Adresse: 44 rue des Dames à Paris (XVIIè arrondissement)
Nombre de salles: 1
Comme une comète filant dans le ciel étoilé, le cinéma parisien Le Météore a une existence brève et un début d’exploitation pour le moins chaotique. A l’approche de la Noël 1938, le 23 décembre, est inaugurée au 44 rue des Dames, à quelques pas du boulevard des Batignolles, une salle d’une capacité de 800 fauteuils qui porte une première enseigne pour le moins curieuse: Le Caïd.
La revue corporatiste La Cinématographie française du 23 décembre annonce dans un communiqué laconique qu’« une nouvelle salle très moderne « Le Caïd » va s’ouvrir très prochainement dans le quartier des Batignolles, à l’angle de la rue des Dames et de la rue des Batignolles. Ce nouveau cinéma comprendra 800 places de plain-pied ».
C’est la comédie policière Café de Paris réalisée par Yves Mirande et Georges Lacombe et interprétée par le savoureux Jules Berry et la sociétaire de la Comédie Française Véra Korène qui lance la séance inaugurale du cinéma. Suivent, parmi d’autres, Le Patriote de Maurice Tourneur avec Harry Baur et Pierre Renoir à l’affiche le 4 janvier 1939 – proposé six mois après sa sortie en première exclusivité au Madeleine, Les Aventures de Marco Polo d’Archie Mayo et John Cromwell avec Gary Cooper le 18 janvier 1939 et l’irrésistible Désiré du maestro Sacha Guitry le 3 mai. Durant ces premiers mois d’exploitation, Le Caïd programme plusieurs productions de la RKO. Aujourd’hui considérés comme des classiques, ces films en cette fin des années 1930 ne réalisent pas de recettes confortables.
Ci-dessus: l’inauguration du cinéma permanent Le Caïd le 23 décembre 1938 avec à l’affiche Café de Paris d’Yves Mirande.
Quelques jours après l’ouverture du Caïd, le mercredi 4 janvier 1939, les cinémas parisiens entament une grève en protestation de la nouvelle taxe votée par le Conseil municipal. A cette période où la fréquentation des cinémas est intense, le Caïd ne trouve paradoxalement pas son public et n’enregistre que 20.251 entrées sur ses cinq premiers mois d’exploitation. Il n’est pas aisé de comprendre aujourd’hui les difficultés que rencontre la salle lors de son démarrage: est-ce dû à son étrange enseigne qui n’incite pas le public à pousser les portes de la salle? Est-ce le choix de la programmation? Ou est-ce la concurrence de salles voisines, comme le Demours ou le Pereire-Palace, intégrées dans des plans de sortie générale avec des films porteurs ?
Le 8 juin 1939, un entrefilet dans les colonnes du journal L’Intransigeant annonce l’ouverture d’un nouveau cinéma aux Batignolles, le Météore. Il s’agit en fait du Caïd qui vient de changer d’enseigne après trois semaines de fermeture. Le quotidien précise que « Le Météore est doté de tous les perfectionnements techniques tant au point de vue de la projection sonore que du confort offert aux spectateurs. Naturellement la salle est climatisée. Les programmes seront tout particulièrement sélectionnées ».
Ci-dessous: la salle en 1939, renommée Le Météore.
La réouverture de l’établissement s’effectue avec deux immenses succès publics proposés en double programme, La Grande Illusion de Jean Renoir et Debout là-dedans! de Henry Wulschleger avec la grande vedette comique de l’époque, Bach. Suivent Angèle de Marcel Pagnol avec Orane Demazis et Fernandel le 14 juin 1939 et une série de films en double programme comme, la semaine du 5 juillet 1939, Jacques et Jacotte de Robert Péguy et Adémaï aviateur de Jean Tarride avec Noël-Noël et Fernandel ou bien Jofroi de Marcel Pagnol et La Bandera de Julien Duvivier. Quand la guerre éclate, le Météore propose un double programme avec à l’affiche le policier Double crime sur la ligne Maginot de Félix Gandéra et Sentinelles de l’empire de Jean d’Esme depuis le 23 août 1939.
