Adresse: 11 rue de la Huchette à Paris (Vème arrondissement)
Nombre de salles: 1

« Si vous n’avez pas peur de Dracula, ni des monstres de Frankenstein, si les châteaux hantés et les vampires ne vous impressionnent pas… Venez inaugurer la nouvelle salle spécialisée Henri Douvin (horreur et épouvante) le Styx ». C’est par ces mots qu’Henri Douvin ouvre, juste avant les événements de mai 68, sa nouvelle salle de cinéma parisienne dans le bouillonnant quartier estudiantin de la place Saint-Michel.

L’exploitant à la tête des cinémas le Brady, le Mexico, le Colorado, le Studio Alpha, le Boulmich’ ou le Studio de la Harpe, lance le Styx – qui renvoie au fleuve des Enfers de la mythologie grecque – dans la rue de la Huchette. C’est lui qui fait des « salles spécialisées » une marque de fabrique de ses cinémas afin de fidéliser un public adepte de films de genre.

La revue Le Film français évoque ainsi l’ouverture du cinéma dans son numéro 1243 : « C’est le 30 avril 1968 qu’a eu lieu l’inauguration (macabre à souhait-dans le style croque-mort à gogo) d’une salle dont les meilleures places sont au creux de cercueils luxueusement capitonnés, les murs étant décorés de cadavres sanguinolents et squelettes dansant la gigue et les fauteuils violets de l’entreprise Quinette ajoutant à l’ambiance. Des ouvreuses accortes, vêtues de coquines robes décorées de tibias (mais cependant bien en chair) guidaient vers les fauteuils améthystes (choisis par l’Architecte Bernard Ceyssac) les nobles invités de cette piquante cérémonie, priorité étant bien entendu réservée aux membres de la famille qui, une assiette de délectables cochonnailles d’une main et un godet de Beaujolais de l’autre, recevaient avec componction les condoléances émues de l’assistance joyeusement impressionnée par l’humour macabre de cette réception. Le maître de céans, M. Henri Douvin accueillait cordialement dans la pénombre ses nombreux invités, ravis de cette mise en bière cinématographique sous le signe de La Chute de la maison Usher, programme inaugural.»

Cinéma le Styx à Paris

Ci-dessus: la salle du Styx en 1968 avec son décor de films d’horreur (chaîne, chauves-souris, cercueils). 

Le ton décalé de la revue corporatiste souligne l’originalité du Styx, tant dans sa programmation que dans son décor, implanté dans un quartier parisien qui, en ces années 1960, s’ouvre de plus en plus à l’Art & Essai. Jusque là, les films d’épouvante étaient l’apanage de salles comme le Brady, le Mexico ou le Colorado puis, depuis peu et projetés en version originale, le Studio de l’Etoile. L’arrivée des « monstres » sur la Rive gauche ne passe pas inaperçue dans le milieu de l’exploitation parisienne, d’autant qu’un important bouche à oreille au sujet de la décoration de la salle et de ses cercueils se met en place.

Le Styx, la salle des films de genre de la Rive gauche.

La programmation est assurée par Gaston Douvin qui n’opte pas pour les exclusivités mais pour les films en reprise avec un renouvellement hebdomadaire. Des festivals thématiques, où une oeuvre différente par jour est annoncée, ponctuent la vie nouvelle du Styx. En puisant dans les catalogues des distributeurs spécialisés, Gaston Douvin fait découvrir aux spectateurs de la Rive gauche des films peu exploités ou bien des « must » du genre. La plupart des films sont projetés en version originale sous-titrée, sauf lorsqu’il n’existe que des copies en version française. Parmi les premiers programmes du Styx, citons la production mexicaine « La Vengeance de la momie » de René Cardona à l’affiche le 8 mai 1968, le film d’horreur italo-espagnol « La Crypte du vampire » de Camillo Mastrocinque le 15 mai 1968, le premier long-métrage de Jean Rollin « Le Viol du vampire » – une des premières productions françaises du genre – le 29 mai 1968 ou encore « Le Vampire créature du diable » le 21 août 1968.

Le Viol du vampire de Jean Rollin

Ci-dessus: sortie le 29 mai 1968 du film de Jean Rollin « Le Viol du vampire » au Styx ainsi qu’aux cinémas Midi-Minuit et Scarlett. 

Dracula, prince des ténèbres de Terence Fisher

Ci-dessus: « Dracula, prince des ténèbres » de Terence Fisher avec l’inévitable Chritopher Lee, régulièrement programmé au Styx.

Ci-dessus: « L’Homme au masque de cire » (1953) d’André de Toth avec Vincent Price au Styx le 10 septembre 1969.

