Le 5 juin 1930, quatre jours seulement après la dernière séance du Masque de fer d’Allan Dwan mettant en scène la vedette Douglas Fairbanks, la démolition du Gaumont-Palace en vue de sa reconstruction est entamée. Près d’un mois plus tard, le 15 juillet, il ne subsiste de l’ancienne salle que les murs extérieurs et la structure métallique. De jour comme de nuit, le chantier est en activité et, malgré l’ampleur de la construction, les travaux sont exécutés dans un délai remarquablement court.

Le nouveau Gaumont-Palace a été pensé par l’architecte Henri Belloc qui privilégie la modernité de l’architecture et la décoration. Les exigences du cinéma parlant nécessitent de nouvelles contraintes pour les salles de cinéma qui, en ce début des années 1930, sont nombreuses à sortir de terre.

Le prestigieux cinéma, chef d’œuvre de l’Art déco, bénéficie lors de sa réouverture d’une couverture de presse à la hauteur de l’événement, comme le prouvent les nombreux articles dans les revues d’architecture, dans la presse professionnelle de cinéma ainsi que dans les quotidiens parisiens ou de province. On parle du Gaumont-Palace comme « la plus vaste salle de spectacle du monde ».

La façade.

Dans son numéro de décembre 1931, la revue L’Architecte revient sur la façade du Gaumont-Palace : « le souci de l’effet  lumineux a dominé la composition de la façade. La base de l’édifice est revêtue de granit poli dans la hauteur du rez-de-chaussée ; au-dessus les murs sont recouverts d’un enduit rose. Une marquise lumineuse fait le tour de l’édifice, les grandes baies qui la surmontent laissent apercevoir l’éblouissant éclairage du hall. Une pyramide tronquée, formées de caissons métalliques et supportant un motif lumineux en cascade, couronne le bâtiment ». De son côté, la revue Industrie 31 précise : « Le sommet de la cascade est à 50 mètres au-dessus du sol ; sa hauteur totale est donc de 46 mètres. La longueur totale des tubes luminescents employés est de 2 500 mètres, le nombre de projecteurs est de 40, celui des lampes atteint 5 000 ».

Ci-dessus: la façade lors de l’ouverture avec à l’affiche Tabou de Friedrich Wilhelm Murnau.

Ci-dessus: la façade de nuit et sa cascade lumineuse.

Ci-dessus: derniers aménagement de la façade.

Le hall.

Toujours dans la revue L’Architecte, une description du hall est évoquée : « le hall est imposant par ses dimensions inusitées et par sa grande simplicité. La partie inférieure des murs est revêtue de marbre noir veiné, le reste est peint d’un jaune vif qui laisse à la lumière tout son éclat ». De son côté, Ciné-Magazine dans son édition de novembre 1931 revient sur le hall d’entrée, « vaste hexagone, est dominé à 16 mètres de hauteur par un plafond lumineux qui l’inonde de clarté. Ayant pour base le double escalier de la corbeille, le motif lumineux dresse un faisceau de gouttières verticales et s’épanouit au plafond en rosace étoilée, floraison monumentale ».

Le sol est de couleur rose, les portes et les balustrades en métal chromé. L’Art déco est à son sommet.

Ci-dessus: vue du hall en 1931.

Ci-dessus: vue du hall.

Ci-dessus: le vestiaire.

La salle.

D’une longueur de 60 mètres depuis le mur du fond de la salle jusqu’à la fosse d’orchestre, la salle contient environ 6 000 places. D’une largeur de 35 mètres et d’une hauteur 25 mètres, le volume gigantesque de la salle est de 60 000 m3. La scène s’ouvre sur une largeur de 22 mètres, elle atteint 11 mètres de profondeur. La distance de projection est de 70 mètres. La revue L’Architecte souligne : « la salle, de dimension considérable, est d’une remarquable sobriété de décoration : murs vieux rose, soubassements en bois des iles, fauteuils rouge vif. Après le violent incendie de la façade, après l’intense éclairage du hall, la lumière douce de la salle et de ses dépendances, obtenue par des rampes placées dans des gorges, est des plus agréables. Cet éclairage peut être réalisé en trois couleurs : blanc, jaune ou cyclamen. Un appareil spécial permet d’attrayants jeux de lumière sur le rideau de scène ».

Ci-dessus: la salle en construction.

Ci-dessus: derniers aménagements avant de poser les fauteuils.

Deux balcons dominent l’immense parterre (34 mètres de largeur et 70 de longueur). Comme le précise la revue professionnelle : « chacun de ces balcons a pour portée la largeur entière de la salle ; sur le premier se trouve une rangée de loges de corbeille. La charpente est en métallique, ce sont de véritables ponts en acier destinés à porter respectivement 1 000 et 1 300 spectateurs ».