Durant la période 1939-1945, les portes du Météore restent closes. Ce n’est qu’à la Libération, à partir du 28 mars 1945, que la société Cinéfort rouvre le cinéma sous la direction de M. Thiebault. Pour relancer la salle, c’est Le Roi des gueux de Frank Lloyd avec Ronald Colman qui est choisi, suivi de films sortis durant l’Occupation comme trois productions de la Continental Films: L’Assassin habite au 21 de Henri-Georges Clouzot la semaine du 4 avril 1945, La Symphonie fantastique de Christian-Jaque celle du 11 avril 1945 ou La Ferme aux loups de Richard Pottier avec François Périer le 9 mai de la même année.
A la fin de l’année 1945, alors que les premiers grands froids arrivent sur la France, les recettes des salles de cinéma de la région parisienne chutent de 40%. Les établissements ne sont pas chauffés et certains d’entre eux, surtout au niveau de l’orchestre, « sont de véritables glacières » comme le commente Le Film français. La profession s’interroge sur une possible fermeture jusqu’au mois de mars. Le Syndicat Français des directeurs entre alors en pourparlers avec le Ministère de la Production Industrielle pour obtenir du charbon afin de chauffer les salles. Grâce à cette mobilisation, celles-ci restent finalement ouvertes.
L’après-guerre, c’est aussi le grand retour du cinéma américain sur les écrans français. Le Météore propose ainsi des films tournés avant-guerre, mais peu diffusés en France depuis comme Zaza (1939) de George Cukor avec Claudette Colbert et Herbert Marshall le 31 octobre 1945, Le Brigand bien-aimé (1939) de Henry King et Irving Cummings le 23 janvier 1946 ou Suez d’Allan Dwan (1938) avec Tyrone Power, Loretta Young et l’actrice française Annabella le 25 décembre 1946.
De grands succès nationaux défilent également sur l’écran du Météore comme le triomphe de Noël-Noël La Cage aux rossignols de Jean Dréville le 6 février 1946 repris le 26 juin; Le Gardian de Jean de Marguenat avec Tino Rossi le 11 décembre 1946, Rendez-vous à Paris de Gilles Grangier le 17 septembre 1947 ou bien Antoine et Antoinette de Jacques Becker le 17 mars 1948.
Ci-dessous: La Cage aux rossignols de Jean Dréville à l’affiche les semaines du 6 février et 26 juin 1946.
En 1949, le bulletin du CNC met en relief une diminution du nombre de spectateurs, plus marquée dans les salles de quartier que dans les salles d’exclusivité de la capitale. Une conclusion s’impose selon l’étude: « A la fin de 1949, et par rapport à 1946, la clientèle des salles d’exclusivité des Champs-Elysées et des Boulevards ont subi une régression moins importante que celle des zones Montmartre-Montparnasse et des différents quartiers, preuve que les prix des places dans les salles d’exclusivité pouvaient être augmentés ».
En 1950, Le Film français publie une enquête dans son numéro 316 qui indique que 61% des programmes des cinémas de quartier parisiens sont des productions françaises alors qu’elles ne représentent que 29% pour les salles d’exclusivité. Cette enquête n’est certes qu’une photographie sur une période limitée, mais son objectif est de valoriser l’importance des salles de quartier auprès des professionnels. Cette tendance peut être constatée en observant les programmes du Météore qui annonce, parmi les films à l’affiche du début de cette décennie, Portrait d’un assassin de Bernard-Roland avec Erich Von Stroheim à l’affiche la semaine du 8 février 1950, Rendez-vous de juillet de Jacques Becker celle du 5 avril 1950, Les Enfants terribles de Jean-Pierre Melville adapté par Jean Cocteau le 7 juin 1950, La Dame de chez Maxim’s de Marcel Aboulker avec Arlette Poirier le 13 décembre 1950, Le Rosier de madame Husson de Jean Boyer avec Bourvil le 10 janvier 1951, Souvenirs perdus de Christian-Jaque le 16 mai 1951, Jour de fête de Jacques Tati le 4 juillet 1951, Identité judiciaire de Hervé Bromberger le 31 octobre 1951, Dupont Barbès de Henri Lepage avec la jolie Madeleine Lebeau le 5 mars 1952 ou Le Trou normand de Jean Boyer avec Bourvil et la jeune Brigitte Bardot le 21 décembre 1952.
