « construit sur un emplacement de 1500 mètres carrés. La salle et le hall d’entrée couvrent environ 500 m², les dépendances principales 100 m² ».

A cette époque marquée par la tragédie de l’incendie du cinéma Sélect de Rueil, la question de la sécurité est essentielle : « Les constructions sont placées de telle façon qu’en cas de danger la salle peut être évacuée sur les jardins, en avant et en arrière des deux grands côtés et du côté façade, en quelques instants (…) Il y a lieu de faire remarquer que lors de la réception des services de sécurité, aucune infraction n’a été relevée par les contrôleurs ».

La revue professionnelle se penche ensuite sur la façade et le hall : « Bien que la façade soit seyante et pratique pour l’exposition de la publicité, aucun effort spécial n’a été fait pour lui conférer un cachet d’originalité spécial. De grandes baies vitrées donnent sur un hall assez spacieux (…) Ce hall très agréable a reçu une décoration florale, variable selon les saisons. A droite de la caisse les lavabos hommes et les toilettes femmes avec glaces, à gauche du bar. Le bar ainsi aménagé ne gêne en rien la circulation. Le grand escalier qui dessert le balcon et les loges part de l’entrée du hall, à gauche ».

Comme tous les cinémas de l’époque, le Français possède une scène pour d’éventuels spectacles : « La scène mesure, du proscénium à l’écran, 4 mètres, de l’écran au mur de fond, 2 mètres 50, pour une largeur de 13 mètres. Le rideau d’eau qui se déclenche de la scène est monté derrière le premier rideau de scène et isolerait parfaitement, en cas d’incendie, la scène de la salle (…) Le haut-parleur « Charlin », nouveau modèle, est monté sur un chariot et peut se déplacer en quelques secondes pour être rangé sur les côtés de la scène. L’écran est disposé sur un bâti qui se déplace sur deux glissières placées à la partie supérieure de la scène ». En cas d’attractions ou de spectacles, « il se plaque contre le mur de fond, laissant la scène entièrement libre ». 

Cinéma Arpajon

Ci-dessus: la salle en 1947.

Cinéma Arpajon

Ci-dessus: le hall en 1947.

A l’entresol et au premier étage, les loges peuvent accueillir une quinzaine d’acteurs minimum. Sur le côté gauche de la scène, un local est aménagé pour quatre décors de scène. Les rideaux de scène « sont en soie de verre jaune, le rideau réclame représente les célèbres halles d’Arpajon un jour de marché. Trente-deux panneaux-réclame y trouvent place ».

La Cinématographie française se concentre sur la salle : « Du hall, on ne pénètre pas directement dans la salle elle-même, un espace de quelques mètres les sépare (…) Le parterre comprend des loges spacieuses et environ 600 fauteuils confortables. La décoration de la salle est harmonieuse. L’ensemble plait à l’œil, soit qu’on l’examine du parterre, soit que l’examen soit fait du balcon ou de la scène. Le traitement acoustique est tout à la fois décoratif. C’est un tissu d’amiante ocre rose qui s’harmonise avec la couleur de la scène. Les appliques monumentales sont blanc et or. Le plafond vers la scène est peint couleur ton mastic, en vue d’absorber la lumière du cône de projection. Le luminaire disposé adroitement, concourt également à la décoration de la salle. Il est constitué de grandes appliques vers le parterre, petites appliques sur le balcon ».

Cinéma Arpajon

Ci-dessus: la cabine de projection en 1947.

La cabine de projection est une installation Actuacolor des établissements Charlin. Elle comporte deux projecteurs du dernier modèle sorti par ce fabricant. En avance sur son temps, le cinéma a installé dans l’un des jardins un garage de bicyclettes et motocyclettes.

Le 2 avril 1947, Pas si bête avec Bourvil inaugure le Français. Encore à l’affiche des salles d’exclusivité de la capitale, le film d’André Berthomieu est proposé pour l’inauguration du nouveau cinéma d’Arpajon. Des productions américaines, invisibles durant l’Occupation, y sont rapidement à l’affiche après leurs exclusivités parisiennes : Madame Miniver (1942) de William Wyler la semaine du 14 mai 1947, Docteur Jekyll et M. Hyde (1941) de Victor Fleming celle du 28 mai ou encore Les Cinq secrets du désert (1943) de Billy Wilder le 18 juin.

Ci-dessus: Les Cinq secrets du désert (1943) de Billy Wilder à l’affiche le 18 juin 1947.

