On connaît surtout du cinéaste Kaneto Shindō (1912-2012) son chef d’œuvre de l’épure sorti en 1960, L’Île nue, une chronique sans dialogue qui a voyagé sur les écrans du monde entier. Le distributeur Potemkine Films a l’heureuse initiative de faire découvrir deux œuvres restaurées du maître japonais, produites par le mythique studio Tōhō, Onibaba (1964) et Kuroneko (1968). Devant être programmé à Cannes en 1968, ce dernier film n’a pas été vu à l’époque par les festivaliers à cause des « événements ».

Inspiré des contes traditionnels japonais, Kuroneko relate le destin tragique d’une mère (Nobuko Otowa) et de sa belle-fille (Kiwako Taichi), violées et assassinées par des samouraïs dans leur maison isolée. Pour assouvir leur vengeance, les deux femmes, désormais mues en fantômes, attirent dans la forêt les samouraïs qui passent la porte de Rajomon. Tandis que la mère entame sa danse macabre, la jeune femme séduit les voyageurs. Au bord de l’étreinte, elle les mord mortellement dans la nuque. Jusqu’au jour où le mari et fils Gintoki (Nakamura Kichiemon), ancien paysan devenu un valeureux samouraï, revient après trois années de guerre…

Avec une mise en scène virtuose, Kaneto Shindō emprunte plusieurs chemins pour conter son passionnant récit: le fantastique, le film de vampires et le théâtre nô. Dotées d’images d’une grande beauté et de scènes oniriques qui empruntent aux contes et légendes du Japon, Kuroneko est une sublime histoire d’amour et de fantômes. Les deux spectres – la mère et se belle-fille – errent désespérément dans le monde des vivants en recouvrant leurs enveloppes charnelles pour mieux traquer leurs proies, avant la métamorphose en femmes-félins.

Il y a de la sensualité, de la magie et de la mythologie – le cinéaste fait référence Œdipe roi – dans ce chef d’œuvre de Kaneto Shindō qu’une musique de tambours composée par Hikaru Hayashi accompagne avec maestria. Le sublime rituel macabre dansé de la mère avant l’acte sacrificiel est l’un des nombreux et hallucinants plans de cette troublante découverte du cinéma japonais des années 1960.