Adresse: 34 rue Monge à Paris (5ème arrondissement)
Nombre de salle: 1
A quelques mètres des historiques arènes de Lutèce, une autorisation de permis de construire est déposée le 16 août 1921 par la société Ciné-Monge-Palace pour l’édification d’un nouveau théâtre cinématographique d’une capacité de 1.400 fauteuils. La parcelle sur laquelle le cinéma doit s’élever est située au 34 rue Monge et au 61-63-63 bis rue du Cardinal-Lemoine, dans le quartier Saint-Victor.
Architecte du Danton-Palace et du Family-Cinéma de Malakoff, Eugène-Émile Vergnes est choisi pour bâtir le nouveau cinéma de la rue Monge. Avec à son actif près de quatre-vingt salles de cinéma, Eugène-Émile Vergnes – également conseil technique du Syndicat des Directeurs de Cinématographes – sait utiliser rationnellement et harmonieusement l’espace le plus contraignant pour en tirer les plus beaux volumes. La conception du Monge-Palace constitue un véritable tour de force car la salle doit être installée dans une cour intérieure entourée d’immeubles et avec une différence de niveau. Dans le numéro 27 du 1er avril 1923, la revue d’architecture La Construction moderne donne la parole à Eugène-Émile Vergnes qui revient sur le projet de construction du Monge-Palace: « Le parti pris par nous dès le début de la conception fut d’utiliser la différence de niveau (3,50 mètres) qui existe entre la rue Monge et la rue du Cardinal-Lemoine (…) Les stalles d’orchestre seraient donc au rez-de-chaussée par rapport à la rue Monge et la galerie serait aussi au rez-de-chaussée par rapport à celle de la rue du Cardinal-Lemoine, ce qui permettrait une évacuation rapide et une séparation toute naturelle entre deux publics différents ».
Ci-dessus: la façade du cinéma Monge-Palace la semaine du 5 janvier 1923 avec à l’affiche Chagrin de gosse.
L’architecte nous parle de la surface à bâtir sur laquelle le cinéma est édifié: « Nous trouvâmes ainsi l’occasion de construire sur plan trapézoïdale, forme idéale au point de vue cinématographique (…) Le trapèze est bien la forme la plus appropriée au cinéma, l’écran étant placé sur la petite base, et la grande base étant incurvée, car les rangées de sièges étant placées parallèlement à cette courbe, tous les spectateurs feront face à l’écran sans aucune déviation de la tête et aucun d’eux ne souffrira de la déformation de l’image par vision latérale (…) L’entrée sur la rue du Cardinal-Lemoine nous était donnée par un vestibule déjà construit, mais il fallait trouver deux évacuations nouvelles sur cette rue pour donner satisfaction aux règlements de la Préfecture de Police ».
Enfin, Eugène-Émile Vergnes relate le système de projection du Monge-Palace: « La position de la cabine fut déterminée par la possibilité d’aération et d’accès au moyen d’une courette (…) Nous ne pûmes la mettre absolument dans l’axe de l’écran mais l’axe de projection en plongée est infime. Nous avons d’ailleurs corrigé cet angle en inclinant l’écran dans son châssis rigide (…) La cabine est flanquée à droite et à gauche, de deux pièces, une servant de magasin à film, l’autre pour le convertisseur électrique. L’opérateur peut fuir dans la courette où il trouve deux escaliers, l’un montant vers le toit et l’autre allant vers les dégagements sur la rue du Cardinal-Lemoine (…) Pour empêcher les rayons de projection de traverser la toile d’écran, nous avons derrière cette dernière tendu une toile noire opaque qui laisse toute la luminosité en avant ».
Ci-dessus: vestige du Monge-Palace avec, comme le souligne Jean-Jacques Meusy dans Ecrans français de l’entre-deux-guerres, « les deux gargouilles cachant une cascade d’eau qui encadraient autrefois l’entrée du Hammam Monge, devenu ensuite la sortie du cinéma »
Ci-dessus: le hall du Monge-Palace la semaine du 12 janvier 1923 avec à l’affiche L’Atlantide de Jacques Feyder.
Ci-dessus: la salle en janvier 1923.
Ci-dessus: plan du parterre de la salle.
