Salles-cinema.com a rencontré le photographe Jean-François Chaput. Au cours d’une soirée organisée par l’association Paris-Louxor, qui accompagne le projet de restauration du cinéma Le Louxor, Jean-François a livré de passionnants souvenirs de cinéma. En effet, Jean-François est à l’origine d’un travail photographique qui, aujourd’hui, prend une dimension particulière: celle d’un temps presque révolu où la petite salle de quartier offrait une fenêtre de proximité vers le 7ème Art.
Ci-dessus: La salle du cinéma Louxor à Paris, en 1983.
Entretien avec Jean-François Chaput, photographe.
Au début des années 1980, vous décidez d’immortaliser, via la photographie, les salles de cinéma à Paris. Pourquoi cette démarche? Quel a été le déclic?
Tout a commencé fin 1981, début 1982. Je faisais des repérages pour un court métrage que je voulais tourner, un truc plutôt expérimental dont le décor principal était une salle de cinéma. J’avais une idée assez précise de la salle dont j’avais besoin, et comme je ne la trouvais pas, j’ai visité pas mal de cinémas. Mes pas m’avaient porté vers les Grands Boulevards et là surprise ! Une fois sur deux je m’entendais dire «Si vous voulez tourner ici dépêchez-vous, on ferme bientôt». Il s’est alors passé quelque chose dans ma tête ; surtout que je trouvais mes photos de repérage très intéressantes… J’ai donc changé de projet. Je n’ai pas réalisé le court-métrage, je me suis mis à photographier les cinémas menacés de disparition. Car je n’ai pas photographié toutes les salles de Paris, loin de là, seulement celles à qui ils restaient du caractère, les salles populaires, les vieilles salles qui avaient échappé à l’équarrissage.
Ce travail révèle une formidable mine d’informations d’une époque désormais révolue… Trois décennies ont bien transformé le paysage parisien et les habitudes de ses habitants…
J’ai photographié une centaine de salles, il y en a soixante-dix ou soixante-quinze intéressantes, donc oui, je suppose que ce travail peut contribuer à documenter la période 1982-1992. D’autant que je me suis efforcé de faire quelque chose de complet, pas mal de vues pour chaque salle, des portraits, des témoignages…
La plupart de ces cinémas ont disparu c’est vrai, mais je ne suis pas trop nostalgique. C’est même presque interdit pour un photographe, car à peine prise, une photo appartient au passé. Donc avec les années qui passent, si tu restes scotché à ce qui n’est plus, tu étouffes. La vie c’est le mouvement ; il faut accepter le changement. La permanence existe mais elle est ailleurs ; elle n’est pas dans la matérialité des choses ; elle n’est pas dans les murs des salles de cinémas, elle est dans le désir. Désir de cinéma, désir de spectacle, désir de dire le monde. Car depuis que l’Homme est Homme, il se fait des films, d’une manière ou d’une autre… Donc le spectacle cinématographique n’est pas du tout menacé, même s’il change de forme et de lieux….
Vous avez connus les salles spécialisées de séries B et autres films d’épouvante… Toute une époque!
En fait de salles spécialisées, j’ai surtout connu des pornos et des kung-fu. Les salles spécialisées dans le film d’épouvante avaient déjà disparue dans les années 1980, il ne restait que le Brady. Le Midi Minuit et le Colorado étaient devenu des cinémas pornos, le Styx passait des films normaux.
La plupart des salles de quartier ont prolongé leur survie de quelques années grâce au porno et au kung-fu. Elles ont disparues avec l’épuisement de ces deux filons. Certaines ont tenu assez longtemps pour redevenir des cinémas d’exclusivités à la faveur d’une évolution du quartier, comme le Bastille, le Majestic-Bastille ou Les 5 Caumartin.
Selon vous, quelle est la fermeture la plus scandaleuse d’un cinéma parisien ?
Sans réfléchir, je dirais le Saint-Antoine, rue du faubourg Saint-Antoine. Je ne sais pas pourquoi. Je trouve que c’est du gâchis. C’était une très belle salle, un beau volume ; quand je l’ai photographié en 1983, elle était délabrée, abandonnée, mais dans son jus d’origine. C’était un lieu qui avait beaucoup de charme. C’est dommage qu’il ne reste aucune salle des années 50 en état à Paris. On ne peut pas tout conserver c’est certain, on est pas obligé, non plus, de tout détruire.
Aujourd’hui, la fréquentation des salles atteint celle des années 1980… Les multiplexes ont fait revenir les spectateurs au cinéma. Quel regard le photographe porte-t-il à ces nouveaux cinémas?
Aucun. Ce ne sont pas des lieux qui m’inspirent. Quand on photographie ce genre d’édifice, on se retrouve vite dans le constat distancié, la photographie industrielle, le travail à la chambre grand format. Je ne sais pas faire ça. Cela dit, suivre cette démarche artistique, c’est à dire photographier ces lieux tel qu’ils sont à Amiens, Ivry-sur-Seine, ou Champigny-sur-Marne, serait intéressant. Cela mettrait en lumière leur uniformité. Mais on est plus sur le terrain du rêve, du poétique, on est sur celui de la concentration industrielle, de la part de marché… Ce n’est pas le même monde.
Par contre, il faut reconnaître que grâce aux multiplexes, la qualité moyenne des salles s’est améliorée. Les cabines de projections sont dans l’axe des écrans, les sièges en gradins, le son est bon. Dans les années soixante-dix et quatre-vingt, les exploitants ont eu tendance à oublier que le plaisir du cinéma c’est aussi le plaisir d’une bonne projection : un bel écran, une image et un son de qualité.
Vous avez assisté à la dernière séance du cinéma Louxor en 1983… une ambiance particulière dans un quartier célèbre de Paris.
La dernière séance au Louxor, c’était à la fois très banal et très triste. Il n’y avait plus un chat, quinze personnes dans une salle de mille places, les panneaux « prochainement » étaient vide, ça sentait le renfermé… Ce fut une mort anonyme et solitaire.
L’ambiance, elle était là quelques années plus tôt, lorsque la salle refusait du monde ; il y avait des familles africaines qui venaient au complet, avec les enfants, les casses-croûtes, les thermos, et les cabas quand on avait fait les courses chez Tati avant. C’étaient des films indiens qui duraient trois heures trente pour les plus courts, et que le public commentait et enrichissait de répliques. Il y avait autant de monde dans les couloirs que dans la salle et les toilettes était inapprochables tellement il y avait d’hommes qui y stationnaient. C’était une salle très spéciale, il y avait tout un tas de trafics, des gens qui entraient qui sortaient, tout cela dans une certaine tension, mais sans agressivité…
Voir sa réouverture prochaine, n’est-ce pas une belle revanche sur toutes ces disparitions de salles ?
C’est une bonne nouvelle, presque inespérée. Une salle sauvée pour cent disparues ! En plus, le projet architectural est très beau, un mélange de conservation patrimoniale et de modernité. Il faut rendre hommage aux gens de l’association Eldorado qui ont réussi à faire classer la façade du Louxor en 1981, à une époque où personne ne reconnaissait la valeur et l’originalité du patrimoine architectural des salles de cinémas. Sans eux, le Louxor serait peut-être détruit depuis longtemps et n’aurait donc pas pu être réhabilité.
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Chaleureux remerciements à Jean-François Chaput.
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