Beau, étrange, envoûtant. Ce sont les premiers mots qui viennent après la vision de Pacifiction – Tourment sur les îles, le nouveau film du cinéaste espagnol Alberto Serra. Très long aussi, devrait-on rajouter, pour ce film à suspense et à atmosphère.

A Tahiti, le haut-commissaire de la République en Polynésie française De Roller (Benoît Magimel) est un vrai homme de terrain qui sillonne les îles à la rencontre des habitants et des chefs de clans. Sincère, roublard, attachant, De Roller fréquente également les boîtes de nuit où se réunissent, la nuit venue, d’étranges personnages comme l’amiral (Marc Susini) ou la belle Shannah (Pahoa Mahagafanau). Lorsqu’une rumeur de reprise des essais nucléaires s’étend dans l’île, le représentant de l’Etat tombe dans une profonde paranoïa.

Albert Serra suit son personnage au plus près: en voiture, sur un bateau ou à bord d’un avion, De Roller se rend disponible de toutes et de tous. Costume blanc, chemises à fleurs et lunettes aux verres fumés, il n’hésite pas, tel un homme politique en campagne, à ce qu’on le sollicite: il fera son possible pour aider. C’est l’immense Benoît Magimel qui interprète ce haut fonctionnaire animé par sa fonction de médiateur dans l’archipel. Depuis quelques rôles comme dans La Douleur (2018), Une Fille facile (2019), Amant (2021) ou Revoir Paris (2022), le comédien a gagné une véritable épaisseur de jeu qui rappelle l’âge de la maturité de grands comédiens comme Gérard Depardieu ou Pierre Brasseur. Autour de lui, un petit théâtre de personnages s’agite – ou plutôt passe le temps – et sème le doute sur la possibilité d’essais nucléaires. Un doute qui va entraîner De Roller dans un irrémédiable état.

Avec une magnifique photo signée Artur Tort et la bande-son hypnotique de Marc Verdaguer, Pacifiction – Tourment sur les îles est un voyage tout à fait passionnant dans l’âme tourmentée de cet homme affable, dont on ne connaît ni le passé, ni l’intimité. Définitivement trop long où rien ne se passe et tout se passe à la fois, le voyage vaut cependant le coup: c’est une proposition magistrale d’un cinéma rare.

Pacifiction d'Albert Serra