Ci-dessus: Trois Petits Mots de Richard Thorpe la semaine du 4 juin 1952.
Ci-dessus: L’Affaire Cicéron de Joseph L. Mankiewicz la semaine du 17 décembre 1952.
C’est surtout avec la Metro-Goldwyn-Mayer que le Météore collabore pour diffuser les productions américaines, parmi lesquelles Les Trois Mousquetaires de George Sidney avec Gene Kelly et Lana Turner le 11 octobre 1950, Madame Bovary de Vincente Minnelli avec Jennifer Jones dans le rôle-titre le 3 janvier 1951, Les Mines du roi Salomon de Compton Bennett et Andrew Marton le 26 mars 1952 ou bien le musical Show Boat de George Sidney avec Kathryn Grayson, Ava Gardner et Howard Keel le 5 novembre 1952.
Dès 1953, les grands circuits cèdent certaines de leurs salles de quartier, à l’instar du Lecourbe et du Palais des Glaces que M. Toussard rachète au circuit Pathé. Pour le Météore, salle indépendante, l’accès aux films devient bientôt problématique et c’est souvent des mois après la sortie générale que les films arrivent dans la salle de la rue des Dames alors qu’ils ont déjà été exploités dans plusieurs salles de quartier. La fréquentation faiblit et oscille entre 1.100 et 2.500 entrées hebdomadaires. Afin d’augmenter son attractivité, la direction du cinéma propose le jeudi à 15 heures une matinée à prix réduit pour les enfants avec à l’affiche un film d’aventure et une soirée. Le mardi, c’est un programme culturel, un documentaire ou un classique de l’écran qui sont mis en avant. Parmi les films proposés aux jeunes pour une seule séance le jeudi, on peut noter une série de films avec le duo comique Laurel & Hardy comme Les Chevaliers de la flemme de Charley Rogers le jeudi 10 décembre 1953, La Bohémienne de James W. Horne et Charley Roger le 31 décembre 1953 ou Les Compagnons de la nouba de William A. Seiter le 8 décembre 1955. Des productions Walt Disney ont également les faveurs des jeunes spectateurs comme Dumbo le 11 février 1954 ou Cendrillon le 18 mars de la même année repris le 14 décembre 1955.
Parmi les programmes culturels du mardi soir, on peut relever les documentaires Mystères d’Australie le 14 décembre 1954, La Vie secrète des mers du sud le 25 janvier 1955, Au pays des pygmées le 8 mars 1955 ou bien des classiques comme le film autrichien sur la vie de Ludwig van Beethoven Eroïca de Walter Kolm-Veltée le 16 novembre 1954 ou le documentaire Louisiana Story de Robert Flaherty le 14 juin 1955.
A la fin de l’année 1954, la revue corporative La Cinématographie française lance une enquête auprès des exploitants « Fumer ou pas dans les salles de cinéma ». Cette perspective provoque un tollé auprès des exploitants qui, dans leur grande majorité, adoptent une position pour la liberté de fumer dans leur établissement. Les effets nocifs du tabac n’ont, à cette époque, pas encore été révélés et rares sont les voix qui s’élèvent contre le tabac dans les salles de cinéma. Il faut chercher du côté du cinéma Pathé-Palace à Boulogne et auprès de son directeur, M. Maurice pour s’indigner de la fumée dans les salles: « Représentez-vous la spectatrice assise entre deux fumeurs; d’un côté l’odeur écœurante de la pipe et de l’autre la fumée d’une cigarette ou d’un cigare… » Seul le cinéma Rex annonce que, grâce à l’air renouvelé sans cesse, on peut fumer dans la salle.
