L’année 2013 voit la réouverture de deux mythiques salles de cinéma: la première à Paris en juin dernier avec le fabuleux Louxor, le bien nommé « Palais du Cinéma ». La seconde en cette fin d’année à La Ciotat avec l’Eden, « le plus ancien cinéma du monde ». Une pure coïncidence? Pas tout à fait puisque, dans les deux cas, la mobilisation du tissu associatif d’abord et la prise de conscience des collectivités ensuite ont eu raison face à une menace de péril et de destruction.

Ces deux salles renvoient à une histoire exceptionnelle: l’une est le symbole de ces somptueux cinémas palaces de l’entre-deux-guerres, l’autre a été la première salle construite exclusivement pour les projections du cinématographe. Leurs architectures, l’Art Déco aux influences égyptiennes à Barbès, le style théâtre à l’italienne face à la grande bleue, sont exceptionnelles et les ancrent dans la mythologie du cinéma.

En ce mois d’inauguration de l’Eden où a eu lieu la première séance payante le 21 mars 1899, Salles-cinema.com a rencontré Emmanuelle Ferrari, chargée de mission cinéma à la Ville de La Ciotat qui revient spécialement pour « le site des amoureux des salles de cinéma » sur le projet de sauvegarde du cinéma, sur sa réouverture et sur ses futures orientations.

ENTRETIEN AVEC EMMANUELLE FERRARI, CHARGÉE DE MISSION CINÉMA A LA VILLE DE LA CIOTAT:

Doyenne des salles de cinéma dans le monde, la réouverture de l’Eden est un événement qui dépasse largement nos frontières…

La particularité de l’Eden, c’est que depuis l’année de la naissance du 7ème Art en 1895, elle est la première salle entièrement destinée au cinéma. Cela lui confère indubitablement une prestigieuse aura.

Mais c’est aussi la ville de La Ciotat elle-même qui jouit d’une certaine mythologie autour du cinéma. Même si chronologiquement le premier film que les frères Lumière ont tourné en 1895 est « La Sortie de l’usine Lumière à Lyon », celui qui restera dans les mémoires reste « L’Arrivée d’un train en gare de La Ciotat », tourné la même année. La ville de La Ciotat, sa petite gare ferroviaire et la salle de l’Eden se voient ainsi protégés grâce à ce « film étalon » du cinéma.

Le classement de la salle en 1996 à l’inventaire des Monuments Historiques l’a définitivement préservé des éventuels projets de transformation ou de destruction.

Sa rénovation, puis sa réouverture cette année, sont un immense projet pour La Ciotat, cette petite ville qui a longtemps vécu autour des chantiers navals et qui n’avait pas forcément fait de la culture une priorité. Grâce à l’Eden, un projet désormais pérenne vient enfin combler ce manque.

2013 est l’année de la renaissance du Louxor à Paris et de l’Eden à la Ciotat. Dans les deux cas, ce sont d’abord des associations citoyennes qui sensibilisent les pouvoirs publics à la sauvegarde du patrimoine culturel et architectural…

Sinistrée avec la fin de sa mono-industrie, la ville n’avait pas forcément à l’époque de projet culturel précis, le maintien d’un cinéma n’était pas à l’ordre du jour. Le tissu associatif a pris le dessus et son long travail a véritablement porté ses fruits.

Ainsi, avant tout le monde, les associations se sont mobilisées. Grâce à elles, on peut affirmer que l’Eden a été maintenu en activité. Par exemple, les bénévoles de l’association « Le Berceau du Cinéma » se sont réunis dès 1981 pour lancer à l’Eden le Festival du Premier Film Francophone.

Ci-dessus: la façade rénovée de l’Eden.

L’Eden comme le Louxor sont classés aux Monuments Historiques. Malgré cela, plusieurs années se sont écoulées avant leurs réouvertures. Comment l’expliquez-vous pour l’Eden?

Au fil des années, jusqu’à sa fermeture en 1995, la salle de l’Eden a été maintenue en activité. Son classement a eut lieu en 1996 et sa réouverture seulement cette année. Que s’est-il passé pendant ces 17 ans de fermeture? La dégradation du bâtiment et l’absence de vision et de projet sur le devenir de la salle n’ont pas accéléré sa renaissance.

