Les cinéphiles carcassonnais viennent d’apprendre avec choc et stupéfaction la fermeture annoncée du cinéma Le Colisée pour le 30 juin 2018. Notre contributeur Rémi Pastor, amoureux des salles de cinéma et originaire de la célèbre cité de l’Aude, nous parle de son cinéma et invite nos lecteurs à se mobiliser contre cette fermeture inadmissible.

Le Colisée, une des plus belles salles de cinéma de France.

Seul cinéma d’art et d’essai de Carcassonne, doté de quatre salles, dont trois sont actuellement en exploitation faute de remise aux normes de la part de l’ancien l’exploitant (Cap Cinéma racheté par CGR fin 2017) et pour un ensemble de raisons complexes, dont la grande, à l’italienne, est assurément l’une des plus belles de France,

Le Colisée accueille en son sein près de 50 000 spectateurs annuels avides de découvrir le dernier Almodovar, Xavier Dolan, Zviaguintsev, Panahi ou bien une pépite venue d’ici et d’ailleurs, parce que la programmation exceptionnelle, assurée depuis 2005 par Vanessa Ode, est digne de l’ABC de Toulouse, du Diagonal Capitole de Montpellier, du Katorza de Nantes, des Carmes d’Orléans ou encore des beaux cinémas indépendants parisiens, le permet.

Un cinéma citoyen et exigeant.

Le Colisée, c’est également – surtout! – un cinéma engagé, des séances hebdomadaires dédiées aux films programmés par Les Amis du Cinoch, association de cinéphiles créée en 1987 suite à la fermeture du cinéma Le Cinoch’, l’accueil régulier de nombreuses associations et de divers collectifs locaux pour de vivantes soirées-débats, tels que Nature et Progrès, les Amis du Monde Diplomatique, opposants au gaz de schiste, la Ligue des Droits de l’Homme, Biocoop, la Confédération Paysanne, l’association Survie, ADOC 11, Couleurs citoyennes, Ecol’Aude Montessori, le collectif carcassonnais pour une transition citoyenne, le Planning Familial de maintes collectifs féministes, comme le collectif Droit des Femmes, entre autres.

C’est la venue de nombreux réalisateurs pour présenter leurs films et échanger avec le public nombreux, de Gabriel Le Bonnin (venu avec Grégory Dérangère) à Alanté Kavaïté en passant par Florence Moncorgé-Gabin, Claire Simon, Reza Serkanian, Camille de Casabianca et bien entendu, le local de l’étape, Yves Jeuland.

Le Colisée, ce sont des centaines d’enfants, de collégiens et de lycéens qui viennent découvrir des films du patrimoine chaque semaine dans ses salles via les dispositifs écoles/collèges/lycées au cinéma; ce sont des semaines et des quinzaines dédiées aux films britanniques, hispanophones, italiens, chinois précédemment (avec des démonstrations culinaires, de coiffure, calligraphie ou encore de danse), des cycles psychanalyse et cinéma, la participation à des événements locaux (Festival Futuring à destination des jeunes, Des mots, des bulles, des pellicules, en partenariat avec la superbe librairie Mots et cie, Femme(s) en Jeux avec les collectifs féministes, CinéSciences), nationaux (Festival Télérama), plusieurs séances Connaissance du monde par an pleines à craquer, une programmation spécifique à destination du jeune public avec l’organisation de goûters ciné ponctuels, la participation au Concours national de nouvelles liées au cinéma, et j’en passe…

Le Colisée, c’est une équipe extraordinaire menée par Maïtée Castres, plus de trente années d’ancienneté au sein des cinémas carcassonnais, qui refusa en 2007 de rejoindre l’équipe du multiplexe par amour pour le Colisée et son public, pleine de projets d’avenir (installation d’un café convivial pour encourager les rencontres après les séances, …), qui se bat depuis plusieurs années pour continuer à faire vivre ce lieu extraordinaire, accueillant toujours avec sourire, dynamisme et passion, le public désireux d’avoir des étoiles plein les yeux et d’ouvrir ces derniers sur le monde, de trouver un lieu d’échange et de rencontres dans ce cinéma art et essai où tout le monde, ou presque, se connaît, souvent même depuis de très nombreuses années.

Une salle qui transmet la passion de la cinéphilie.

Je pourrais vous en parler des heures et des heures tellement j’y ai passé de temps cinéphile depuis mon enfance (je me rappelle une séance du « Bossu de Notre-Dame » de Disney dans sa grande salle, ou encore de « Mulan »), dévoré par cette magnifique passion que nous sommes nombreux.ses à partager, celle du 7ème art, dans sa diversité et sa beauté. J’y ai vu mon premier film en version originale quand j’étais ado, c’était « Broken Flowers » de Jim Jarmusch.