Ci-dessus: Leur dernière nuit de Georges Lacombe la semaine du 2 décembre 1953.
Durant les années 1950, le Météore offre pour les spectateurs du quartier des Batignolles des œuvres inoubliables comme Les Feux de la rampe (Limelight) de Charles Chaplin la semaine du 30 septembre 1953 et du 21 avril 1954, Les Vacances de monsieur Hulot de Jacques Tati celle du 14 octobre 1953, Les Orgueilleux d’Yves Allégret avec Michèle Morgan et Gérard Philipe le 10 février 1954, Un Grand patron d’Yves Ciampi avec Pierre Fresnay le 28 juillet 1954, Tant qu’il y aura des hommes de Fred Zinnemann avec Burt Lancaster, Montgomery Clift et Deborah Kerr le 20 octobre 1954, L’Homme tranquille de John Ford avec John Wayne et Maureen O’Hara le 29 décembre 1954, Rebecca d’Alfred Hitchcock avec Laurence Olivier et Joan Fontaine le 16 février 1955 et enfin Sur les quais d’Elia Kazan avec Marlon Brando le 20 avril 1955.
Ci-dessus: Le Comte de Monte-Cristo de Robert Vernay avec Jean Marais. Les deux époques sont présentées en une séance la semaine du 9 mars 1955.
Avec l’arrêté du 28 juin 1955, l’impôt sur les spectacles est majoré de 50%, une décision validée après une délibération du Conseil Municipal. Cette mesure fragilise encore davantage les petits établissements comme le Météore qui, alors que la plupart des exploitants optent pour l’installation du Cinémascope dans leur salle, maintient le format standard en proposant Le train sifflera trois fois de Fred Zinnemann avec Gary Cooper et Grace Kelly le 17 octobre 1956, l’adaptation de Georges Simenon Le Sang à la tête de Gilles Grangier avec Jean Gabin le 27 février 1957 ou La Table-aux-crevés de Henri Verneuil d’après Marcel Aymé avec Fernandel le 10 juillet 1957. C’est avec le superbe film de Herbert J. Biberman Le Sel de la terre à l’affiche le 11 septembre 1957 que s’achève la courte existence du Météore. Le soir du 17 septembre, les portes du cinéma de quartier restent définitivement closes.
La salle est utilisée dès l’année suivante en studio d’enregistrement, le Studio des Dames, où de nombreuses vedettes de la chanson, principalement sous les labels Philips et Polydor, défilent jusqu’en 1988. Parmi elles, Barbara, Johnny Hallyday, Dalida, Georges Brassens ou encore Boby Lapointe. Aujourd’hui, aucune trace du cinéma ou du studio d’enregistrement n’est visible puisqu’un immeuble résidentiel y a été érigé.
Textes: Thierry Béné.
Documents: La Cinématographie française, Galllica-BnF, La Semaine de Paris.
Petite erreur : le studio des Dames a ouvert en 1968 ! C’est le label allemand Polydor qui a aménagé le premier l’ancien cinéma en studio d’enregistrement, un seul d’ailleurs (contre deux pour le studio des Dames, qui appartenait à Philips, qui avait racheté Polydor).
Merci Jean-Philippe. Effectivement, les informations sur le cinéma Météore sont rares et imaginer Simenon poussant les portes du Météore est probable! A bientôt!
Merci, je cherchais partout l’historique de ce cinéma. J’habite au 46… Georges Simenon a habité avant guerre au 42, on peut imaginer qu’il a beaucoup fréquenté le Météore.