Ci-dessus: plan des première et seconde galeries.
A une époque où la décoration des salles de cinéma se rapproche de celles des théâtres, Eugène-Émile Vergnes décrit les éléments de décoration du Monge-Palace: « La décoration n’est venue que souligner le système de structure. L’ensemble dérivatif d’une coupole sur plan trapézoïdale reçoit une décoration qui chute après avoir pris naissance autour du plafond lumineux. Pour cacher l’intersection de la salle construite sur cour avec la partie construite sous les immeubles, nous avons été amené à cette grande voussure dont nous avons tiré un élément décoratif en la traitant à jour comme une dentelle qui nous sert d’ouverture d’aération, dentelle que nous avons rendue plus apparente encore en plaçant en arrière un éclairage d’n ton de clair de lune qui à un certain moment jette une douce lumière bleutée dans la salle lorsque l’on éteint toutes les autres parties. Pendant la vision de certains films où cette lumière était adéquate aux sentiments exprimés par l’image, nous avons vu la musique et cette lueur ajouter au sujet une note d’Art. Les travaux de staff et de sculpture ont été exécutés par M. Binet, la peinture décorative par M. Gabriel Aazam, la ferronnerie par M. Schenk ».
Preuve qu’il est un luxueux cinéma, le Monge-Palace s’équipe d’un orgue afin d’accompagner les films à l’affiche, à une époque où le cinéma parlant n’est pas encore d’actualité. Dans son article Lorsque l’orgue s’invita au cinéma édité par l’Association Française de Recherche sur l’Histoire du Cinéma, l’historien Jean-Jacques Meusy évoque la première vague d’orgues fabriqués et installés par la société Cavaillé-Coll dans six cinémas de la capitale: le Lutétia-Wagram, le Royal-Wagram – deux salles du réseau Lutétia-Fournier, le Sélect, le Cinéma Orléans, le Cirque d’hiver – alors exploité en cinéma – et enfin le Monge-Palace.
Après des mois de travaux, le nouveau palais du cinéma ouvre ses portes au public le 1er septembre 1922. L’inauguration est relatée par La Semaine parisienne dans son numéro du 9 septembre: « Une vaste salle toute blanche, égayée de mosaïques rouges et jaunes… Quelques clous oubliés brillent encore sur le parquet… Une odeur de peinture fraîche et de bois neuf domine celle des cigarettes… La traditionnelle causerie de la direction, les traditionnelles promesses de ne donner que de beaux films et de faire de temps à autre quelques bonnes reprises. Enfin les films: d’abord Mireille. Ce n’est pas que nous aimions beaucoup les opéras, opérettes, opéras-comiques mis à l’écran mais Mireille possède deux interprètes de premier ordre Joë Hamman, dans le rôle d’Ourrias et le créateur du Père Ambroise. Vint ensuite le clou de la soirée: l’histoire du Cinéma par le Cinéma, les premiers films de 1895 sont projetés et l’on s’aperçoit que, scintillement de la pellicule et tremblotement du film mis à part, la photo n’était guère inférieure à celle d’aujourd’hui. L’arrivée du train en gare est d’une netteté parfaite. Ce qui prouve que le cinéma par lui-même, n’a très peu changé et que ce sont surtout ses utilisations-scénario, jeu des interprètes-qui se sont transformés (…) C’est une sorte de rétrospective qui nous est montrée, car les films anciens alternent avec les nouveaux: un grand film d’autrefois qui comprenait 12 figurants est suivi de La rédemption de Marie-Madeleine qui en compte plusieurs milliers. Que peut-on souhaiter à une salle toute neuve sinon de compter beaucoup de films comme celui-ci? »
Le duo d’exploitants à la tête du Monge-Palace est composé de Félix Silly et de Léon Brézillon, futur président du Syndicat français des directeurs de cinématographes. Dans son indispensable ouvrage « Architecture des salles obscures. Paris, 1907-1939 » publié par l’Association française de recherche sur l’histoire du cinéma, Shahram Abadie évoque les deux entrepreneurs: « Parmi les fondateurs et les actionnaires des nouvelles sociétés figure Léon Brézillon, personnalité charismatique de l’exploitation parisienne, commanditaire-exploitant du Palais des Fêtes et président dès 1952 de l’influent Syndicat français des exploitants de cinématographes. Il fonde en septembre 1919 avec Félix Silly, entrepreneur de droits commerciaux et administrateur délégué du Palais des Fêtes, la Compagnie Générale des Cinémas Family-Palace ». L’auteur précise que « les deux fondateurs apportent à la Société la promesse de vente de trois terrains sis à Paris, à Malakoff et à Aubervilliers, ainsi que les autorisations de bâtir et d’exploiter des cinémas sur ces parcelles. C’est ainsi que voit le jour, en été 1919, le projet du Danton-Cinéma-Palace sur le boulevard Saint-Germain de Paris ».