Le Styx affiche également des œuvres plus classiques comme « Les Damnés » (1962) de Joseph Losey ou bien la production Universal de 1958 « Le Décapité vivant » de Will Cowan avec William Reynolds. En 1969, la salle intègre dans son festival qui a pour thématique « Les Monstres » des films aussi éclectiques que « Freaks » (1932) de Tod Browning et « Le Garçon aux cheveux verts » (1948) de Joseph Losey projetés la semaine du 27 août, ou bien « Le Mari de la femme à barbe » (1964) de Marco Ferreri avec Annie Girardot et Ugo Tognazzi et « Les Monstres de l’espace » (1967) de Roy Ward Baker la semaine du 3 septembre.

Les continuations d’exclusivités sorties précédemment dans les grands circuits sont à l’affiche comme « L’Homme au masque de cire » (1953) d’André de Toth interprété par Vincent Price, ressorti durant l’été 1969 dans les salles du circuit Parafrance et projeté au Styx pour deux semaines à partir du 10 septembre. Les prolongations de la production de la Hammer « Les Vierges de Satan » de Terence Fisher débutent au Styx le 24 septembre 1969, celles du film de monstres sur fond de western « La Vallée de Gwangi » de James O‘Connolly le 8 octobre 1969 tandis que « Dracula et les femmes » de Freddie Francis avec Christopher Lee occupe l’écran du Styx le 22 octobre 1969. Chacun de ces films reste deux semaines dans la salle de la rue de la Huchette.

« Des monstres attaquent la ville » (1954) de Gordon Douglas, plus connu sous son titre original « Them! » – ressort le 5 novembre 1969 alors que la reprise de « L’Heure du loup » d’Ingmar Bergman avec Max von Sydow et Liv Ullmann occupe l’affiche le 3 décembre de la même année. Ces deux titres confirment une conception large du cinéma de genre que propose le Styx où les vampires, les momies, les loups-garous et autres monstres côtoient le cinéaste suédois.

Les Vierges de Satan de Terence Fisher

Ci-dessus: « Les Vierges de Satan » de Terence Fisher avec Christopher Lee dans le rôle du duc de Richleau, au Styx le 24 septembre 1969.

Cinéma le Styx à Paris

Ci-dessus: le festival « Images de la Science fiction » au Styx la semaine du 21 janvier 1970.

La Malédiction d'Arkham de Roger Corman La Chambre des horreurs de Hy Averback

Ci-dessus: à l’affiche du Styx, « La Malédiction d’Arkham » de Roger Corman avec Vincent Price le 3 juin 1970 et « La Chambre des horreurs » de Hy Averback avec Patrick O’Neal le 9 juin 1971. 

Le 20 mai 1970, le Styx sort en exclusivité avec le Midi-Minuit, le Scarlett et le Cinévog le film de Jean Rollin « La Vampire nue » dont la belle affiche est illustrée par Philippe Druillet. Vient ensuite « La Malédiction d’Arkham » (1963) de Roger Corman avec Vincent Price, Debra Paget et Lon Chaney qui occupe la salle le 3 juin 1970, dix semaines durant, en combinaison avec les cinémas Napoléon de l’avenue de la Grande-Armée et l’Argos.

Le Styx entame une ère de sorties exclusives avec la tentative française de production fantastique « L’Araignée d’eau » de Jean-Daniel Verhaeghe à l’affiche le 20 janvier 1971, « Le Vampire a soif » de Vernon Sewel avec Robert Flemyng et Peter Cushing – une des figures des productions de films d’horreur de la Hammer dans les années 1950 – le 31 mars 1971 et, dès le 14 juillet 1971, « Le Massacre des vampires » de Roberto Mauri avec Walter Brandi et la belle Graziella Granata dans le rôle d’une femme papillon…

Les prolongations du premier long-métrage de Georges Lucas « THX 1138 », dont l’exclusivité débute le 3 novembre 1971 dans les salles de l’Elysées-Lincoln et du Quartier latin et qui a bien du mal à s’imposer, débarquent au Styx à partir du 8 décembre.

Les Nuits de Dracula de Jesús Franco

Ci-dessus: « Les Nuits de Dracula » de Jesús Franco avec Christopher Lee et Klaus Kinski sorti le 16 juin 1971 au Styx ainsi qu’au Napoléon, au Helder, à la Scala, au Kinopanorama et au Séverine.