J’ai commencé à y aimer profondément Almodovar, avec « Volver ». J’y ai été bouleversé par la claque « Divines », premier film d’Houda Benyamina. Je m’y suis sévèrement ennuyé devant « Adieu au langage » de Godard (je préfère largement ses jeunes années). J’y ai été ému de voir le dernier film de l’immense Ronit Elkabetz en 2014.

J’y ai vécu l’un de mes premiers chocs cinématographiques, avec « 8 Femmes », d’Ozon, j’avais alors dix ans et c’était un samedi soir dans la salle deux, envoûté par « Swimming Pool » plus d’un an plus tard, toujours salle deux mais un dimanche de mai cette fois, jour du palmarès du Festival de Cannes si je ne m’abuse. J’y ai découvert sur grand écran « Il était une fois dans l’Ouest » dans le cadre des séances consacrées au patrimoine (le cinéma dispose des classements art et essai, jeune public, recherche et découverte et Europa Cinéma).

J’y ai passé quelques après-midi dans ses salles alors étudiant à Montpellier revenu dans sa terre natale pour quelques jours de vacances qu’employé, toujours pendant la phase montpelliéraine de mes études, tantôt derrière ma petite caisse à échanger avec la clientèle sur l’extraordinaire « Black Swan » d’Aronofsky ou « The Tree of Life » de Terrence Malick, tantôt avec la programmatrice des lieux, Vanessa Ode, à découvrir les arcanes de la programmation art et essai d’un réseau de cinémas, tantôt encore avec Maïtée, pour observer le fonctionnement d’un cinéma depuis ses coulisses.

Aujourd’hui, cela fait cinq années que je vis à Paris, toujours étudiant, en thèse cette fois, que je fréquente ardemment les salles de la capitale, ses théâtres, ses expos, et pourtant chaque fois que je redescends à Carcassonne, je me réserve des films pour Le Colisée.

Une pétition contre la fermeture du cinéma Le Colisée.

Aujourd’hui, plus que jamais, la Culture, dans sa diversité, dans sa pluralité, est un vecteur d’ouverture au monde et de développement de soi. Dans cette lignée, le cinéma en tant qu’art nous permet d’ouvrir les yeux sur ce qui nous est inconnu, de poser un regard sur le monde, de réfléchir sur les rapports entre autrui et nous-même, sur la société en général et ses évolutions.

Carcassonne ne peut décemment pas perdre son seul cinéma d’art et d’essai de centre-ville, absolument indispensable au fragile dynamisme culturel d’une ville moyenne très durement touchée économiquement.

La pétition, initiée par Les Amis du Cinoch’, association de cinéphiles locaux programmant des films dans la salle du cinéma Le Colisée a besoin de tous les soutiens.

Rémi Pastor

Historique et photos du cinéma Le Colisée de Carcassonne.

L’article ci-dessous rend compte des nouvelles informations recueillies à la mi-mai 2018 par notre contributeur Rémi Pastor.

Mai 2018: le cinéma Colisée fermera le 30 juin 2018.

La société CGR a donc annoncé la fermeture du cinéma pour le 30 juin 2018 du fait d’un montant des travaux jugé prohibitif (1.3 millions d’euros) et de la précarité du bail la liant au propriétaire (la société Hôtels du Soleil, qui venait alors de mettre en vente l’immeuble du Colisée). Or, nous avons appris que le propriétaire avait rompu le bail pour non exécution des travaux à charge du locataire (ce qui, selon la mairie, serait une rupture illicite).

De fait, la pétition propose la réouverture de l’ancien cinéma Odéum. Créé en 1927, ce cinéma comptait dès les années 1980 quatre salles et a été fermé, puis vendu à la mairie par Cap Cinéma à l’ouverture du multiplexe en octobre 2007. La municipalité Larrat alors aux affaires souhaitait en faire un centre de congrès, malgré l’inadaptation des lieux. Entre 2009 et 2010, le changement de municipalité ainsi que la découverte d’amiante dans le bâtiment marquèrent l’ajournement du projet. Au printemps 2011, le rachat des murs du Colisée par la société Hôtels du Soleil menaça la poursuite de l’activité du cinéma: il fut alors question une première fois de le transférer à l’Odéum alors désamianté. Des différends entre la mairie et l’ancien exploitant ne permirent pas au projet d’être mené à son terme (une étude aurait même été commandée par la municipalité Pérez et fait état d’un devis de 2 à 2.5 millions d’euros de travaux pour un cinéma de trois salles à l’Odéum). En 2014, la municipalité Larrat revient aux affaires et évoque le projet d’une maison des associations au sein de l’Odéum (ni voté, ni budgété en conseil municipal jusqu’à ce que soit demandée la réouverture en tant que cinéma…), alors même que la ville a inauguré un centre de congrès en 2017 et que de nombreuses salles peuvent déjà accueillir les associations locales. La proposition de réouverture du cinéma Odéum par les cinéphiles carcassonnais tient à la complexité du dossier du Colisée (l’immeuble ayant été de surcroît vendu entre temps) et – surtout – au fait que le bâtiment est vide depuis plus de dix ans maintenant. La mairie de Carcassonne refuse toutefois de céder le bâtiment.