L’ère du cinéma muet au Monge-Palace.
Exploité par la Compagnie Générale des Cinémas Family-Palace, le Monge-Palace propose la plupart du temps les mêmes programmes que le Danton-Palace qui appartient également à Félix Silly et Léon Brézillon. Ces deux salles deviennent des emplacements incontournables pour les sorties générales des films après une première exclusivité dans une grande salle parisienne. Les séances comportent alors, outre le « grand film », des courts-métrages, des attractions et des serials – des films à épisodes – qui ont l’avantage de fidéliser la clientèle d’une semaine sur l’autre. Les séries disponibles aujourd’hui sur les plateformes n’ont finalement rien inventé…
Réalisé en douze épisodes par Louis Feuillade et interprété par Aimé Simon-Girard, Georges Biscot et Sandra Milovanoff, Le Fils du Flibustier est le dernier ciné-roman du cinéaste. Il est présenté en première vision à partir du 13 octobre 1922 à l’affiche dans la salle du Monge-Palace comme dans un grand nombre de salles parisiennes. La revue Ciné-Magazine évoque cette production fastueuse dans son numéro du 22 septembre 1922: « Il a fallu construire un vaisseau de haut bord, dans le style du XVIIème siècle, il a fallu reconstituer et régler toute une scène d’abordage, et l’on peut affirmer que cette scène aura sur les spectateurs une portée considérable. Aucun des précédents films de Louis Feuillade, si beau soit-il, n’aura suscité parmi les fervents de l’écran, un enthousiasme aussi grand que celui qui sera soulevé par Le Fils du Flibustier ».
Lorsque le douzième et dernier épisode du Fils du Flibustier est à l’affiche du Monge-Palace la semaine du 29 décembre 1922, le programme prévoit pour la même séance le premier épisode d’un nouveau serial: Vingt Ans après réalisé par Henri Diamant-Berger pour Pathé. Une manière judicieuse pour la salle de s’assurer que les spectateurs reviennent les semaines suivantes pour la suite des aventures en dix épisodes des Trois Mousquetaires.
Ci-dessus: Le Fils du flibustier, premier ciné-roman au Monge-Palace le 13 octobre 1922.
Avec les serials largement diffusés dans les salles parisiennes, d’ambitieux films arrivent à l’affiche des salles parisiennes. Présenté en version intégrale au Gaumont-Palace et au Madeleine, L’Atlantide de Jacques Feyder est prolongé dans les salles de quartier. Proposé en deux parties dans un programme comportant un serial, des courts-métrages et des attractions, le film qui met en scène la voluptueuse Stacia Napierkowska dans le rôle d’Antinéa est donné au Monge-Palace le 12 janvier 1923 pour sa première partie et le 19 janvier pour la seconde, accompagné des troisième et quatrième épisodes de Vingt Ans après.
Sans être une salle de luxe, le Monge-Palace reste néanmoins un cinéma qui se démarque d’autres salles de quartier. En 1923, les prix des places est de 4,50 francs pour les loges et les baignoires, 3,50 francs pour le balcon, 2,50 francs pour l’orchestre et de 1,50 francs pour les fauteuils de 1ère et 2ème série. Ces tarifs sont identiques à ceux pratiqués au Danton-Palace, mais moins élevés que ceux pratiqués au Max Linder où il faut débourser entre 3 et 7 francs, au Colisée des Champs-Elysées où ils évoluent entre 4 et 9 francs ou encore au luxueux Marivaux des Grands boulevards qui plafonne entre 5 et 15 francs pour la séance de Robin des Bois de Allan Dwan avec Douglas Fairbanks. Une fortune si on compare au cinéma Saint-Michel qui pratique des prix nettement plus abordables, de 1,50 à 2,75 francs. Cinéma de quartier, le Monge-Palace est relativement central comme le souligne la publicité qui met en avant toutes les lignes de transport permettant de s’y rendre: six lignes d’autobus et dix lignes de tramway desservent le cinéma.
