De retour dans son village après un long séjour à Kiev, Mendele (Saul Rubinek) retrouve son ami d’enfance Folie (Antoine Millet) dont le mariage avec Yuna (Anisia Stasevich), secrètement amoureuse du premier, est prévu prochainement. Dans ce shtetl de Galicie, à la lisière de la frontière avec la Pologne, les fractures entre la tradition des pères et les idées nouvelles, notamment communistes, sont exacerbées par le citadin, apprenti cinéaste.

Pour son premier long-métrage de fiction, le cinéaste français Ady Walter propose un projet cinématographique ambitieux: tourné en Ukraine et filmé en noir et blanc, son film Shttl (l’absence du “e” renvoie La Disparition de Georges Perec) est parlé majoritairement en yiddish. Il fait revivre, comme dans Hester Street (Joan Micklin Silver, 1975), cette langue aujourd’hui quasi-disparue des populations juives d’Europe de l’Est, alors parlée par « onze millions de locuteurs, majoritairement engloutis par la Shoah » rappelle Samuel Blumenfeld dans Le Monde.

Situé à l’été 1941, Shttl revient sur les dernières vingt-quatre heures d’un shtetl, village peuplé d’habitants juifs, dont le marché et la synagogue en sont les centres névralgiques. Le carton du début du film nous rappelle la date du 22 juin 1941, début de « l’Opération Barbarossa », lorsque les soldats de l’Allemagne nazie envahissent l’Union soviétique et y exterminent les juifs, début de la Shoah par balles que le glaçant documentaire Babi Yar. Contexte (Sergei Loznitsa, 2021) avait rappelé.

Avant le génocide annoncé, tiraillé entre la hassidisme et la modernité, le jeune Mengele, dont on apprend qu’il fut un brillant commentateur de la Thora avant son départ vers les studios de cinéma, bouscule les traditions et les idées de ses semblables, à commencer par son propre père.

Avec de longs plans séquences et une caméra extrêmement fluide – trop ? -, Ady Walter propose une réflexion passionnante d’un peuple promis à l’extermination qui s’interroge sur son Histoire et son destin. Tourné avant l’invasion russe en Ukraine en février 2022 dans un décor entièrement reconstitué près de Kiev, le troublant visionnage de Shttl ne peut empêcher le parallèle avec les pogroms commis en Israël par le Hamas le 7 octobre 2023. Si on regrette l’excès d’effets de style et l’uniformatisation des sous-titres (le distinguo yiddish et ukrainien aurait été judicieux), le film d’Ady Walter est une proposition indispensable et implacable sur les drames millénaires que subit le peuple juif.