Adresse: 120 rue d’Alésia à Paris (XIVe arrondissement)
Nombre de salles:1

Dans la très animée rue d’Alésia ouvre le 28 décembre 1934, au numéro 120, une nouvelle salle de cinéma : l’Alésia-Palace.

La revue La Cinématographie française en date du 12 janvier 1935 commente sous la plume de Raymond Berner ce petit événement : « C’est une grande et belle salle de dimensions imposantes – 30 mètres sur 18 – dont les lignes rappellent un peu celles du Victor-Hugo Pathé. Comme ce cinéma, l’Alésia-Palace comporte une déclivité à « l’envers », la partie la plus élevée de l’orchestre étant sous l’écran, la partie la plus basse se trouvant au fond de la salle. Cette disposition qui permet de gagner de la place, assure une visibilité excellente ».

L’architecte de ce nouveau cinéma, M. Macary, a implanté la salle en parallèle de la rue d’Alésia. Conçu sur trois niveaux – un orchestre, un balcon de loges et un balcon de fauteuils – l’Alésia-Palace accueille un total de 1225 places.

Considérée à l’époque comme une salle très moderne avec une belle pureté de lignes, le cinéma, poursuit Raymond Berner, bénéficie d’une « projection à 26 mètres faite par des projecteurs R.C.A. L’acoustique est excellente ». Comme la plupart des cinémas de quartier, les séances sont composées de deux grands films, des actualités cinématographiques et d’un dessin animé.

M. Wertheimer, directeur de l’Alésia-Palace, doit composer avec une féroce concurrence qui sévit dans le quartier car sa salle est située entre la place d’Alésia, où sont implantés le Montrouge-Palace du circuit Gaumont-Franco-Films-Aubert et le Théâtre de Montrouge (futur Mistral de Joseph Rytmann) – et le quartier Plaisance lui-même doté d’un chapelet de salles de quartier.

Les circuits ayant la primeur sur la programmation des très porteuses productions nationales de l’époque, M. Wertheimer se tourne naturellement vers les distributeurs américains – la Fox, la M.G.M. et la Warner) pour composer ses programmes.

La Cinématographie française précise que « malgré son aménagement très moderne : chauffage, ventilation, ozonisation, l’Alésia-Palace offre ses places à des prix très réduits ». En effet, les tarifs oscillent entre 2,50 et 6 francs en matinée, 3,50 et 9 francs en soirée et 4 et 10 francs le dimanche. Deux matinées et une soirée sont prévues quotidiennement, le dimanche affiche quant à lui trois matinées.

Le programme inaugural de l’Alésia-Palace annonce L’Aristo (André Berthomieu) avec André Lefaur dans le rôle-titre. Cette comédie, qui remporte un grand succès lors du gala d’inauguration, est complétée de Rythmes d’amour (Murder at the Vanities) réalisé pour la Paramount par Mitchell Leisen.

En cette fin d’année 1934, l’Alésia-Palace est lancé. Parmi les films qui y sont proposés durant cette décennie, on peut retenir Lac aux dames (Marc Allégret) avec Simone Simon et Jean-Pierre Aumont la semaine du 11 janvier 1935, Pension Mimosas (Jacques Feyder) celle du 10 mai ou encore L’Impératrice rouge (Josef von Sternberg) avec Marlene Dietrich celle du 2 août.

L’année suivante, La Patrouille perdue (John Ford) avec Boris Karloff occupe l’affiche le 13 mars 1936 suivi de Capitaine Blood (Michael Curtiz) avec Errol Flynn et Olivia de Havilland le 2 octobre et Les Temps modernes (Charlie Chaplin) le 27 mai 1937. Suivent le phénoménal King Kong (Merian C. Cooper et Ernest B. Schoedsack) avec la mythique Fay Wray le 13 juillet 1938 ou bien Légions d’honneur (Maurice Gleize) le 16 août 1939.

Pour chacun de ces films, un autre long métrage, commercialement de moindre importance, y est souvent associé. Certaines semaines, le second film est remplacé par le tour de chant d’un artiste célèbre sur scène comme Lys Gauty qui s’y produit la semaine du 15 mars 1935 ou bien Réda Caire celle du 15 mai 1936.

Durant l’Occupation, les double programmes sont interdits. L’Alésia-Palace, qui a fermé ses portes depuis l’entrée des troupes allemandes dans la capitale le 14 juin 1940, est autorisé à rouvrir le 18 septembre. Désormais, la salle propose chaque semaine un seul grand film en sortie générale ou en reprise à l’instar de L’Héritier des Mondésir (Albert Valentin) avec Fernandel le 13 novembre 1940, Angélica (Jean Choux) avec Viviane Romance dans le rôle-titre le 19 février 1941 ou la comédie musicale produite par Universum Film AG (UFA) et distribuée par l’Alliance Cinématographique Européenne (ACE) Cora Terry réalisée par Georg Jacoby avec Marika Rökk le 4 juin 1941.