Le 1er février 1923, le Monge-Palace propose une matinée organisée par l’Union des Femmes de France au profit des soldats tuberculeux avec le programme « Cinéma et Intermèdes ». Les places varient de 2 à 10 francs. Parmi les longs métrages proposés au Monge-Palace durant les années 1920, on peut relever L’Arlésienne d’André Antoine la semaine du 1 décembre 1922 – en même temps qu’au Madeleine-Cinéma, Les Deux Orphelines de D. W. Griffith la semaine du 26 janvier 1923, L’Étroit Mousquetaire tourné aux Etats-Unis par Max Linder la semaine du 16 février 1923, Nanouk l’Esquimau de Robert Flaherty le 2 mars 1923 ou encore Oliver Twist de Frank Lloyd avec Lon Chaney et Jackie Coogan la semaine du 21 septembre 1923. On retrouve le jeune acteur à l’écran du Monge-Palace la semaine du 5 octobre de la même année dans Le Kid de Charlie Chaplin.
Ci-dessus: sortie générale de La Ruée vers l’or la semaine du 12 février 1926.
D’autres œuvres – pour certaines qui ont traversé le temps – sont à l’affiche du Monge-Palace comme le film Violettes impériales de Henry Roussel avec la grande vedette du music-hall Raquel Meller programmé le 10 septembre 1924, Sherlock Junior de Buster Keaton le 16 janvier 1925, la première version du film de Cecil B. DeMille Les Dix Commandements – dont l’exclusivité a lieu au Théâtre des Champs-Elysées – la semaine du 15 mai 1925, La Ruée vers l’or de Charles Chaplin le 12 février 1926, Ma vache et moi de Buster Keaton le 31 décembre 1926, Le Mécano de la « General » du même auteur le 15 avril 1927, Metropolis de Fritz Lang avec Brigitte Helm le 9 mars 1928 ou encore Napoléon d’Abel Gance. Le film incarné par Albert Dieudonné – un rôle qu’il jouait également hors des plateaux – est proposé dans les salles de quartier dans une version en trois épisodes, successivement les 28 septembre, 5 octobre et 12 octobre 1928.
Le premier film américain Friedrich Wilhelm Murnau L’Aurore est programmé au Monge-Palace le 11 janvier 1929 suivi de Verdun, visions d’histoire de Léon Poirier avec Albert Préjean le 12 avril 1929 et enfin du sulfureux Loulou de Georg Wilhelm Pabst avec l’immortelle Louise Brooks la semaine du 28 mars 1930.
Le public des années 1920 est friand de serials et de films burlesques tels Malec champion de golf de Buster Keaton au programme le 24 août 1923 ou bien La Panouille aviateur le 12 mars 1926. D’autres grands ciné-romans tiennent l’affiche du Monge-Palace comme Jean Chouan de Luitz-Morat en huit épisodes à partir du 29 janvier 1926, Le P’tit Parigot de René Le Somptier en cinq épisodes à partir du 15 octobre 1926, Belphégor de Henri Desfontaines en quatre épisodes à partir du 19 février 1927 ou bien Poker d’as du même auteur en huit épisodes à partir du 16 mars 1928.
En mai 1930, cinq nouvelles salles de cinéma sont équipées du système « Idéal-Sonore » de Gaumont qui aligne son projecteur sur le modèle RCA: le cinéma La Grande Taverne à Nancy, l’Alcazar à Asnières, le magnifique Cyrano à Versailles ainsi que deux salles de l’exploitant Léon Brézillon: le Daunou et le Monge-Palace. Alors que le système développé par Gaumont semble pour certains observateurs de l’époque ne pas être optimal dans les salles de plus de 1.000 places, la presse corporative est convaincue de ses performances notamment au Cyrano, qui possède alors 2.000 places, et au Monge-Palace qui en possède 1.600.
