Il y a cinquante ans sortait sur les écrans le scandaleux « Belle de jour » , un des chefs-d’oeuvre de Luis Bunuel. A soixante ans passés, le cinéaste mexicain d’origine espagnol, qui avait fait ses classes dans l’entre-deux guerre auprès des surréalistes, repart de la Mostra de Venise auréolé du Lion d’Or. Le rôle-titre est incarné par Catherine Deneuve, alors âgée de vingt-quatre ans seulement.
Le film ressort dans les salles de cinéma dans une version restaurée 4K. A l’évidence, « Belle de jour » n’a pas pris une ride, tant dans son propos, toujours tabou, que dans son formalisme. Le traitement de la frustration sexuelle et des désirs enfouis reste avant-gardiste dans cette France du général De Gaulle où les femmes, pour la plupart, sont encore soumises à leurs maris et dévolues au rôle de maîtresse de maison.
Luis Bunuel et son scénariste Jean-Claude Carrière, en adaptant le livre de Joseph Kessel édité quarante ans plus tôt (en 1928), scrutent les désirs secrets de Séverine (Catherine Deneuve), une jeune bourgeoise qui, bien qu’amoureuse de son médecin de mari (Jean Sorel), ne prend aucun plaisir sexuel avec lui. C’est alors que le cynique Husson (Michel Piccoli) lui évoque une « maison » discrète qui pratique l’amour tarifé.
On a parlé de masochisme pour évoquer le personnage de Séverine, ce qui n’est pas du tout l’état du personnage. La jeune femme, dont on devine la frigidité, est engoncée dans son milieu bourgeois où le plaisir sexuel féminin est un sujet tabou. La femme bourgeoise rime plutôt avec maternité et tenue du foyer. Séverine franchit la porte de la prostitution, non par nécessité d’argent, mais plutôt pour fantasme
Comme dans « Loulou » de Maurice Pialat sorti quelques années plus tard, c’est dans la transgression et la fascination de l’interdit que la femme bourgeoise s’initie au plaisir sexuel. Coucher avec un homme qui n’est pas de son milieu social, voire avec une petite frappe ou un truand, est le désir commun des femmes de « Loulou » et « Belle de jour ». C’est un fantasme qu’elles doivent assouvir pour, peut-être, revenir à une vie rangée et confortable. Ce sont des Madame Bovary du XXème siècle.
Bunuel, tel un psychanalyste, alterne les confrontations de Séverine auprès de ses clients (dont le cocasse Francis Blanche) avec de brèves évocations de son enfance et de sa pré-adolescence: refus de communier à l’église, attouchements d’hommes plus âgés…
Comme dans un rêve fantasmé, on assiste à des scènes de pratiques sexuelles humiliantes… Mais Séverine est une femme comme les autres, où fantasmes et désirs inavoués brûlent en elle. Sauf qu’elle franchit le pas de ses pulsions érotiques.
« Belle de jour » est un fascinant film psychanalytique porté par Catherine Deneuve, à la beauté diaphane et aux superbes tenues créées par Yves Saint-Laurent.
On ne peut mieux dire !