Suivent bientôt une série d’œuvres du cinéma bis venant du monde entier comme « Vij ». Auréolé d’un grand succès en U.R.S.S., ce film adapté d’un récit de Nicolas Gogol par Constantin Erchov et Gueorgui Kropatcheva est un des rares films d’horreur soviétiques. « Vij » sort le 22 mars 1972 sur l’écran du Styx qui accueille dans la foulée la production américaine d’après H. P. Lovecraft « Horreur à volonté » de Daniel Haller le 8 mars 1973, la production germano-espagnole « La Furie des vampires » de León Klimovsky le 22 mars 1973, la production britannique « Dracula 73 » d’Alan Gibson avec Christopher Lee, Peter Cushing et Stephanie Beacham le 15 novembre 1973, le film fantastique français « La Rose de fer » de Jean Rollin, présenté simultanément au Styx et à la Contrescarpe le 6 décembre 1973, le giallo italo-espagnol « L’Alliance invisible » – également distribué sous le nom « Toutes les couleurs du vice » – de Sergio Martino avec Edwige Fenech le 2 janvier 1974, le film fantastique français « Le Seuil du vide » de Jean-François Davy le 27 mars 1974 ou bien le film d’horreur américain et révélation de la Convention du cinéma fantastique « SSSSnake » de Bernard L. Kowalski 8 mai 1974.

Réalisé en 1968, la petite production américaine « La Nuit des morts-vivants » de George A. Romero fait l’événement à Paris où il sort en exclusivité au Studio de l’Etoile en 1970. L’énorme succès de ce film d’horreur qui en appellera bien d’autres amène la société Etoile-Distribution à doubler le film et à le ressortir dans une importante combinaison de salles. Le film, réédité le 21 août 1974 et intégré dans une combinaison de salles principalement affiliées aux circuits Pathé et Gaumont, sort au Styx dans une copie en version originale. Quelques autres films de genre ont les honneurs du Styx comme l’américain « Le Spectre d’Edgar Allan Poe » de Mohy Quandour à l’affiche le 8 janvier 1975, le film d’horreur espagnol « Le Bossu de la morgue » de Javier Aguirre le 22 janvier 1975, « L’Abattoir humain » de l’américain William Girdler le 30 avril 1975, « Lèvres de sang » de Jean Rollin avec Annie Belle le 28 mai 1975 ou bien « Dr Jekyll et Sister Hyde » de Roy Ward Baker le 15 juin 1975.

Dracula 73 de Alan Gibson avec Christopher Lee Ssssnake de Bernard L. Kowalski

Ci-dessus: sortie de la production Hammer « Dracula 73 » de Alan Gibson avec Christopher Lee et Peter Cushing le 15 novembre 1973 et de « Ssssnake » de Bernard L. Kowalski le 8 mai 1974.

La Nuit des morts-vivants de George A. Romero

Ci-dessus: reprise de « La Nuit des morts-vivants » de George A. Romero le 21 août 1974.

Lèvres de sang de Jean Rollin

Ci-dessus: sortie des « Lèvres de sang » de Jean Rollin avec Annie Belle le 28 mai 1975.

 Les Décimales du futur de Robert Fuest

Ci-dessus: sortie du film de science-fiction de Robert Fuest « Les Décimales du futur » le 10 mars 1976.

Ci-dessus: « Le Récupérateur de cadavres » (1945) de Robert Wise, une production Val Lewton pour la RKO avec Boris Karloff et Bela Lugosi à l’affiche le 18 juin 1975.

Le succès des films d’horreur et fantastiques comme « La Nuit des morts-vivants », « Duel » de Steven Spielberg, « L’Exorciste » de William Friedkin ainsi que la popularité croissante de la Convention du cinéma fantastique qui voit le jour au théâtre des Amandiers de Nanterre pour être déplacée au Palace, au Monge-Palace, au Palais des Congrès puis au Grand Rex amène les circuits à sortir de nombreux films de genre. Le critique cinématographique Gérard Lenne évoque en 1975 dans le numéro 37 de la revue Ecran 75 la sortie du ghetto du cinéma bis: « A l’heure où les salles spécialisées sont toutes reconverties dans l’érotisme à quatre sous et le karaté, le fantastique, genre longtemps populaire, a tendance à s’embourgeoiser. Les films que nous voyons apparaissent dans les festivals, comme celui d’Avoriaz, qui est devenu un tremplin de lancement pour les meilleures sorties en exclusivité de l’année ».

Le cinéma d’horreur n’est plus l’apanage du Styx et des quelques salles spécialisées. Le film de Terence Fisher « Frankenstein et le monstre de l’enfer » avec Peter Cushing arrive en exclusivité au Styx mais n’enregistre que 1741 entrées en deux semaines d’exploitation. Henri et Gaston Douvin modifient la programmation de leur salle et annoncent, dès le 14 avril 1976, les prolongations du film d’Andrzej Wajda « La Terre de la grande promesse » interprété par Wojciech Pszoniak, dont l’exclusivité a lieu au cinéma Quintette voisin.

