C’est un cinéaste changé qui revient sur les écrans avec son nouveau et très personnel film. Jean-Claude Brisseau a exploré, depuis son succès commercial de « Noce Blanche » qui avait révélé Vanessa Paradis, le thriller avec « L’Ange noir » et une trilogie sur le désir féminin (dont le réussi « Choses secrètes » et le navrant « Les Anges exterminateurs »). Apaisé, le réalisateur filme Michel, un professeur à la retraite (interprété par Brisseau himself), troublé par la fraîche présence de Dora, une jeune inconnue douée de pouvoirs paranormaux (la sensuelle Virginie Legeay à la diction presque rohmerienne).

Tourné dans son propre appartement de la rue de Maubeuge à Paris, le film de Jean-Claude Brisseau ne bénéficie pas d’un budget hollywoodien. Mais, pour reprendre Jean-Pierre Mocky, est-ce que les « films fauchés » ne sont pas pour autant dénués de qualité et dignes d’être distribués? Auto-produit par le cinéaste, « La Fille de nulle part » a reçu le Léopard d’Or du festival de Locarno en 2012. Cette récompense inattendue permet à ce film « artisanal » d’être projeté et d’avoir une existence qu’il n’aurait peut-être pas eue.

Attachant. C’est un peu ce qui ressort de ce film nostalgique, en forme de huis-clos, dans un Paris estival. Il y a dans « La Fille de nulle part » une atmosphère particulière: l’appartement défraîchi de Michel voit d’étranges habitants y évoluer, les morts y reviennent et les conversations entre les deux protagonistes sont d’ordre métaphysique… Il y a des réincarnation et du spiritisme aussi… Cet étrange film qui propose une vision iconoclaste de la spiritualité n’est pas dénué d’intérêt, bien au contraire, même si Brisseau ressasse finalement ses thèmes de prédilection: la mort, la réincarnation, le désir féminin.

Ce qui séduit, dans « La Fille de nulle part », outre son héroïne espiègle et sensuelle, c’est la tendresse d’une relation entre un ours mal léché et une femme à la jeunesse impertinente. Jean-Claude Brisseau dresse le portrait d’un homme qui compte ses dernières années, qui pleure son épouse défunte et ses jeunes années… Comme Moustaki et Reggiani, il vit désormais avec sa « bonne copine, la solitude ».

« La Fille de nulle part » est enfin un autoportrait de Jean-Claude Brisseau, ancien professeur lui-même, passionné de cinéma (ses étagères sont remplies de films) et se considérant « à la dérive ». Le réalisateur joue le rôle de Michel: derrière cette grande carcasse fatiguée, ses yeux pétillent en face de la jeune Dora et pleurent le temps passé. Emprunt d’une amertume, « La Fille de nulle part » est un film paradoxalement rafraîchissant.