Ci-dessus, à gauche: les salles du circuit Brézillon-Silly la semaine du 3 décembre 1931. A droite, La Folle aventure la semaine du 16 octobre 1931.
L’arrivée du cinéma parlant dans la salle de la rue Monge.
L’inépuisable succès du Chanteur de jazz d’Alan Crosland – le premier film sonore qui fait les beaux jours du cinéma Aubert-Palace – arrive enfin au Monge-Palace la semaine du 2 mai 1930. En cette période de transition où les films parlants arrivent progressivement, le Monge-Palace alterne une programmation qui mêle les films sonores aux films muets. Parmi les œuvres projetées, on peut découvrir le film musical La Chanson de Paris de Richard Wallace avec Maurice Chevalier à l’affiche le 9 mai 1930, La Nuit est à nous de Roger Lion avec Marie Bell le 16 mai 1930, Cendrillon de Paris de Jean Hémard avec Colette Darfeuil le 13 mars 1931, Le Mystère de la chambre jaune de Marcel L’Herbier le 17 juillet 1931, Le Million de René Clair avec Annabella le 3 décembre 1931, la comédie à succès produite par Gaumont La Bande à Bouboule de Léon Mathot avec Georges Milton le 18 mars 1932 ou bien L’Atlantide de Georg Wilhelm Pabst avec la magnétique Brigitte Helm le 18 novembre 1932.
1932 est une année faste pour Félix Silly: l’exploitant reçoit au titre du Ministère du commerce la Croix de la Légion d’honneur. Outre le Monge-Palace, l’entrepreneur, toujours associé avec Léon Brézillon, est à la tête de nombreux cinémas parisiens: le Palais des Fêtes, l’Ornano, le Ménil-Palace, le Cocorico et le Danton-Palace.
Durant les années 1930, le Monge-Palace obtient rapidement les films en sortie générale. A titre d’exemple, Les Trois lanciers du Bengale de Henry Hathaway avec Gary Cooper sort le 1er mars 1935 en première exclusivité au cinéma Paramount pour une durée de quatre semaines jusqu’au 28 mars 1935. L’exclusivité se poursuit à l’Empire de l’avenue de Wagram à partir du 5 avril puis laisse la place à la sortie générale qui débute le 19 avril au Monge-Palace ainsi qu’au Vivienne, au Louxor, au Palais des Fêtes, à l’Eldorado, au Montparnasse-Pathé… La salle de la rue Monge bénéficie ainsi d’un statut privilégié dans les plans de sortie de films.
Le programme affiché au Monge-Palace changeant toutes les semaines, on peut relever parmi les nombreux films ceux interprétés par le jeune premier Jean Gabin comme La Belle Marinière de Harry Lachman le 28 avril 1933, L’Étoile de Valencia de Serge de Poligny avec Brigitte Helm le 22 septembre 1933, Adieu les beaux jours d’André Beucler et Johannes Meyer également avec Brigitte Helm le 15 décembre 1933, Golgotha de Julien Duvivier le 6 septembre 1935, La Bandera du même auteur le 7 février 1936 ou bien La Grande illusion de Jean Renoir le 16 décembre 1937.
Parmi les films projetés au Monge-Palace et désormais considérés comme des classiques du 7ème Art, citons Fanny de Marc Allégret programmé le 10 novembre 1933, King Kong de Ernest B. Schoedsack et Merian C. Cooper avec la belle Fay Wray le 23 mars 1934, Les Misérables de Raymond Bernard avec Harry Baur, dont les trois parties se succèdent les 30 mars, 6 avril et 13 avril 1934, Angèle de Marcel Pagnol avec Orane Demazis et Fernandel le 17 mai 1935, La Kermesse héroïque de Jacques Feyder le 21 février 1936, Mon père avait raison de Sacha Guitry le 29 janvier 1937 ou encore Blanche-Neige et les Sept Nains de Walt Disney le 21 décembre 1938.
Ci-dessus: Les Amants terribles de Marc Allégret la semaine du 20 novembre 1936.