Suivent cette même année La Symphonie pastorale de Jean Delannoy avec Michèle Morgan le 13 août, Les Enfants du Paradis de Marcel Carné – les deux époques en une séance – le 8 octobre, L’Odyssée du docteur Wassell de Cecil B. DeMille le 22 octobre et enfin Pour qui sonne le glas (1943) de Sam Wood avec le couple mythique Gary Cooper et Ingrid Bergman le 10 décembre. L’année 1947 se termine avec le superbe film de Jacques Becker Antoine et Antoinette à partir du 24 décembre. Selon le CNC, la fréquentation du Français cette année-là varie entre 2000 et 3500 entrées hebdomadaires selon l’importance du film.

La Cinématographie française du 31 décembre 1948 mène une enquête dirigée par A. Honoré sur les salles de la banlieue sud-ouest de Paris : une baisse de 15 à 25% de la fréquentation est observée pour cette année. Selon le journaliste, les causes principales de cette désaffection du public sont une insuffisance générale des programmes moyens qui touchent plus particulièrement la petite exploitation. Dans ce contexte, les salles rénovées ou sans concurrence résistent particulièrement. C’est le cas du Français d’Arpajon pour qui, comme l’explique M. Lamory, l’année 1948 est un bon cru : « Il faut dire qu’Arpajon a 4000 habitants, moins drainés que d’autres vers Paris, et offre avec ses environs 12 à 15 000 clients possibles ». Avec un accent placé sur la publicité locale, M. Lamory récolte « des recettes de 100 à 120 000 frs (en 8 séances avec une salle catégorie E) et des places de 45 à 55 francs ».

Pour l’année 1948, les succès sur l’écran du Français sont Clochemerle de Pierre Chenal, Blanc comme neige d’André Berthomieu avec Bourvil ou encore D’homme à hommes de Christian-Jaque. Interprété par Jean-Louis Barrault, ce nouveau film du prolifique réalisateur est « passé à Arpajon avant Paris » comme le précise fièrement M. Lamory.

Le Français poursuit sa carrière de cinéma de proximité durant les décennies suivantes. Au fil des ans, parmi les films à l’affiche, on trouve chaque semaine une production nationale ou américaine différente. Les films des studios hollywoodiens arrivent souvent tardivement sur les écrans français. On peut citer Dumbo (1941) de Walt Disney à l’affiche le 25 février 1948, Qu’elle était verte, ma vallée (1941) de John Ford le 5 mai 1948, Remorques de Jean Grémillon avec Jean Gabin le 3 octobre 1951, Autant en emporte le vent (1939) de Victor Fleming le 4 juin 1952, l’immense succès Le Petit Monde de don Camillo de Julien Duvivier avec Fernandel et Gino Cervi le 28 janvier 1953 ou encore Le Boulanger de Valorgue de Henri Verneuil, toujours avec Fernandel, le 27 janvier 1954.

 

Ci-dessus: Dumbo de Walt Disney et Le Petit Monde de don Camillo de Julien Duvivier à l’affiche les 25 février 1948 et 28 janvier 1953.

Suivent Quo vadis ? (1951) de Mervyn LeRoy le le 2 février 1955, Les Misérables de Jean-Paul Le Chanois avec Jean Gabin la semaine du 15 octobre 1958 pour la première époque et celle du 22 octobre pour la seconde, Ben-Hur (1959) de William Wyler le 21 janvier 1962, La Mort aux trousses (1959) d’Alfred Hitchcock le 22 mai 1963, Lawrence d’Arabie de David Lean le 22 janvier 1964, Le Corniaud de Gérard Oury le 23 juin 1965, le musical My Fair Lady de George Cukor avec Audrey Hepburn le 26 octobre 1966 ou bien encore La Grande vadrouille de Gérard Oury le 20 avril 1967. Les aventures du duo De Funès-Bourvil, exceptionnellement à l’affiche pour deux semaines, y attirent 6396 spectateurs.

Durant les vacances scolaires, le Français est le lieu où les enfants d’Arpajon se retrouvent pour la projection des longs métrages des studios Disney. Au programme, entre autres, l’incontournable Blanche-Neige et les Sept Nains les 10 avril 1963, 13 février 1974 et 15 février 1984, Les 101 Dalmatiens les 1er mai 1963 et 21 février 1973 ou bien Merlin l’enchanteur le 26 mai 1976.

Ci-dessus: Le Corniaud de Gérard Oury le 23 juin 1965.

Ci-dessus: Blanche-Neige et les Sept Nains le 10 avril 1963.

Ci-dessus: Un monde fou, fou, fou, fou de Stanley Kramer le 29 décembre 1965.

