La sortie en version restaurée d’un des films préférés de son auteur permet de découvrir une œuvre majeure de la période mexicaine de Luis Buñuel (1900-1983) qui pointe ici une bourgeoisie patriarcale et dégénérée. Francesco (Arturo de Cordova), riche propriétaire catholique, fait la connaissance de Gloria (Delia Garces) lors de la messe du Jeudi Saint. Irrésistiblement attiré par ses pieds et son visage de madone, Francesco parvient à la séduire et se l’approprier, alors qu’elle est fiancée à Raoul (Luis Bersistain). Devenus mari et femme, Francesco s’enfonce dans une jalousie morbide et fait vivre à Gloria un véritable enfer.

Portée par Ronald Chammah et Les Films du Camélia, Él – littéralement Lui et traduit en France par Tourments – bénéficie d’une nouvelle sortie en version 4K pour ce film produit en 1953 et adapté du roman autobiographique éponyme (1926) de Mercedes Pinto. Dans sa grande demeure qui ressemble à un bunker de l’extérieur et à un fantasme rococo à l’intérieur, Francesco est un homme solitaire et autoritaire qui lutte pour conserver les derniers vestiges de sa classe, des terrains et des immeubles qu’il tente de récupérer par voie de justice.

Le héros névrosé use d’un habile stratagème pour subtiliser la fiancée de son ami Raoul et en faire sa chose. Lorsqu’il s’enfonce dans une paranoïa maladive, le spectateur comprend rapidement que Francesco porte le poids de sa classe sociale et qu’une impuissance sexuelle le condamne à la violence. La sexualité exacerbée de la belle Gloria (lors du voyage en train de nuit où en nuisette durant son sommeil) l’enfonce dans la folie meurtrière.

Avec ce récit très emprunt de psychanalyse et de fétichisme (Francesco tombe d’abord amoureux des pieds de Gloria), Luis Buñuel nous livre un magistral suspense à la Hitchcock où une profonde folie ravage tout sur son passage. Il n’y a aucun doute qu’Henri-Georges Clouzot connaissait Él lorsqu’il tourna son film inachevé L’Enfer (1964) avec Romy Schneider, repris par Claude Chabrol en 1994.