Emblématique des cinémas-palaces de l’entre-deux guerres, le Grand Rex n’est pas seulement la plus grande salle d’Europe encore en activité. C’est aussi le précieux témoin d’un riche décor hérité des Années folles. Construit en 1932 par l’architecte Auguste Bluysen, le bâtiment n’est plus à présenter: 5.000 fauteuils (ramenés aujourd’hui à 2.700 fauteuils) répartis sur trois niveaux, un écran Grand Large de 300 m2 installé en 1988 et une voûte étoilée qui immerge le spectateur dans une atmosphère mauresque et exotique.

Dès l’entrée dans le hall du cinéma, la sensation d’ailleurs est déjà là: les lustres d’époque, les appliques lumineuses en forme de vase, les portes capitonnées en cuir rouge et, évoluant vers les étages par le monumental escalier, les fresques murales. Profitant de la fermeture provisoire du cinéma pendant la crise sanitaire, celles-ci viennent justement d’être rénovées pour retrouver leur éclat d’antan.

Les murs peints dans les parties communes du Rex sont l’oeuvre d’Henri Mahé (1907-1975), un peintre, illustrateur et décorateur qui officie notamment dans les maisons closes puis dans les cabarets parisiens. Ami de Louis-Ferdinand Céline, l’artiste décore les murs du Bal à Jo en 1936 – qui deviendra le Balajo – ainsi que ceux du Moulin Rouge dans les années 1950.

Auréolé du prix Blumenthal de la décoration en 1934, Henri Mahé participe également aux décors de quatre films d’Abel Gance, dont J’accuse (1937) et Le Capitaine Fracasse (1942), avant de se lancer dans la mise en scène de son unique film Blondine, sorti en 1945 et produit par la Compagnie Parisienne de Location de Films (Gaumont).

Bar du cinéma Grand Rex à Paris

Ci-dessus: le bar du cinéma à son ouverture en 1932. 

Grâce à Franck Vernin, un des plus fins connaisseurs du Grand Rex puisqu’il y travaille depuis des années, les fresques d’Henri Mahé peuvent être partagées à tous les passionnés de salles de cinéma et aux amoureux d’une époque faste des arts décoratifs: l’entre-deux guerre. « Les fresques du Rex représentent une scène de tournage dans un studio de cinéma: l’abordage d’un navire par des flibustiers » précise Franck Vernin qui ajoute qu’elles ont été réalisées dans un entrepôt de la place Blanche prêté par la Maîtrise des Galeries Lafayette.

Imbattable sur l’histoire de « son » cinéma, Franck Vernin énumère les personnages qui figurent sur l’oeuvre murale réalisée par Henri Mahé: « On aperçoit la chanteuse Missia, alors en vogue avant-guerre. Elle jouera également dans des films de Louis Feuillade et de Julien Duvivier. Le poète et chansonnier Roger Lécuyer est aussi représenté sur la fresque. Il tiendra le rôle de l’amant d’une femme adultère dans le film Louise (1939) d’Abel Gance ». Celui qui fréquente les artistes et le monde de la nuit représente ses amis sur la fresque du cinéma du boulevard Poissonnière.

Le vernissage des fresques du cinéma a lieu le 7 décembre 1932 en présence des artistes de la Maîtrise des Galeries Lafayette dirigée par Maurice Dufresne. « Grâce à l’argent gagné avec cette commande, Henri Mahé, amoureux de sa Bretagne dont il tire ses origines, s’acheta un bateau, L’Enez Glaz » conclut Franck Vernin.

Lors des travaux de réfection des fresques, les artistes révèlent que le personnage de Charles Chaplin a été déguisé en clown après sa réalisation. Il semble que, sous l’Occupation alors que le cinéma est transformé en Soldatenkino réservé aux officiers allemands, le personnage de Charlot ait été maquillé pour qu’il ne soit pas identifiable. L’acteur et réalisateur britannique, accusé de communisme et dénonçant le Troisième Reich dans son chef d’oeuvre Le Dictateur tourné en 1939 et sorti aux Etats-Unis en octobre 1940, n’était clairement pas la vedette préférée des occupants.

Henri Mahé a décoré d’autres salles de cinéma, pour certaines disparues: l’Elysées-Cinéma, le Biarritz et l’Arlequin. La mise en lumière de son oeuvre sur les murs du Rex incite à la redécouverte d’un génial artiste touche-à-tout.

Fresques Henri Mahé du cinéma Rex

Ci-dessus: les travaux de rénovation des fresques murales d’Henri Mahé dans les escaliers du Rex.

Les fresques d'Henri Mahé au Grand Rex

Ci-dessus: les fresques murales d’Henri Mahé après rénovation.

