Le passage de relais de l’œuvre de Raoul Ruiz est assuré: Valeria Sarmiento a brillamment repris « Les Lignes de Wellington », projet entamé avant que le cinéaste chilien ne s’éteigne en août 2011. La veuve du cinéaste fait ici revivre son cinéma passionnant et foisonnant qui va tant manquer aux cinéphiles.
1810: les guerres napoléoniennes s’étendent jusqu’au nord du Portugal, où le Maréchal Masséna (Melvil Poupaud) se confronte à la résistance locale, aidée par les troupes anglaises commandées par le duc de Wellington (John Malkovich), futur vainqueur de Napoléon à Waterloo. Wellington, en fin stratège face à l’avancée de l’armée française, bat en retraite jusqu’aux portes de Lisbonne, dans la région de Torres Vedras, en appliquant une politique de la terre brûlée. Du haut commandement jusqu’aux paysans locaux, des parcours s’entremêlent, se croisent et se rejoignent jusqu’aux fameuses lignes de Wellington.
« Les Lignes de Wellington » se voulait pour Raoul Ruiz dans la continuité des « Mystères de Lisbonne », son chef d’œuvre. Le cinéaste avait d’ailleurs commencé, après le tournage de son dernier film « La Nuit d’en face » la préparation du film avec le producteur Paulo Branco et laissé des indications, notamment pour la musique du fidèle compositeur Jorge Arriagada. Valeria Sarmiento n’a pas souhaité faire une copie du maître, même si on sent indéniablement l’influence de Raoul Ruiz. Ici, le baroque et l’onirique sont moins déclinés que dans les films de Ruiz, au profit d’un classicisme revendiqué. La réalisation de Valeria Sarmiento jouit cependant d’une belle fluidité et d’une certaine élégance.
La force du film est de mêler habilement les différents points de vue sur cet épisode napoléonien: tantôt on l’observe à la lorgnette depuis le camps de Wellington et des troupes portugaises, tantôt depuis les troupes de Masséna et enfin et surtout par l’angle désespéré la population locale. Qu’ils soient paysans enrôlés contre les « jacobins », qu’ils soient aristocrates déchus ou simple poète, cet exode dans les montagnes et la foret a des airs de grande fresque picturale comme l’illustre le peintre Lévêque (Vincent Perez).
La troupe des fidèles interprètes de Raoul Ruiz est venue, parfois pour une scène seulement, tirer un dernier coup de chapeau en son hommage. John Malkovich, parfait comme toujours, en Wellington cynique et obsédé par la trace qui laissera dans l’histoire, Marisa Paredes en veille bourgeoise qui perd la tête, Adriano Luz en poète errant…
Les horreurs de la guerre n’empêchent pas, loin de là, l’amour de continuer, qu’il soit tarifé ou meurtri: tandis que Martirio (exquise Soraia Chaves), magnifique prostituée, se fait voler ses charmes par la piquante Clarissa (Victoria Guerra), Maureen (Jemima West, vue dans la série « Maison close » ) noie quant à elle la perte de son époux dans les bras d’un autre… Ces trois jeunes femmes, à la beauté et à la sensualité renversantes, pimentent ce champ de ruines et d’horreurs (avec une scène particulièrement éprouvante d’un viol).
« Les Lignes de Wellington » est un véritable tableau vivant et un beau moment de cinéma.
Ci-dessus: Jemima West en femme esseulée.
Ci-dessus: la superbe Soraia Chaves et son amant.
Ci-dessus: Victoria Guerra.