Une rétrospective d’Hitchcock est une bonne occasion pour se plonger, le temps de 2 heures, dans une autre époque. Une autre époque de cinéma, où la musique de fond n’est pas omniprésente, ou les plans durent plus longtemps, où les visages jouent d’expressions multiples, où les scènes de baisers, plus pudiques qu’aujourd’hui mais pas moins fougueuses pour autant. Et surtout une autre époque tout court, où l’on se plait à aimer les costumes bien droits, les hommes macho rasés de près et gominés, les femmes avec un bel accent distingué et les décors de lobby d’hôtel sous fond de beaux fauteuils en cuirs d’où des messieurs bien habillés fument leurs cigarettes avec cette classe d’antan. On en regretterait presque l’interdiction de fumer dans les lieux publics en vigueur de nos jours!
C’est dans ce contexte des années 50 que La Mort aux Trousses nous transporte. Roger O. Thornhill, (Cary Grant) publiciste new-yorkais chevronné mais néanmoins très attaché à sa maman, descend dans un bar chic après son travail. Là, il se fait prendre par méprise pour un espion du FBI par des agents probablement soviétiques, qui le kidnappent en pensant qu’il se nomme George Kaplan et qu’il est au cœur d’une affaire de microfilms. Thornhill s’échappe et retrouve au cœur d’une intrigue où il sera tour à tour accusé du meurtre d’un parlementaire US, séduit par une agent du FBI infiltrée chez l’ennemi et dont il tombera amoureux… Le tout en étant poursuivi par ses ravisseurs, alias Philip Vandamm (James Mason) et son bras droit Leonard (Martin Landau, le Rollin Hand de Mission impossible).
On retrouve dans ce film tous les éléments de fabrique d’Hitchcock. Bien entendu, l’intrigue, le suspense. L’histoire amène, avec son lot de personnages classiques (le chef du FBI, la femme fatale, le méchant et ses sbires, etc) de nombreux rebondissements, qui deviennent même un peu longs vers la fin.
Ensuite, certaines scènes sont très comiques, comme celle d’une course poursuite en état d’ivresse (plan de face du conducteur éméché avec en vue arrière l’animation typique de l’époque), ou celle où Thornhill, pris au piège par ses assaillants dans une vente aux enchères, propose des sommes ridicules afin d’attirer la police pour se faire escorter.
Enfin, on est captivé par certaines scènes magistrales, notamment celle où Thornhill, seul au milieu d’un champ, est poursuivi par un avion pulvérisateur qui le mitraille en allers et retours successifs (les plans d’attaque sur fond sonore de moteur sont fous de réalisme). On retiendra aussi la poursuite finale sur le Mount Rushmore, sous les visages solennels des présidents américains taillés dans le fameux monument.
Et bien sûr, pour couronner le tout, on entend des spectateurs sursauter lorsqu’un personnage manque de trébucher dans la falaise, ou lorsqu’un pistolet caché dans le dos est dégainé rapidement.
Preuve que le suspense d’Hitchcock fonctionne toujours terriblement et a encore de beaux jours devant lui!
Preuve que lorsqu’on respecte les codes du Cinéma le spectateur, quel que soit son âge, ne boude pas son plaisir. Et pourtant, si l’on fait exception de la fameuse séquence de l’avion qui sulfate précisément là où il n’y a rien à sulfater, ce qui crée une véritable démonstration au scalpel de la formation de l’angoisse puis de la prise de conscience qui engendre la peur ( un pur moment de bonheur pour le public ),voila bien un film qui a vieilli. Sir Alfred prend son temps, il joue avec nous. Pas uniquement avec l’histoire, mais aussi en ne cherchant nullement à dissimuler les artifices de décors extérieurs aux allures tellement factices que cela en devient humoristique. Enfin il y a l’élégance suprême de la métaphore du train pénétrant dans un tunnel,qui remplace l’étreinte des amants fuyant vers un monde enfin paisible… C’est le dernier plan, et là tout est pardonné !