Ci-dessus: La Grande illusion de Jean Renoir en sortie générale la semaine du 16 décembre 1937.
Les portes du Monge-Palace restent ouvertes en temps de guerre.
1939, la guerre éclate. Au Monge-Palace, on donne en double programme Coups de feu de René Barberis avec Mireille Balin et Raymond Rouleau et Les Deux bagarreurs de George Marshall avec Victor McLaglen. La salle reste ouverte durant tout le conflit. A partir de 1940, Félix Silly s’associe avec F. Lallemand dans la société Monge-Palace. Le Danton-Palace reste quant à lui exploité par la Compagnie Générale des cinémas Family-Palace. Le cinéma poursuit les doubles programmes comme, la semaine du 27 décembre 1939, Gunga Din de George Stevens avec Panique à l’hôtel de William A. Seiter interprété par les Marx Brothers ou, la semaine du 28 février 1940, Circonstances atténuantes de Jean Boyer avec Vous seule que j’aime de Henri Fescourt avec Reda Caire. Quand les troupes allemandes entrent dans Paris, le Monge-Palace affiche en double programme deux films de la RKO Pictures: Mademoiselle et son bébé de Garson Kanin avec Ginger Rogers et L’Irlandais volant de Leigh Jason.
Lorsque le régime de Vichy créé le 16 août 1940 le Comité d’Organisation de l’Industrie Cinématographique (COIC), la nouvelle organisation supprime les doubles programmes. Le Monge-Palace poursuit sa carrière de cinéma de quartier en assurant la sortie générale de films dont l’exclusivité est terminée. Il affiche la plupart du temps, comme avant-guerre, les mêmes programmes que le Danton-Palace, M. Lallemand assurant également la direction du cinéma du boulevard Saint-Germain. Parmi les œuvres à l’affiche durant l’Occupation, on peut retenir le film de la Tobis La lutte héroïque de Hans Steinhoff avec Emil Jannings la semaine du 18 juin 1941, le film de propagande Scipion l’Africain de Carmine Gallone celle du 6 août 1941, Parade en sept nuits de Marc Allégret avec Jules Berry, Raimu et Micheline Presle le 7 janvier 1942 et enfin Fièvres de Jean Delannoy la semaine du 5 août 1942. Ce film ayant pour vedette Tino Rossi revient en salle la semaine du 23 septembre 1942.
Durant ces années sous l’Occupation, les salles de cinéma ne désemplissent pas. Au Monge-Palace, on y joue les grands succès du moment comme Narcisse d’Ayres d’Aguiar avec Rellys la semaine du 30 septembre 1942, la production Continental Films La Symphonie fantastique de Christian-Jaque avec Jean-Louis Barrault dans le rôle de Berlioz à l’affiche le 28 octobre 1942, L’Assassin habite au 21 de Henri-Georges Clouzot avec Pierre Fresnay – également produit par la Continental – le 10 février 1943, Les Visiteurs du soir de Marcel Carné avec Arletty et Jules Berry le 19 mai 1943, Le Voile bleu de Jean Stelli avec Gaby Morlay le 9 juin 1943, Goupi Mains Rouges de Jacques Becker avec Fernand Ledoux et Robert Le Vigan le 13 octobre 1943 suivi la semaine suivante de Lumière d’été de Jean Grémillon avec Madeleine Renaud et Pierre Brasseur et, la semaine du 12 janvier 1944, de Domino de Roger Richebé avec Fernand Gravey.
Durant ces années d’Occupation, le Monge-Palace ainsi que toutes les salles du circuit Silly-Lallemand sont contraintes d’appliquer pour leurs ouvreuses la semaine de 40 heures. En effet, en 1941, un conflit social oppose les ouvreuses de deux des cinémas du circuit situés sur le boulevard Sébastopol alors que la direction imposait des semaines de 52 heures. Une médiation a lieu entre M. Joubert, secrétaire général des employés de spectacles, et les représentants du circuit pour faire imposer aux dirigeants l’application de la loi.
A la Libération, l’écran du Monge-Palace accueille le cinéma américain, peu présent dans les cinémas de quartier dans les années 1930 et totalement absent des salles durant l’Occupation. Parmi les films à l’affiche, on peut citer la reprise de Blanche-
Les grands succès des années 1950 et 1960 sur l’écran du Monge-Palace.
