A Paris, au numéro 16 de la rue Monge, le bien nommé Bricomonge propose dans ce coin du Quartier latin tout ce que les bricoleurs amateurs ou professionnels recherchent: des planches de bois, des outils, des ampoules… et des clous.
C’est « monsieur Jean » qui gère ce commerce depuis plus de trois décennies, entouré de ses fidèles employés. Mais à l’approche de la retraite et confronté aux changements de consommation des citadins, Bricomonge doit fermer définitivement ses portes. La « liquidation totale »: c’est ce moment que choisit le fils de Jean Bigiaoui pour connaître un peu mieux son drôle de père, commerçant farouchement indépendant et au passé révolutionnaire.
Formidable premier long-métrage documentaire de Samuel Bigiaoui, « 68, mon père et les clous » n’est pas uniquement la chronique d’une mort annoncée d’un petit commerce de quartier. C’est le portrait poignant de femmes et d’hommes, pour certains venus d’horizons lointains, réunis autour de monsieur Jean et accomplissant quotidiennement leur tâche pour avancer un peu plus dans la vie.
Il y a bien sûr les clients farfelus, les vieux habitués et les amis qui poussent les portes de Bricomonge. Il y a surtout l’humanité que le petit commerce – qu’il soit magasin de bricolage, librairie indépendante ou cinéma de quartier – offre à des citadins issus de toutes classes sociales et venant de toutes les régions du monde. A l’heure de la digitalisation du commerce, comment ne pas s’interroger sur la valeur qu’offre une relation, certes commerciale, où l’échange entre les individus prime?
« 68, mon père et les clous » , c’est aussi le regard attendri d’un fils pour son père. L’homme à la mèche blanche et au regard bleu s’est réfugié derrière son comptoir voilà plus de trente années, après un engagement révolutionnaire radical qui, on le découvre, aurait pu définitivement le perdre. En recréant dans son magasin une relation patron-employé dénuée de hiérarchie, monsieur Jean promeut un certain humanisme et, peut-être, un modèle économique d’avenir.
Samuel Bigiaoui réussit, avec pudeur et grâce à un brillant montage, à extirper les mots et les émotions chez cet homme discret et attachant qu’est son père. Les derniers plans du film nous laissent sans voix.
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