Y sont également projetés Madame Sans-Gêne (Roger Richebé) avec Arletty le 6 mai 1942, La Fausse Maîtresse (André Cayatte) avec Danielle Darrieux le 27 janvier 1943 ou encore Pension Jonas (Pierre Caron) avec Pierre Larquey le 10 novembre 1943.

Le Comte de Monte-Cristo

Ci-dessus: Le Comte de Monte-Cristo (Robert Vernay et Ferruccio Cerio) à l’affiche les 2 juin (1ère époque) et 9 juin 1943 (2e époque).

Ci-dessus: Pinocchio (Walt Disney, 1940) à l’affiche la semaine du 20 novembre 1946.

Dans les années d’après-guerre, l’exploitation cinématographique connaît des heures difficiles. Si la majoration du prix des places décrétée à la fin de l’année 1946 engendre une hausse des recettes, l’augmentation du coût de la vie amène le public à réduire sa fréquentation des salles obscures. Les professionnels, qui constatent que le prix des places est fixé par arrêtés et que l’organisation et le fonctionnement du cinéma sont désormais contrôlés par le CNC, attendent de l’État les mesures propice à les sortir de cette situation.

Durant cette période, l’Alésia-Palace affiche une forte proportion de productions venues d’outre-Atlantique comme Une étoile est née (William A. Wellman) la semaine du 13 décembre 1944, Les Révoltés du Bounty (Franck Lloyd) le 18 avril 1945, Les Aventures de Robin des Bois (Michael Curtiz) le 28 août 1946, Pinocchio (Walt Disney) le 20 novembre 1946 ou encore La Mort n’était pas au rendez-vous (Curtis Bernhardt) avec Humphrey Bogart le 8 janvier 1947.

Suivent le film d’espionnage britannique Monsieur Smith agent secret (Leslie Howard) le 9 juillet 1947, le policier français Le Cabaret du grand large (René Jayet) avec la vedette japonaise Sessue Hayakawa le 7 janvier 1948, Capitaine de Castille (Henry King) le 20 avril 1949, Manon (Henri-Georges Clouzot) le 14 décembre 1949, Gigi (Jacqueline Audry) le 5 avril 1950, La Ronde (Max Ophüls) le 7 mars 1951 ou bien Victor (Claude Heymann), le 9 janvier 1952.

Ci-dessus: Topaze (Marcel Pagnol) à l’affiche la semaine du 4 avril 1951. 

En 1953, l’Alésia-Palace passe entre les mains de Madame Frogerais, déjà propriétaire du cinéma Casino de Palaiseau. L’établissement ferme alors ses portes du 15 juillet au 15 septembre 1953 pour subir une restauration complète de la façade, du hall et de la salle.

À sa réouverture, La Cinématographie française commente dans son numéro du 17 octobre 1953 le flambant neuf Alésia-Palace : « En façade, des lettres, cernées de néon blanc, nous accueillent, puis par le groupe de portes vitrées, nous pénétrons dans le vaste hall, éclairé par un faisceau de néon rosé et dont le plafond est décoré par une grande glace gravée figurant un épisode de la bataille d’Alésia ».

La salle, qui a gardé sa pente inversée à l’orchestre, « est revêtue de peinture claire, insonore et ininflammable, avec soubassement rouge assorti à la moquette couvrant entièrement le sol à l’orchestre et aux deux balcons. L’éclairage est assuré, partie par appliques murales, partie par lumière-néon indirecte, très douce ».

Cinéma Alésia-Palace à Paris

Ci-dessus: vue de la salle rénovée en 1953.

Cinéma Alésia-Palace à Paris

Ci-dessus: la façade rénovée avec à l’affiche Le Fils de personne (Raffaello Matarazzo) la semaine du 30 septembre 1953.

Cette même année 1953 est celle de la transformation des salles pour pouvoir accueillir le format panoramique (format 1.85 :1) : « La scène, dont la disposition permettra la pose de l’écran panoramique, est encadrée par deux colonnes dorées. Un rideau de velours de laine rouge habille agréablement le plateau dont les dimensions autorisent attractions et galas » poursuit La Cinématographie française.