Grâce au doublage qui est quasi systématique dans l’exploitation des productions étrangères, les films en version française peuvent ainsi être diffusés dans une large de salles de quartier ainsi qu’en banlieue et en province. D’autres productions nationales sont programmées au Monge-Palace comme Les Enfants du paradis de Marcel Carné la semaine du 6 février 1946, La Symphonie pastorale de Jean Delannoy le 11 décembre 1946, Le Bataillon du ciel d’Alexandre Esway le 17 septembre 1947 pour la première partie et le 24 septembre pour la seconde, Antoine et Antoinette de Jacques Becker le 10 mars 1948, à nouveau à l’affiche du Monge-Palace le 31 octobre 1951 avec Edouard et Caroline interprété par Daniel Gélin et Anne Vernon.
Ci-dessus: Le Bataillon du ciel dans les salles de quartier les 17 et 24 septembre 1947.
La Ligne Aéronautique de France propose régulièrement dans la salle du Monge-Palace des séances le matin – dès 9h – comme le dimanche 20 novembre 1955 au cours de laquelle deux films d’aviation sont projetés: L’Escadrille de l’enfer de Lesley Selander ainsi qu’un documentaire de la Marine Nationale Pilotes de porte-avions. Le 6 mai 1956, c’est Le Grand secret et Balises du ciel, documentaire réalisé par la compagnie Air France, qui sont joués dans la salle de la rue Monge.
Durant les années 1950 et 1960, le Monge-Palace garde sa vocation de salle de quartier avec une programmation de films variés en sortie générale, c’est-à-dire après une exclusivité dans une ou plusieurs prestigieuses salles parisiennes. Chaque semaine, quelque soit le succès rencontré, l’affiche du film change et les genres varient – aventures, westerns, péplums, comédies… – malgré un cadre de scène restreint qui empêche installation d’un écran large de grande taille, ce qui dévalorise les films à grand spectacle.
Parmi les très nombreux programmes, on peut citer Fanfan la Tulipe de Christian-Jaque avec Gérard Philipe la semaine du 21 mai 1952, Ivanhoé de Richard Thorpe celle du 15 avril 1953, Madame de réalisé par Max Ophuls le 16 décembre 1953, Tant qu’il y aura des hommes de Fred Zinnemann le 29 septembre 1954, La Strada de Federico Fellini le 16 novembre 1955, Voici le temps des assassins de Julien Duvivier le 17 octobre 1956, Le Rouge est mis de Gilles Grangier le 6 novembre 1957, le péplum Quo vadis de Mervyn LeRoy le 4 juin 1958, la première réalisation de Jean-Pierre Mocky Les Dragueurs le 13 janvier 1960, Les Dix Commandements de Cecil B. DeMille le 4 ami 1960, le western Les Sept Mercenaires de John Sturges le 30 mai 1961, Les 101 Dalmatiens de Walt Disney le 13 juin 1962, la reprise de Autant en emporte le vent de Victor Fleming le 2 janvier 1963 puis le 11 mars 1970, Lawrence d’Arabie de David Lean le 7 février 1964 puis le 10 mars 1971, Le Corniaud de Gérard Oury le 6 octobre 1965, le musical My Fair Lady de George Cukor le 23 décembre 1966, La Grande vadrouille de Gérard Oury le 21 juin 1967 ou bien Il était une fois dans l’Ouest de Sergio Leone le 12 novembre 1969.
Ci-dessus: Spartacus dans les salles de quartier la semaine du 28 mars 1962.
Ci-dessus: Au risque de se perdre avec Audrey Hepburn au Monge la semaine du 27 juin 1962.
Ci-dessus: Une Ravissante idiote au Monge la semaine du 3 juin 1964.
Ci-dessus: reprise de Peter Pan la semaine du 13 avril 1966.
Ci-dessus: Hibernatus au Monge le 21 janvier 1970.
Les années 1970 sont dommageables pour les cinémas mono-écran comme le Monge, le public se rendant davantage dans les salles modernes et confortables des complexes affiliés aux grands circuits. Un grand nombre de salles tombent en désuétude et survivent difficilement, à l’instar des cinémas le Marcadet, le Secrétan-Palace, le Palais- Avron, le Demours ou le Brunin.