La scène est limitée par deux pylônes élevés, de couleur sombre « réunis à leur partie supérieure par deux gorges lumineuses ; sur la gorge principale se découpent les abat-sons des orgues monumentales ».

Un salon de thé est aménagé sous le premier balcon. Plus bas que la piste de l’ancien hippodrome, le sol au niveau de l’orchestre a nécessité l’excavation de 600 m3 de déblais.

Ci-dessus: fauteuil d’origine 1931.

Les fauteuils proviennent des Établissements R. Gallay : « Spacieux et confortable, ce modèle est d’une forme particulièrement heureuse » comme l’explique la revue Ciné-Magasine. « La structure mécanique concilie la robustesse avec la recherche de sécurité contre les risques d’incendie (…) Un système de gond permet au cours de l’installation, de régler, selon les places, l’inclinaison du dossier, pour en parfaire le confort ; l’orientation par rapport à l’écran est ainsi mise au point pour éviter toute fatigue au spectateur (…) L’épais velours gaufré, d’un rouge doré magnifique, est agréable au toucher comme au regard ». La qualité des strapontins y est également soulignée : « ils constituent de véritables fauteuils. Ils sont munis d’un frein à huile qui rend leur mouvement silencieux. Car le silence est la loi de toute l’installation réalisée au Gaumont-Palace ; tous les spectateurs pourraient se lever ensemble, ou s’asseoir, sans que l’on entende un bruit de fauteuils ».

Le rideau de scène est du même rouge que les fauteuils.

Ci-dessus: vue de l’orchestre.

Ci-dessus: vue du deuxième balcon.

Ci-dessus: entrée de la salle par le promenoir.

Ci-dessus: accès à la salle.

Ci-dessus: accès à la salle.

La fosse d’orchestre.

À côté du grand pupitre du chef de l’orchestre du Gaumont-Palace, une petite table garnie de nombreux boutons aux voyants lumineux et d’un téléphone est destinée au « conducteur de spectacle » dont le rôle est de coordonner l’exécution du programme et de signaler les éventuelles anomalies.

Ci-dessus: vue de la salle depuis le balcon avec l’orchestre,  avec la fosse d’orchestre, la scène et l’écran.

L’acoustique.

L’aménagement acoustique d’une salle comme le Gaumont-Palace a fait l’objet d’études confiées à la société Setacoustique. Pour la première fois en France, une installation doit prévoir une puissance lumineuse et sonore suffisante pour que les 6 000 spectateurs répartis dans l’immense volume de la salle, dont certains sont placés à 70 mètres de l’écran, puissent voir et entendre le spectacle sans le moindre écho. Comme le précise la revue L’Architecte, « il s’agissait de permettre à tous les auditeurs de percevoir d’une façon claire, sans distorsion ni écho, les sons émis sur la scène par un groupe de haut-parleurs. Après une étude sur la forme de la salle et en tenant compte des divers aménagements intérieurs, il a été décidé de modifier la forme du plafond prévu, vaste calotte sphérique aplatie, en le coupant d’une série de voussures transversales de progression croissante suivant l’éloignement de la scène. »

L’aménagement de la cabine du speaker, qui effectue les annonces aux spectateurs, a fait l’objet d’une attention particulière. On y trouve également le matériel permettant de lancer la musique au moyen d’une table à deux plateaux pour disques. Seize haut-parleurs alimentés par des amplificateurs sont répartis dans les galeries, le foyer, le bar et le hall. Pour assurer aux spectateurs les plus éloignés une parfaite audition de l’orchestre ou des artistes sur la scène, quatre microphones et un amplificateur sont installés à proximité des musiciens.

La protection contre l’incendie.

Salle aux dimensions hors-normes, la question de la sécurité au Gaumont-Palace a été particulièrement étudiée. La Revue des Arts datée de novembre 1931 revient sur la protection de l’incendie, « étudiée en collaboration avec les services techniques de la Société (G.F.F.A.) et par les pompiers de Paris. Dans tout l’édifice, de larges dégagements ont été prévus, avec une signalisation lumineuse très nette indiquant les sorties. »

Ci-dessus: escalier de sortie.

Ci-dessus: sortie du cinéma.

Ci-dessus: le plan des sorties.

Les sous-sols.

Véritable usine souterraine, la revue Ciné-Magazine de novembre 1931 revient sur ce pan méconnu du Gaumont-Palace : « Une sous-station électrique, installée par les services techniques de la G.F.F.A, reçoit de la Compagnie Parisienne de Distribution d’Électricité (C.P.D.E.) le courant à haute-tension. Deux groupes de transformateurs convertissent le courant pour les divers usages : éclairage, cabine de projection, ventilation, ascenseurs (…) L’électricien peut contrôler tout l’ensemble en un instant (…) En cas de panne de secteur, une batterie d’accumulateurs de secours assure automatiquement l’alimentation des amplificateurs. On peut ainsi rassurer le public et l’informer des dispositions prises pour la continuation du spectacle ».