Mais, me direz-vous, comment porter ce projet de réouverture dans une petite ville relativement isolée, entre Marseille et Toulon, qui n’a pas non plus les attraits culturels d’Aix-en-Provence?

Sur la durée, petit à petit, les choses ont évolué: on a parlé du travail formidable des associations. Vint ensuite la prise de conscience des collectivités sur ce joyau patrimonial et culturel. Enfin, Marseille Provence 2013 a été le grand coût d’accélérateur de la renaissance de l’Eden.

L’Eden est désormais propriété de la commune. Comment s’organisent sa gestion ainsi que sa programmation ? 

C’est l’équipe actuelle du cinéma Le Lumière, au centre-ville, qui s’est vu confier la mission de l’exploitation de l’Eden. Mais, chose inédite dans l’exploitation, c’est la ville de La Ciotat, avec les associations, qui va donner le ton de la programmation.

La structure de la salle fait que nous ne pouvons y organiser une programmation commerciale classique, même si l’Eden est équipé, en plus du 16 m/m et 35m/m, du numérique.

Nous orientons notre ligne éditoriale vers l’histoire du cinéma avec la programmation de films restaurés issus de diverses fondations et de cinémathèques. Notre cahier des charges, qui englobe les associations, est tout à fait lisible: nous allons axer l’Eden sur la dimension pédagogique du cinéma. Avec l’organisation de leçons de cinéma, avec un festival annuel, avec deux grandes expositions par an, l’Eden va devenir, grâce à cette programmation d’excellence, un rendez-vous incontournable pour tous les cinéphiles.

Ci-dessus: l’Eden, avant les travaux de réhabilitation.

Cette réouverture laisse-t-elle présager un intérêt retrouvé pour le cinéma dans une salle de proximité, à l’heure de la multiplication des multiplexes et des films en téléchargement ?

On a besoin du « cinéma de proximité ». Et l’Eden bénéficie du regain d’intérêt vers les structures à taille humaine avec sa salle de 166 fauteuils dans un cadre historique retrouvé.

D’autant plus qu’autour de l’Eden, une véritable « géographie du cinéma » va bientôt animer La Ciotat. Avec par exemple la Chapelle des Pénitents Bleus restaurée qui propose un programme d’activités culturelles (expositions de photos et de cinéma). Avec bientôt la visite du Grand Salon classé de la villa des Frères Lumière. Cette résidence de la famille d’industriels, bâtie en 1893, a accueilli les premières projections de cinéma. Avec également la Villa de l’acteur Michel Simon qui va devenir une résidence d’écriture pour le cinéma et l’audiovisuel. Avec enfin le centre d’archives à partir de l’oeuvre de l’acteur. Ces archives seront visibles dans la halle réhabilitée en lieu et place du cinéma de centre-ville Le Lumière qui va déménager dans un futur multiplexe.

Ce parcours de cinéma, autour de l’Eden, confirme une nouvelle et belle vitalité des projets culturels de la ville.

Qui sont les spectateurs de l’Eden ? Comment faire de l’Eden un lieu d’échange plutôt qu’un simple lieu de consommation ? 

Les habitants de La Ciotat sont venus, animés d’une grande curiosité, redécouvrir leur nouveau cinéma. Mais nous devons désormais les fidéliser et attirer également le jeune public. Une programmation de genre et des ciné-concerts sont prévus. C’est définitivement par l’éducation à l’image que nous pouvons faire susciter de l’intérêt pour le cinéma envers les jeunes. J’ai une certaine admiration pour le travail réalisé par l’Alhambra, à Marseille dans le quartier de l’Estaque. Ce cinéma oeuvre remarquablement auprès des jeunes et des habitants du quartier. Nous devons nous inspirer de cette belle expérience.

Copyright textes: Salles-cinema.com – Crédit photos: Service communication, Ville de La Ciotat

Remerciements: Emmanuelle Ferrari, chargée de mission cinéma Ville de La Ciotat et son assistante Cécile Jeannetaud.

Sur le même thème:

Tarifs et programme du cinéma l’Eden à La Ciotat.

L’inauguration du cinéma Le Louxor à Paris