On n’attendait pas forcément Mathieu Amalric relever le défi de filmer Simenon au cinéma, l’immense auteur ayant essuyé des adaptations souvent trop conventionnelles. Après le succès de « Tournée » , Amalric s’est emparé d’un « roman dur » du prolifique romancier et l’a filmé dans l’urgence, en trois semaines. On sait que Simenon écrivait lui-aussi très vite ses livres dans un style sec, vif et cru que Mathieu Amalric a respecté. Très fidèle au roman édité en 1964, parfois au dialogue près, Mathieu Amalric décrit une passion adultérine dans une ville provinciale. Il y a forcément quelque chose cher à Claude Chabrol dans ce polar qui est surtout une étude des mœurs provinciales. L’aîné d’Amalric avait également très scrupuleusement adapté deux livres du romancier: « Les fantômes du chapelier » et « Betty ».
En cet été caniculaire, on surprend Julien Gahyde (Mathieu Amalric), entrepreneur de machines agricoles, au lit avec sa maîtresse Esther (Stéphanie Cléau) dans la chambre bleue d’un hôtel en face de la gare. Derrière les volets tirés et la rumeur du bourg, on vit les ébats érotiques des deux amants qui ne se sont pas revus depuis le lycée. L’idée de fuir cette vie monotone de province n’échappe pas à Julien et Esther qui envisagent, sans se le dire, de supprimer leurs conjoints respectifs.
« La chambre bleue » multiplie par bribes, grâce à un savant montage, les scènes clés du film: les retrouvailles des anciens amis, les scènes érotiques (magnifiques) dans la chambre bleue, le retour au foyer, les vacances aux Sables d’Olonne… Comme le juge d’instruction en charge de l’enquête (Laurent Poitrenaux), le spectateur doit reconstituer le puzzle des amants frénétiques dans un film fait de multiples huis-clos: la chambre de l’hôtel, la maison moderne de Julien, le bureau du juge d’instruction, la salle du tribunal. La seule échappée pour oublier sa relation adultérine consiste en un séjour aux Sables d’Olonne, sur des plages bondées. L’atmosphère hitchcockienne de « La chambre bleue » amplifiée par la musique de Grégoire Hetzel, bénéficie en outre d’une très belle photographie. On ne peut ne pas évoquer, une grande partie du film étant sous forme d’interrogatoire, le polar de Claude Miller « Garde à vue ». C’est à La Flèche (Saint-Justin-du-Loup du roman) et ainsi qu’à Luché Pringé qu’est transposée l’étouffante et oppressante vie provinciale de « La chambre bleue ».
Étonnant, parfois déconcertant, le film d’Amalric, malgré une scène de tribunal trop caricaturale, passe haut la main les adaptations réussies de Georges Simenon (celles très classiques de Pierre Granier-Deferre avec « Le Chat » et « La Veuve Couderc » et celles de Chabrol), dont la dernière en date pour le cinéma revient à Bela Tarr avec l’inquiétant « L’Homme de Londres« .
[…] « L’Homme de Londres » de Bela Tarr (2007) et « La Chambre bleue » de Mathieu Almaric (2014) sont les derniers et brillants exemples de films noirs […]