La projection et l’écran.

Comme évoqué plus haut, la distance de projection est d’une longueur exceptionnelle de 70 mètres. L’angle de plongée est réduit à 12°. L’écran du cinéma peut basculer des dimensions normales de 8 mètres par 10, à celle de 12 mètres par 16 pour la grande projection, soit près de 200 m2. Des caches de velours noirs s’ouvrent et se ferment en synchronisme parfait avec la projection. De la marque Brockliss, l’écran conçu en tissu caoutchouté ininflammable assure à la projection le maximum de luminosité. Grace à la perforation de multiples trous, l’écran permet une parfaite transparence acoustique, sans gêner la qualité de l’image.

Le Gaumont-Palace utilise ainsi deux écrans derrière lesquels quatre groupes de quatre haut-parleurs sont disposés. Le passage de l’écran normal (8 x 10 mètres) au grand écran (12 x 16 mètres) – et inversement – s’opère instantanément à au moyen d’un dispositif automatique commandé depuis la cabine.

La cabine de projection.

Située au sommet de l’immeuble et en partie logée sous la grande coupole d’angle, la cabine – dont le matériel sonore est conçu et installé par la Compagnie Radio-Cinéma – est également appelée « hall des projections ». La cabine bénéficie d’une visite de R. Aylmer pour la revue La Photographie : « la façade du hall des projections sur la salle a un développement de 26 mètres (…) Sa largeur moyenne est de 4 mètres 50 et sa hauteur de 3,90 mètres. Malgré ses dimensions imposantes, le hall occupe que la moitié environ de la superficie totale des locaux, affectés au service de projection, cette superficie dépassant 200 mètres carrés (…) Les locaux comportent deux issues, soit sur l’escalier particulier de cabine menant directement à la rue (et comportant un ascenseur spécial), soit à un dégagement de secours donnant sur la toiture de l’immeuble (…) La ventilation a fait l’objet de soins tout particuliers. Toute la façade du hall est garnie de châssis vitrés mobiles, de 1 m 10 de hauteur, donnant directement à l’air libre (…) Il va de soi que chaque lanterne de projection est munie d’une cheminée évacuant à l’air libre les gaz de combustion (…) Portes de fer partout et hublots de projection obturés par de lourds châssis métalliques (…) Au plafond, de multiples détecteurs d’incendie (…) De la terrasse, l’on découvre l’un des plus beaux panoramas de Paris où les opérateurs peuvent venir se délasser durant un entracte.

La cabine du Gaumont-Palace est équipée d’appareils conçus par Gaumont-Radio-Cinéma.

L’orgue.

Dans l’ancien Gaumont-Palace, les grandes orgues d’église Cavaillé-Coll étaient installées. Dans l’article « Lorsque l’orgue s’invite au cinéma » édité dans la revue 1895 (2002), l’historien Jean-Jacques Meusy évoque les caractéristiques de l’orgue Christie, fabriqué par la firme anglaise Hill, Norman and  Beard, Ltd : « Il possède quatre claviers manuels dont deux à double enfoncement et un pédalier de 30 notes. Il dispose de quatorze jeux de base (8 « jeux de bouche » et six « jeux à anse ») qui se démultiplient en 98 jeux (…) Les 1 161 tuyaux, la soufflerie et les relais étaient autrefois répartis en quatre chambres disposées à plus de 20 mètres au-dessus de la scène ».

L’historien poursuit : « plus encore qu’au Paramount, le spectacle de l’orgue, dont la grande console s’élevait de la fosse au moment des intermèdes était un spectacle (…) En palissandre verni, cette console était recouverte de contreplaqués blancs amovibles, ornés d’étoiles argentées, lorsqu’on désirait produire sur elle des effets lumineux d’in goût très américain ».

Enfin, Jean-Jacques Meusy évoque la fin de la mode de l’orgue au cinéma : « L’arrivée du cinéma sonore rendit caduque la fonction d’accompagnement des projections que l’orchestre et l’orgue avaient assumés jusqu’alors. Certes nous avons vu que trois établissements parisiens (dont le Gaumont-Palace) furent dotés de grandes-orgues au début de « l’ère du sonore » à la seule fin d’agrémenter les représentations qui ne se limitaient pas alors à la projection d’un long métrage (…) L’orgue du Gaumont-Palace demeura longtemps le témoin de cette époque révolue pour la grande joie des curieux ». C’est le nom de Tommy Desserre revient lorsqu’on cite l’organiste le plus populaire du Gaumont-Palace.