La rénovation de l’Alésia-Palace lui permet indiscutablement de bénéficier de films à fort potentiel comme l’opérette Violettes impériales (Richard Pottier) avec Luis Mariano la semaine du 4 novembre 1953, L’Homme des vallées perdues (George Stevens) celle du 27 janvier 1954 ou Moulin Rouge (John Huston) le 7 avril 1954. Y sont également programmés Sous le plus grand chapiteau du monde (Cecil B. DeMille) le 22 septembre 1954, Mogambo (John Ford) le 11 mai 1955 ou bien et Du rififi chez les hommes (Jules Dassin) avec Jean Servais le 12 octobre de la même année.

Ci-dessus: Si Versailles m’était conté… (Sacha Guitry) à l’affiche la semaine du 12 mai 1954.

Le CinemaScope n’arrive à l’Alésia-Palace que la semaine du 23 novembre 1955 avec le premier film français tourné dans ce format, l’adaptation du roman de Joseph Kessel Fortune carrée (Bernard Borderie) avec Pedro Armendariz et Paul Meurisse. Suivent en CinemaScope La Fontaine des amours (Jean Negulesco) le 21 décembre 1955, La Belle et le Clochard (Walt Disney) le 11 avril 1956, Picnic (Joshua Logan) avec Kim Novak le 26 décembre 1956, ou Notre-Dame de Paris (Jean Delannoy) avec le phénomène Gina Lollobrigida le 30 octobre 1957.

Suivent Le Bal des maudits (Edward Dmytryk) avec Marlon Brando le 5 novembre 1958, L’Auberge du sixième bonheur (Mark Robson) le 14 octobre 1959 ou bien Voyage au centre de la Terre (Henry Levin) avec James Mason le 12 octobre 1960.

Les années 1960 enregistrent un fléchissement important de la fréquentation des salles obscures. Le taux d’équipement de la télévision augmente dans les foyers, même les plus modestes, à l’instar de l’automobile, ce qui détourne mécaniquement une partie du public des salles obscures. En outre, l’augmentation importante du prix des places accroit ce phénomène, en particulier pour les classes populaires qui  fréquentent les cinémas de quartier.

Ci-dessus: Rue des prairies (Denys de La Patellière) à l’affiche la semaine du 15 juin 1960.

Dans le quartier Plaisance où est situé l’Alésia-Palace, les salles de quartier sont fragilisées dès la fin des années 1950. Parmi elles, l’Idéal-Alésia, le Majestic, l’Olympic, le Pernety et le Vanves souffrent, au même titre que l’Alésia-Palace, d’une situation excentrée par rapport aux grandes salles d’exclusivité et aux salles de quartier rattachées aux circuits qui captent la clientèle.

Déjà en 1960, les professionnels affirment que « l’on ne va plus au cinéma, on va voir un film » pour expliquer la désaffectation d’une partie du public. Ainsi, la fidélisation à une salle de quartier en particulier se perd, le public se déplaçant vers un autre cinéma pour voir un film précis. Ce phénomène s’amplifie durant les années 1960 ce qui provoque la disparition de beaucoup de cinémas de quartier au profit des établissements de première et seconde exclusivité.

Cartouche de Philippe de Broca

Ci-dessus: Cartouche (Philippe de Broca) à l’affiche le 26 septembre 1962.

Ci-dessus: La Guerre des boutons (Yves Robert) à l’affiche les semaines des 31 octobre et 26 décembre 1962. 

Ci-dessus: Mary Poppins (Robert Stevenson) à l’affiche le 16 novembre 1966.

La salle de quartier Alésia-Palace tente de survivre en affichant des films populaires comme Le Capitaine Fracasse (Pierre Gaspard-Huit) avec Jean Marais le 8 novembre 1961, Les 101 Dalmatiens (Walt Disney) le 2 mai 1962, La Guerre des boutons (Yves Robert) le 31 octobre 1962 repris le 26 décembre devant le succès du film ou la reprise de Blanche-Neige et les Sept Nains (Walt Disney, 1937) le 3 avril 1963. Louis de Funès avec Le Gendarme de Saint-Tropez (Jean Girault) le 2 janvier 1965 puis sa suite Le Gendarme à New-York le 16 février 1966 passent sur l’écran de l’Alésia-Palace, de même que Sean Connery dans Opération Tonnerre (Terence Young) le 4 mai 1966.

C’est dans cette période de mutation de l’exploitation cinématographique que l’écran de l’Alésia-Palace joue sa dernière séance le soir du 30 mai 1967 après une ultime projection du film britannique Vivre libre (James Hill). Cette semaine-là, 1073 spectateurs se sont déplacés une dernière fois dans la salle de quartier ouverte 33 ans plus tôt.

Texte: Thierry Béné.
Documents: Le Film français, La Cinématographie française, Gallica BnF, France-Soir.