Le Septième voyage de Sinbad de Nathan Juran

Ci-dessus: la reprise au Styx ainsi qu’au Clichy-Pathé, au Cambronne et au Hollywood Boulevard du film de Nathan Juran « Le Septième voyage de Sinbad » (1958) avec Kerwin Mathews et Kathryn Grant. 

Une page se tourne au Styx qui abandonne ainsi les projections horrifiques pour un cinéma plus traditionnel. Dans sa salle dont la décoration macabre est retirée, le Styx accueille ainsi les œuvres grand public comme le 26 mai 1976, « Silence…On tourne » de Roger Coggio avec Elisabeth Huppert distribué par Filmologies qui inclut le Styx dans la combinaison de sortie du film. Idem pour la Warner-Columbia qui choisit la salle de la rue de la Huchette pour le film « Sept Hommes à l’aube » de Lewis Gilbert sorti, entre autres, au Styx le 7 juillet 1976. Les rendements étant très faibles, le Styx assure désormais les continuations de films sortis dans les cinémas voisins comme la reprise du film de Stanley Kubrick « Orange mécanique » le 18 août 1976, précédemment ressorti au cinéma Hautefeuille, ou la prolongation de « La Victoire en chantant » de Jean-Jacques Annaud le 3 novembre 1976.

Le Styx délaisse le film de genre et arbore l’enseigne de la Harpe-Huchette.

C’est le 15 décembre 1976 que le Styx affiche enfin une première exclusivité d’importance avec le film d’Ettore Scola « Affreux, sales et méchants » qui sort à Paris sur sept copies, dont le Saint-Germain Huchette dans le Quartier latin et le prestigieux cinéma Colisée sur les Champs-Elysées. Avec une exploitation d’une durée de vingt-deux semaines, la comédie féroce d’Ettore Scola rencontre un succès considérable, en particulier au Quartier Latin. Parmi les continuations qu’assure le Styx, citons « La Ballade de Bruno » de Werner Herzog à l’affiche le 14 décembre 1977 et « Répétition d’orchestre » de Federico Fellini le 17 octobre 1979. Quelques sorties en exclusivité ponctuent la programmation de la salle comme le film marocain « Alyam, Alyam » d’Ahmed El Maânouni ou bien « Le Piège » de David Schmoeller le 30 avril 1980. C’est avec cette dernière production que la salle arbore l’enseigne Styx.

En ce début d’une nouvelle décennie, Henri Douvin amène la programmation de son cinéma vers l’Art et Essai et baptise sa salle la Harpe-Huchette. Le 25 juin 1980, la prolongation de « Kramer contre Kramer » de Robert Benton inaugure la nouvelle orientation de la salle qui affiche dès le 23 juillet le film de Francesco Rosi « Le Christ s’est arrêté à Eboli » dont l’exclusivité au Quartier latin a lieu au Hautefeuille.

Le 1er octobre 1980, « Kagemusha, l’ombre du guerrier » d’Akira Kurosawa – auréolé de la Palme d’or – sort au Quartier latin conjointement à la Harpe-Huchette et au Hautefeuille. La salle poursuit ensuite les prolongations d’œuvres comme « Le Chef d’orchestre » d’Andrzej Wajda avec John Gielgud à l’affiche le 28 janvier 1981 et les exclusivités comme « La Nuit ensoleillée » de Patrick Segal le 18 novembre, un documentaire sur les Jeux paralympiques d’Arnhem aux Pays-Bas.

Le film musical « Noces de sang » de Carlos Saura avec Antonio Gades et Cristina Hoyos, sorti en exclusivité au Quintette voisin, occupe dès le 20 janvier 1982 et durant dix semaines l’affiche de la Harpe-Huchette. C’est la dernière pellicule que connaît le projecteur de l’ancien Styx, dont l’enseigne reste attachée au cinéma fantastique pour toute une génération de cinéphiles alors que le genre n’aura occupé les lieux que huit années.

La Harpe-Huchette tire sa révérence le 30 mars 1982 après la dernière séance du soir de « Noces de sang », peu avant les douze coups de minuit.

Les cinémas Henri Douvin

Ci-dessus: les « salles spécialisées » du circuit d’Henri Douvin et leur programmation la semaine du 26 juillet 1967.

Textes: M. Thierry Béné.
Documents: Le Film français, France-Soir, Pariscope.