Le 17 mai 2018, en conseil municipal de la ville, le maire de Carcassonne a proposé de dédier dans la future « maison des associations et de la vie culturelle » (quatre salles respectivement de 77, 78, 139 et 450 places) une SEULE SALLE (celle de 139 places) pour l’activité cinématographique, partagée avec d’autres associations, dont l’exploitation serait confiée soit aux Amis du Cinoch (l’association de cinéphiles locaux à l’origine de la pétition), soit à un exploitant spécialisé dans les petites villes de provinces, dont on ne connaît pas le nom et apparemment intéressé pour exploiter une à deux salles à Carcassonne, selon les propos du maire. Cette maison des associations n’ouvrirait que fin 2019. Elle est encore en attente de budgétisation par les services de la Ville. Entre-temps, il s’agit de trouver une solution de continuité pour le cinéma art et essai à Carcassonne. Une convention lie la ville et la société CGR pour l’exploitation d’un cinéma d’art et d’essai à Carcassonne jusqu’au 31 décembre 2018. Or, le bail entre CGR et le propriétaire du Colisée (Hôtels du Soleil) prend fin le 30 juin. La mairie propose deux options: l’ouverture de négociations avec CGR et le propriétaire du Colisée pour l’exploitation du cinéma jusqu’à fin 2019 ou une programmation cinématographique au Chapeau-Rouge (ancienne salle de cinéma, pornographique notamment, devenue une salle de concerts et de résidence d’artistes, dans le quartier de la Trivalle, au pied de la cité médiévale).

En l’état les cinéphiles carcassonnais ne trouvent la proposition ni décente, ni satisfaisante, ni concrète, puisque la ville ne disposerait plus de véritable cinéma ni art et essai ni en son centre. Elle ne répond absolument pas à la demande cinématographique des carcassonnais et des cinéphiles, en termes de fréquentation (50 000 spectateurs annuels, dont des milliers de scolaires) et de programmation (une dizaine de films par semaine). Nous poursuivons notre mobilisation pour un VRAI cinéma d’art et d’essai au centre-ville de Carcassonne dans les locaux de l’Odéum. En outre, nous dénonçons les approximations et la méconnaissance du dossier dont fait preuve le maire (qui juge par ailleurs « pas terrible » la fréquentation du Colisée et ses salles, tout en s’octroyant la paternité du classement art et essai décroché en 2008, alors qu’il est le fruit de l’exceptionnelle programmation et de l’incroyable travail d’animation mené par l’équipe et ses partenaires – cf pièce-jointe). Ville, exploitant (Cap Cinéma puis CGR) et propriétaire (Hôtels du Soleil) ne cessent de se renvoyer la balle par voie de presse interposée depuis dix ans maintenant, stop! Les carcassonnais en ont marre d’être les dindons de la farce et souhaitent que chaque partie prenne ses responsabilités, à commencer par la municipalité. On ne lâche rien!

Lien vers la page Facebook de soutien au Colisée.

L’article ci-dessous rend compte des nouvelles informations recueillies en novembre 2018 par notre contributeur Rémi Pastor.

Dernière minute: la menace de la fermeture du Colisée écartée.

Suite à l’exceptionnelle mobilisation (plus de dix mille signatures sur la pétition) pour sa survie, l’ouverture du Colisée a dans un premier temps été prolongée jusqu’au 17 juillet, avant que ne soit actée la réouverture des salles au 15 août. Depuis, le Colisée est bel et bien ouvert et continue d’accueillir les nombreux spectateurs avides de découvrir sa magnifique programmation. Une rencontre entre CGR, le propriétaire des murs et la mairie de Carcassonne à l’hôtel de ville le 30 août dernier a donné lieu à un accord de principe pour le maintien de l’activité cinématographique d’art et essai au centre-ville, non plus dans les locaux de l’ancien cinéma Odéum comme cela avait pu être envisagé, mais dans les murs actuels du Colisée. Le projet porterait sur trois salles: la grande salle de l’étage et deux nouvelles salles créées au rez-de-chaussée. La mise en oeuvre d’un accord définitif est liée à l’acceptation des plans proposés par CGR. A ce jour, les cinéphiles ne disposent pas de nouvelles informations sur l’avancée du dossier et, heureux de profiter à nouveau de cet exceptionnel écrin qu’est le Colisée, restent vigilants.