Ci-dessus: l’organiste Tommy Desserre.

Le bar et le salon de thé.

Sur le modèle des théâtres, les spectateurs peuvent quitter leurs sièges durant l’entracte pour se rendre au salon de thé ou au bar. C’est cet aspect révolu que le journal L’Illustration se fait le témoin : « le bar est de conception neuve, où des éclairages fort originaux sont obtenus par des verres spéciaux de fabrication toutes nouvelles ». Les spectateurs peuvent également se répandre « dans de nombreux promenoirs aux attractions diverses, mais surtout dans le somptueux foyer de la corbeille où les bois de nos colonies, les laques de Chine et les ors alternent avec de gigantesques fresques sur un fond d’argent patiné représentant les diverses activités du Cinéma ».

Un journaliste de l’Intransigeant commente dans l’édition du 19 juin 1931 la visite guidée qu’il a pu faire en compagnie de l’architecte Henri Belloc : « M. Belloc me conduisit aux places de luxe qui occupent la première galerie. Confortablement installé dans une loge, je pus vraiment jouir d’un spectacle impressionnant. Sous le regard s’étalait une mer de fauteuils tendus de velours rouge. La scène immense, faisait penser avec ses deux piliers simples stylisés, à quelque entrée de temple grandiose. Et ces diables d’hommes – de la magie encore- ont réussi à figer la mer au plafond ».

Ci-dessus: le promenoir.

Ci-dessus: le promenoir.

Ci-dessus: le promenoir.

Ci-dessus: le bar.

Les horaires.

Le Gaumont-Palace propose deux grandes séances par jour : une matinée à 14h45 et une soirée à 20h45. Les samedis, dimanches et fêtes, deux matinées sont proposées à 14h et 17h ainsi qu’une soirée à 20h45. La location, qui s’effectue sur place, est gratuite de 10h30 à 19h30.

L’inauguration du nouveau Gaumont-Palace.

Le grand gala d’inauguration a lieu le mercredi 17 juin 1931. Dès l’entrée, M. Mathieu Goudchaux, président du conseil d’administration de la G.F.F.A. reçoit ses invités pour le programme qui comporte, outre les attractions, l’ultime film de Friedrich Wilhelm Murnau Tabou, coréalisé avec Robert Flaherty. Les marins du croiseur Foch, venus spécialement à Paris pour la première de S.O.S. Foch, un film documentaire sur le sauvetage en mer réalisé par Jean Arroy, montent une garde d’honneur. Le quotidien l’Excelsior rapporte l’événement dans son édition du 19 Juin 1931 : « L’assistance était de choix, noms de l’Armorial de France, de la Politique, des Lettres, de la Marine comme de l’armée, du Théâtre, du Cinéma (…) Chacun se demandait – et certains avec un peu d’inquiétude – ce que donnerait dans une salle aussi vaste, les films parlants. L’expérience est concluante : S.O.S. Foch et Tabou ont été parfaitement vus et entendus ». Le nouveau Gaumont-Palace marque une tendance vers le cinéma music-hall, et constitue une féroce concurrence pour les deux types d’établissement, comme le souligne le quotidien : « Le ballet qui nous a été offert, « le jazz a passé… la valse renaît » ferait honneur à bien de grandes scènes de music-halls (…) Tous les artistes qui l’exécutent, les Helena Stars, les danseuses Etoiles de l’école Pierson, le corps de ballet du Gaumont-Palace, les danseurs Harrys et Claire, les sœurs Diffek, sans oublier la charmante cantatrice May Muriel font une troupe ». L’orchestre est dirigé par Fred Mélé tandis que Pierre Sechiari conduit la partie symphonique.

Ce soir du 17 juin 1931, Montmartre retrouvait son cinéma et la soirée prenait des airs de fêtes aux alentours du Gaumont-Palace. Selon les témoignages de l’époque, il était possible d’apercevoir depuis plusieurs points de Paris les lueurs multicolores de la fontaine lumineuse du Gaumont-Palace.

Ci-dessus: le programme inaugural du Gaumont-Palace.

Ci-dessus: annonce de l’ouverture de « la plus vaste salle de spectacle du monde ».

Ci-dessus: Tabou, roman d’amour à Tahiti, de Friedrich Wilhelm Murnau et Robert Flaherty.

Episode précédent: le Gaumont-Palace : l’ère du muet (1920-1930)

Episode suivant: le Gaumont-Palace : splendeur et désillusions (1931-1939).

Texte: Thierry Béné.
Documents: Sources : L’Architecte, Gallica-BnF, L’illustration, La Cinématographie française, L’Industrie Française Cinématographique, La Revue des Arts, Le Cinéopse, Gaumont, Ciné-Magazine.