Le distributeur Potemkine a l’heureuse opportunité de proposer sur le grand écran le version restaurée de deux films de Kaneto Shindō, réalisateur du film culte – et sans dialogue – L’Île nue (1960). Avec le formidable Kuroneko (1967), Onibaba forme une sorte de diptyque où le théâtre nô côtoie le conte fantastique.

Dans le Japon médiéval, la guerre entre plusieurs clans de samouraïs provoque une famine dans le pays. Une femme et sa belle-fille (Nobuko Otowa et Jitsuko Yoshimura), subsistent en assassinant les soldats en errance dans la campagne. Après voir caché les corps des défunts combattants au fond d’un trou formé au milieu des champs, elles revendent les armures à un receleur. Un jour, leur voisin Hachi (Kei Satō) revient du conflit d’où il a déserté. Ce retour perturbe l’équilibre mis au point par les paysannes, d’autant qu’une attirance sexuelle naît entre Hachi et la jeune femme.

Premier film en costumes de Kaneto Shindō (1912-2012) – le cinéaste japonais aux cents scénarii -, Onibaba est le récit cruel, sous la forme d’un huis clos dont l’action se situe dans la campagne japonaise, d’une humanité en déshérence. La guerre – qu’on ne voit jamais mais qui est la toile de fond de ce drame – est matérialisée par des soldats épuisés qui tombent, quelques soient leurs clans, dans le piège maléfique fomenté par les deux femmes. Dévorées par la faim, la vieille femme et sa bru attendent le retour du fils et mari. Bientôt sans espoir que ce dernier revienne, la jeune femme ne peut refreiner l’autre besoin vital, le sexe.

Onibaba bascule alors dans le genre fantastique lorsque la vieille femme, en revêtant un terrible masque de démon, joue sur les croyances ancestrales. Elle mettra ainsi tout en œuvre pour empêcher sa belle-fille en transe de s’adonner à la passion sexuelle et détruire leur fragile équilibre. Avec des images d’une grande beauté et un palpitant récit tragique, Kaneto Shindō subjugue par la précision de sa mise en scène et son aisance à manier le genre fantastique. Le terrifiant masque grimaçant est une des nombreuses images fortes de cet étonnant film qui, avec Kuroneko, permet de revisiter l’univers des contes et légendes du Japon, mêlés au théâtre de nô.

Onibaba de Kaneto Shindō