Ci-dessus: les travaux de rénovation des fresques murales d'Henri Mahé dans les escaliers du Rex.

Ci-dessus: les rénovations des fresques révèlent que le personnage du clown (à gauche) a été vraisemblablement maquillé sous l’Occupation pour cacher le personnage désormais dévoilé de Charles Chaplin (à droite), alors en disgrâce pour ses idées politiques.

Ci-dessus: les fresques avant et après rénovation.

Ci-dessus: les fresques d’Henri Mahé illustrent une scène de combat sur un navire, comme on en voit dans les film de cape et d’épée.

Blondine, un film d'Henri Mahé

Ci-dessus: l’unique réalisation d’Henri Mahé, Blondine produit par Gaumont.

Histoire du cinéma Rex à Paris.

Remerciements:

M. Alexandre Hellmann, directeur du Rex ainsi que Mme Maria Lemos et M. Franck Vernin.
M. Eric Mazet, biographe d’Henri Mahé.


Biographie d’Henri Mahé (1907 – 1975)

  • Né à Paris Ve, d’origine bretonne. Père, Henri-Albert, originaire de Retiers, acheteur aux Galeries Lafayette. Mère, Émilie Desnouveaux, originaire de Nantes, institutrice laïque.
  • 1916 : retour de son père du front, grièvement blessé, avec Médaille militaire.
  • 1918 : école communale du boulevard Saint-Marcel.
  • 1920 : Collège Chaptal.
  • 1922 : école de commerce (avec le futur chansonnier Roger Lécuyer).
  • 1924: secrétaire comptable aux Galeries Lafayette. Ecole des Beaux-Arts de Paris, atelier Ernest Laurent.
  • 1926 : atelier rue Croulebarbe à Paris avec le sculpteur Emmanuel Auricoste. Expose au Salon d’Automne à Paris. Portrait du marquis Pierre d’Arcangues.
  • 1927 : 20 ans. Mariage à Rennes avec Maguy Malosse, pianiste, née en 1905 à Paris. S’installent à Montmartre. Service militaire : sursitaire. Illustre Carnaval ou Mémoires d’un danseur russe d’André Doderet, éditions Marcel Seheur.
  • 1929 : achat d’une péniche, “la Malamoa”, amarrée sur la Seine. Rencontre Louis-Ferdinand Céline. Portrait d’Elizabeth Craig. Expose au Salon d’Automne.
  • 1930 : tableau du pêcheur et de la sirène.
  • 1931 (mars) : lithographie du portrait du clown Beby tirée par Mourlot. Décore de fresques le cinéma Elysée-Gaumont (>Biarritz), Champs-Élysées (hommages à André Doderet et à la danseuse américaine Drena Beach). Roger Vailland lui consacre un article dans Paris-soir. Avril : sous la direction de Maurice Dufrène décore de fresques le “31”, Cité d’Antin, maison close. 8 septembre : décès de sa mère à La Guerche de Bretagne. Décembre : expose à la Galerie de la Renaissance de Marie-Paule Lapauze avec Max Jacob et Auricoste. Rencontre Georges France au Val-de-Grâce.
  • 1932 : décore de fresques le cinéma Rex : thèmes populaires comme la chanson de la Mère Michel.
  • 1933 : fait construire l’Enez Glaz à Camaret. Rencontre Madeleine Drevillon. Décore le Moulin de Berri, grand restaurant parisien.
  • 1934 : juin : reçoit le prix Blumenthal de peinture-décoration. Fresques pour l’aviso d’Iberville. Maguy joue dans Poliche d’Abel Gance. Décembre : fresques au cinéma Lux (futur Arlequin) de la rue de Rennes (Laprade et Bazin, architectes)
  • 1935 : deux fresques pour le paquebot Normandie (secondes classes). 22 avril : décès de Melle Bornet, mère adoptive de Maguy. Participe à la réalisation du pavillon de l’agriculture de l’exposition Internationale de Bruxelles sous la direction de Léon Bazin. Décore le premier Bal à Jo.
  • 1936 : en juin décore le Balajo, bal musette de Georges France, rue de Lappe, Bastille, Paris. Septembre : décoration de Chez O’dett. Novembre: décoration du Montyon, maison close. Novembre : Construction et déclaration du bateau thonier Bleiz ar Morio à Camaret.
  • 1937 : nouveau décor chez O’dett en avril. participe à l’Exposition Universelle de Paris (Le Palais du froid). Juillet : île de Sein. Décore le Quinto’s , grand restaurant de Victor Abba à Londres.
