Lorsqu’un des leurs, harassé de fatigue, se blesse sur sa machine, les ouvriers d’une usine de textile de la région de Turin s’engagent dans une longue lutte pour accéder à une amélioration de leurs conditions de travail. En cette fin du XIXème siècle, les journées de cette population miséreuse atteignent les quatorze heures, les enfants quittent l’école pour rejoindre l’usine et le capitalisme paternel est tout aussi méprisant que cynique.

Peu connu en France, « I Compagni » de Mario Monicelli, sort sur les écrans transalpins en 1963. Il est aujourd’hui présenté en version restaurée dans les salles obscures, l’occasion de découvrir une oeuvre dont le sujet, à l’heure de la mondialisation, étonne par son actualité. Il est éclairant de mettre en parallèle ce récit d’une lutte sociale avec celui abordé quelques mois plus tôt par le cinéaste Stéphane Brizé dans son film « En guerre » . Dans « Les Camarades », un naturalisme teinté de comédie permet une distance et une hauteur de vue que n’avait pas forcément le récent film incarné par un Vincent Lindon plongé en immersion dans un violent conflit.

Mais revenons aux « Camarades » de Monicelli, proposé en version intégrale. Plusieurs protagonistes, dont des femmes, participent solidairement à des actions pour faire plier leurs contremaîtres à réduire d’une heure (!) leur journée de travail. Intimidés face à leur direction, peu organisés dans leur lutte, ce collectif acquiert davantage de détermination lorsque Sinigaglia, un instituteur incarné par Marcello Mastroianni, les accompagne dans leur « combat ». Le théoricien et les ouvriers désormais réunis ne peuvent empêcher les intérêts divergents et les conflits internes face à une classe possédante pour le moins infaillible.

Monicelli dresse le portrait d’individus liés à un groupe, leurs forces mais également leurs faiblesses, la théorie révolutionnaire et la douloureuse mise en pratique. Une série de figures psychologiques sont brossées parmi cette « communauté de destins » pour reprendre l’expression d’Edgar Morin: le défaitiste Raoul (Renato Salvatori), le malléable Martinetti (Bernard Blier), le violent Pautasso (Folco Lulli) en passant par l’ancienne ouvrière qui, désormais, ne loue non plus ses bras mais son corps (Annie Girardot)… Tant de vies diverses, de caractères complexes aux aspirations similaires: un avenir lumineux dans cette grisaille du quotidien.

Avec ses plans étudiés, sa photographie magnifique et son interprétation sans faille, le cinéaste du « Pigeon » aborde avec humanisme les exigences des hommes et des femmes d’hier. Pour que ceux de demain ne baissent jamais la garde.