La transformation en multisalles Les Stars.

Au cours des années 1970, M. et Mme Lamory confient leur cinéma en gérance. A cette période, alors que fleurissent les complexes multisalles, le Français reste un cinéma mono-écran de 600 fauteuils. Mais la salle s’essouffle et ferme de nombreux mois. Le couple reprend la gestion de leur salle et entament une vaste restructuration pour le mettre au goût du jour : le complexe de trois écrans est né.

Le 22 décembre 1982, les Arpajonnais retrouvent ainsi leur cinéma, désormais exploité sous l’enseigne Les Stars. La revue Le Film français commente la réouverture dans son édition du 7 janvier 1983 : « Les Stars, seul cinéma d’une ville qui avec ses alentours rassemblent environ 27 000 habitants, résulte de la transformation par le cabinet d’architectes parisiens Baltrusaitis-Gayet-Daronian et Verdres (maîtres d’œuvre Boutonat & Charlot) du Français, salle de 600 places (…) Les trois salles d’une capacité de 400, 100 et 100 places sont munies de fauteuils Franc Sièges (…) Les cabines de projection sont équipées en matériel Cérit. La grande salle pourra être équipée en son Dolby Stéréo dans l’avenir ».

Pour cette première semaine d’ouverture su complexe, les spectateurs ont le choix entre trois films à l’affiche des trois salles : La Boum 2 de Claude Pinoteau avec Vic/Sophie Marceau, La Baraka de Jean Valère avec Roger Hanin et le peu mémorable Deux Débiles chez le fantôme de Lang Elliott.

Cinéma Stars Arpajon

Ci-dessus: Les Stars en avril 1998.

Les plus grands succès défilent sur les trois écrans des Stars permettant ainsi aux cinéphiles d’Arpajon de bénéficier d’une offre généraliste. En 2003, la famille Colin prend la tête des Stars ainsi que des 4 Perray de Sainte-Geneviève-des-Bois. Jeanine Colin confie la direction des deux sites à ses fils Richard et Frédéric. Au début de l’année 2020, les exploitants résilient le bail de leurs deux complexes. Le Star ferme ses portes le 5 janvier de cette même année.

La municipalité d’Arpajon, partie prenante du maintien d’un cinéma au centre-ville, conforte les propriétaires des murs ainsi que diverses sociétés d’exploitation de salles, pour garantir une offre cinématographique. En octobre 2020, le Groupe des Exploitants et des Cinémas Indépendants (GECI) dirigé par Charles Vintrou, associé à la société Hildegarde (propriétaire des revues Le Film français et Première), trouvent un accord avec les bailleurs pour reprendre l’exploitation du cinéma d’Arpajon. La société GECI acquiert les murs des sites d’Arpajon et de Sainte-Geneviève-des-Bois à Monsieur Lamory. La direction des deux sites essonniens est confiée à Yohan Delamare.

Des travaux d’ampleur, dirigés par les architectes Gilles Loussouarn et Régis Grima, sont lancés. C’est sous l’enseigne Première Cinéma que, dès le 15 octobre 2022, cinq nouvelles salles de 600 fauteuils accueillent les spectateurs. La revue Box-Office Pro commente, sous la plume de Marion Delique, les transformations dans son édition du 28 octobre : « La façade et l’entrée du site, refaites à neuf, invitent les spectateurs à redécouvrir les cinq salles qui ont été redistribuées pour rendre l’ensemble du cinéma accessible aux personnes à mobilité réduite (…) Avec des fauteuils, revêtements et écrans neufs, le site jouit également d’un nouveau système de climatisation (…) Une salle Premium équipée d’un bar de 29 fauteuils inclinables, avec prises USB intégrées, permettra l’accueil de groupes ou de séances exceptionnelles. Un espace pour les enfants a aussi été aménagé afin d’animer des ateliers ou de célébrer des anniversaires ».

De son côté, Kévin Bertrand dans Le Film français du 21 octobre 2022, souligne la synergie entre le magazine Première et le complexe et évoque « le passage sous les couleurs du magazine, se traduisant – outre son enseigne – par l’installation de 60 couvertures encadrées du mensuel et le flocage des cartes tarifaires et supports de communication, entre autres ».

Les habitants d’Arpajon ont enfin retrouvé leur cinéma de proximité, classé Art et Essai dans un nouvel et magnifique écrin.

Tarifs et programme du Première Cinéma à Arpajon.

Textes: Thierry Béné
Documents: La Cinématographie française, Le Film français, France-Soir, GECI, Première Cinémas