  • 1938 : décorateur du film J’Accuse d’Abel Gance. Rencontre Stève Passeur et le futur colonel Rémy. Octobre : décorateur de Louise d’Abel Gance.
  • 1939 : en avril, décorateur de Paradis perdu, film d’Abel Gance. S’installe dans son atelier, 31, rue Greuze, Paris XVIe. Incorporé dans le 63e régiment d’artillerie d’Afrique (Casablanca).
  • 1940 : décorateur de La Vénus aveugle film d’Abel Gance.
  • 1941 : en mai, décors du Chapiteau de Mme Bordas ; en juin, décorateur de Romance de Paris, film de Jean Boyer, avec Charles Trenet. Décès de son père.
  • 1942 : se sépare de Maguy. 12 janvier : commence les décors de Croisière Sidérale, film d’André Zwobada. Août : décorateur de Capitaine Fracasse, film d’Abel Gance.
  • 1943 : metteur en scène de Blondine, son film, où il applique son invention le Simplifilm qui remplace les décors par des cartes postales. Naissance de Marine Mahé, fille de Madeleine Drévillon.
  • 1944 : avec Madeleine, s’installe à Quimper où il revient à la peinture de chevalet.
  • 1945 : naissance d’Annaïck Mahé, fille de Madeleine Drévillon. Divorce de Maguy Malosse.
  • 1948 : retour à Paris : décore le restaurant Capoulade, le Villon, L’Abbaye de Thélème.
  • 1949 : en juillet, portrait de L.-F. Céline à Korsør, Danemark.
  • 1951 : décorateur du Moulin Rouge, bal de Georges France, place Blanche. Affiche et programme.
  • 1952 : expose à l’hôtel Martinez à Cannes. Décore l’hôtel Mac-Mahon à Paris. Travaux au Balajo.
  • 1953 : décorateur du 25e Bal des Petits Lits Blancs au Moulin Rouge.
  • 1954 : nouvelles fresques dans l’entrée du Moulin Rouge. Œuvres reproduites dans la revue L’Amateur d’Art
  • 1955 : exposition à Bruxelles. Robert Doisneau le prend en photo dans son atelier de la rue Greuze avec Pieral.
  • 1956 : décoration de salons de coiffure : Guillaume, Roger Charbonnier, Jean Burat. Couverture d’un disque Odéon de Rythmes Musette par l’orchestre du Balajo.
  • 1958 : portraits de Mme Mazet, de Mme François Dalle, de Sandra Jayat, tableaux pour le colonel Rémy, Georges Arzel, Philippe-André Crozier. Passe à la télévision (RTF) dans un téléfilm de François Chatel sur le Balajo avec Georges de Caunes.
  • 1959 : Louis Mollion l’interview pour l’ORTF dans « Rêves Perdus ». Le portrait d’Annaïck est reproduit en couverture de L’Amateur d’Art. Mariage de Marine Mahé.
  • 1960 : « propos sur l’art et la vie » dans L’Amateur d’art.
  • 1961 : illustre Le Tableau de peinture contemporain comme valeur de placement de M. Pariat, préfacé par M. Reims. illustre Le Joueur de flûte, conte du Colonel Rémy, Presses de la Cité. Douze dessins sur pierre pour des lithographies consacrées à Don Quichotte dont Mourlot fera six tirages.
  • 1962 : dix tableaux sur Paris. Dominique de Roux lui demande de participer au numéro consacré à Céline par la revue l’Herne.
  • 1963 : fresques décoratives pour le club privé La Résidence, à Vincennes.
  • 1964 : exposition à Berne. Invité par la Fondation Mikkelsen à Korsør (Danemark).
  • 1967 : séjour à Mexico, décoration d’un night-club d’un hôtel Balsa et dix tableaux.
  • 1969 : retour à Paris. Publication de La Brinquebale avec Céline, La Table Ronde. Juin : émission « Dernier quart d’heure » de Pierre Lhoste sur France-Culture.
  • 1970 : s’installe à New York.
  • 1971 : commence La Genèse avec Céline, suite de La Brinquebale.
  • 1975 : décès à New York. Enterré à Greenwich.

1.500 m2 de compositions murales
600 tableaux : France, Angleterre, Belgique, Suisse, Danemark, Mexique, U.S.A.
200 portraits : L.-F. Céline, Steve Passeur, Drena Beach, Colonel Rémy, Abel Gance, Fernand Gravey, Pieral, Mistinguett, Guy d’Arcangues, Georges
France, Aimée Barancy, Docteur Tuset, Président Ausset, Gilbert Jules, Sandra Jayat, Georges Arzel, Steve Passeur, Cesar Balsa. Jacques Mazet, Eric Mazet.

Biographie réalisée par Eric Mazet.