Quelques films érotiques avant la fin inéluctable du Monge.
L’intérieur de la salle du Monge-Palace a été peu transformé au cours des décennies, voir un film dans ce cinéma de quartier plonge le spectateur dans une ambiance surannée. La salle n’est pas permanente et propose une séance quotidienne à 21 heures et des matinées le samedi et le dimanche, là où tous les cinémas du Quartier latin sont permanents. Des tentatives de films en exclusivité sont effectuées au Monge-Palace comme Frustration (ou Les Dérèglements d’une jeune provinciale) de José Bénazéraf avec Michel Lemoine, Janine Reynaud, Elisabeth Tessier et Pamela Stanford dont la sortie a lieu le 27 octobre 1971 au Monge ainsi qu’aux cinémas Monte-Carlo, le Beverley, le Cinévog et Clichy Pathé. Un autre film érotique – interdit aux moins de 18 ans – bénéficie d’une sortie en exclusivité dans la salle du Monge-Palace ainsi qu’aux cinémas Midi-Minuit, Scarlett, Monte-Carlo et Clichy-Pathé: Ton mari cet inconnu de Werner-M. Lenz avec Heidi Maien.
Sous l’impulsion de Jacques Rebotier et afin de bénéficier de la clientèle du Quartier latin, le Monge-Palace voit sa programmation évoluer vers des reprises de films récents en version originale comme l’incontournable Orange mécanique de Stanley Kubrick la semaine du 3 avril 1974.
La troisième Convention du Film Fantastique a lieu au Monge-Palace du 7 au 14 avril 1974 incluant dans le jury Robert Benayoun, Luis Gasca, l’affichiste Michel Landi, le critique Gérard Lenne, Alain Lacombe, David Overbey, Jean-Claude Romer et Alain Ruellan. Dans le numéro 26 de la revue Ecran 74, le critique Alain Schlockoff établit le bilan, auprès de Gérard Lenne, de la manifestation qui, depuis cette édition, se nomme désormais Festival du Film Fantastique et de Science-fiction de Paris. Il parle entre autres du choix de la salle: « Il faut dire que tous les exploitants sont extrêmement méfiants (bien que l’opération soit, pour eux rentable et sans risque) ou bien qu’ils nous proposent des tarifs inabordables. Faute de moyens, nous n’avons pu avoir, par exemple, le Kinopanorama. En outre, il nous faut désormais une salle de 2.000 places ».
Parmi les films présentés sur l’écran du Monge-Palace pour cette troisième édition, citons quelques œuvres dont SSSSnake de Bernard L. Kowalski récompensé pour le maquillage ou Le Retour de l’abominable Docteur Phibes de Robert Fuest avec Vincent Price récompensé pour l’interprétation. Même si, pour beaucoup de cinéphiles, les films Schlock de John Landis et surtout The Devil in Miss Jones de Gerard Damiano restent dans les mémoires, la Licorne d’Or est attribuée à The Wicker Man de Robin Hardy.
Malgré la proximité de l’université Jussieu, en dépit de ses beaux volumes et de sa capacité de 1.000 fauteuils, le Monge ne retrouve pas le public qui fit les belles séances de ses cinquante-deux années d’exploitation. A l’agonie, la fermeture du cinéma de quartier de la rue Monge semble inexorable. La dernière séance du Monge a lieu le mardi 1er octobre 1974, après une ultime projection de Soldat bleu de Ralph Nelson qui a été vu par 812 spectateurs cette semaine-là.
C’est une surface commerciale qui occupe – comme tant d’autres salles à l’instar de l’Ornano ou du Secrétan – le volume de l’ancien cinéma. Triste sort.
Ci-dessus: l’ancien cinéma Monge en 1995.
Texte: Thierry Béné.
Documents: Gallica-BNF, La Construction Moderne, Une Semaine de Paris, France-Soir et Collection particulière.
Merci Fabrice pour ces précisions de ce qui fut une jolie salle de quartier.
Fermeture le 1er octobre 1974 avec le film Le soldat bleu (812 entrées).