Durant les années 1930, le Gaumont-Palace conserve son statut de salle incontournable, à la fois pour les spectateurs parisiens et aussi provinciaux pour qui le cinéma de la place Clichy est un lieu inévitable lors de leur venue à Paris. Mais la rentabilité de l’établissement est déjà mise à mal par les frais de fonctionnement, le grand nombre du personnel et des artistes engagés pour le music-hall.

A l’instar de son premier programme, le nouveau Gaumont-Palace maintient sa formule de cinéma music-hall proposant un spectacle complet à des tarifs abordables. La matinée démarre à 15 heures et la soirée à 20h45.

Cinéma et music-hall au Gaumont-Palace.

Durant cette première moitié des années 1930, les films à l’affiche sont des exclusivités ; sur la seconde partie de la décennie, le programme est composé de films en seconde exclusivité. Passeport 13.444 de Léon Mathot est le second film proposé le 3 juillet pour quinze jours : cette production de la Gaumont-Franco-Film-Aubert (GFFA) est accompagnée de la représentation scénique Impressions sportives et d’un intermède chorégraphique en deux tableaux avec le corps de ballet du Gaumont-Palace comprenant 125 exécutants. En complément de programme, on retrouve les Actualités, le grand orchestre et bien sûr les morceaux à la mode joués sur le fameux orgue du cinéma.

Le 17 juillet 1931, le comique troupier Bach occupe l’écran du Gaumont-Palace avec En bordée réalisé par Joe Francis et Henry Wulschleger. Les films à l’affiche sont alors des œuvres populaires dans lesquelles on retrouve des acteurs comiques de l’époque comme Biscot, Georges Milton ou Bach. Le 11 septembre de la même année sort Le Bal de Wilhelm Thiele. Dans cette adaptation d’un roman d’Irène Nemirovsky, on retrouve aux côtés d’André Lefaur une jeune débutante de 14 ans : Danielle Darrieux. Au même programme sur scène, Impressions d’Espagne, un intermède en deux tableaux avec les 24 Helena Stars ainsi que le corps de ballet avec ses 125 exécutants et le grand orchestre de 60 solistes. Désormais permanent de 14h à 19h30, la soirée débute à 21 heures avec location des places, à laquelle s’ajoute une séance à minuit, au prix réduit de 7 francs.

Ci-dessus: la scène et l’écran depuis le balcon.

Ci-dessus: l’orchestre, la mezzanine et le balcon.

Ci-dessus: la salle vue de la scène avec des projecteurs pouvant éclairer le public.

Ci-dessus: l’entrée du cinéma avec à l’affiche Paris Béguin (Augusto Genina, 1931) avec Jane Marnac.

Ci-dessus: le hall du cinéma.

Ci-dessus: les danseuses du Gaumont-Palace, les 24 Helena Stars.

Ci-dessus: Blanc comme neige (Jean Choux et Francisco Elías) à l’affiche du 31 juillet au 13 août 1931.

Ci-dessus: Le Capitaine Craddock (Hanns Schwarz et Max de Vaucorbeil, 1931).

Avec La Bande à Bouboule de Léon Mathot à partir du 17 décembre 1931, le Gaumont-Palace décroche une recette record – 500 000 francs en trois jours – pour cette comédie interprétée par Georges Milton et présentée en exclusivité. Au même programme, on retrouve sur la scène Miracle de Noël avec les Helena Stars et le corps du ballet. Le film est maintenu à l’affiche durant quatre semaines consécutives ce qui représente, selon la publicité du Gaumont-Palace, six mois d’une salle d’exclusivité de dimension moyenne.

Si les films proposés au Gaumont-Palace sont avant tout des comédies populaires, le film franco-allemand La Tragédie de la mine de Georg Wilhelm Pabst, qui narre le sauvetage de mineurs français par des mineurs allemands, occupe avec succès son écran durant trois semaines dès le 29 janvier 1932.

Fantômas réapparait le 20 mai 1932 sur l’écran du Gaumont-Palace : « n’est-il pas amusant de rappeler à ce sujet que c’est sur ces lieux mêmes, dans l’ancien Gaumont-Palace que la première version de Fantômas remporta un triomphe dont tout le monde a gardé le souvenir ? » rappelle Le Quotidien. Mise en scène par réalisateur hongrois Paul Fejos, cette nouvelle version de Fantômas sort en exclusivité place Clichy et y tient l’affiche deux semaines. A la caisse du cinéma, l’orchestre est affiché à 8 francs en matinée en semaine et 10 francs en soirée de semaines et matinée de samedi.

Ci-dessus: La Tragédie de la mine (Georg Wilhelm Pabst) à partir du 29 janvier 1932.

Ci-dessus: Fantômas (Paul Fejos) du 20 mai au 2 juin 1932.

Alors que le cinéma sonore se généralise, le Gaumont-Palace reprend la semaine du 8 juillet 1932, la version de L’Atlantide réalisée en 1921 par Jacques Feyder et qui avait rencontré un immense succès dans l’ancienne salle. Devant l’interrogation de reprendre des films muets, La Cinématographie française conseille de « ne pas passer les films à 24 images secondes comme le parlant, les mouvements seraient trop saccadés ». Le « film muet accompagné par l’orchestre » est projeté à 16 images secondes avec une adaptation musicale soignée.

La semaine du 16 décembre 1932, Le Roi des palaces de Carmine Gallone avec Jules Berry et Dranem est projeté au Gaumont-Palace qui offre un spectacle total de cinéma music-hall avec le numéro Le Jazz féminin de Baby Egan qui, selon le service presse du cinéma, « peut rivaliser par la perfection de l’exécution, la fantaisie et l’entrain, avec les meilleurs Jazz masculins ». Little Viola et Martin Rose proposent un numéro « où l’humour du second s’allie parfaitement à la perfection chorégraphique et acrobatique de la première ». Les cyclistes Doven et Clay « ont de réjouissantes trouvailles qui ne peuvent être réalisées qu’avec un métier sûr ». Les jeux icariens et les exercices de saut du trio Nagels, le travail à la barre des quatre Popesco « complètent de façon parfaite cette importante partie de music-hall durant laquelle se fait entendre un excellent orchestre symphonique que dirige avec une souple autorité M. Fred Mélé ».

Ci-dessus: le triomphe de Hardi les gars ! (Maurice Champreux).

Ci-dessus: première représentation corporative pour les exploitants de Hardi les gars ! (Maurice Champreux) déjà en exclusivité au Gaumont-Palace est montré le 24 octobre 1931.

Ci-dessus: La Zone de la mort (Victor Trivas) la semaine du 24 juin 1932.

Ci-dessus: les productions des Films Osso à l’affiche durant 3 semaines en août 1932.

Ci-dessus: Si tu veux (André Hugon) à l’affiche la semaine du 9 septembre 1932.

Ci-dessus: publicité corporative pour vanter le succès du film Le Billet de logement (Charles-Félix Tavano) la semaine du 23 septembre 1932.

On organise même des concours de sosies dans la salle du Gaumont-Palace comme celui du mercredi 28 décembre 1932 où les candidats, après avoir envoyé des photos au jury et à l’issue du vote des spectateurs, peuvent remporter une belle automobile exposée dans le hall du Gaumont ainsi que des appareils de projection de salon. Pour couronner le tout, les portraits des meilleurs sosies sont projetés sur l’écran!

Un cinéma de 6 000 places est-il voué à une absence de rentabilité, comme le soulignent divers journaux ? L’historien Jean-Jacques Meusy évoque dans son ouvrage Écrans français de l’entre deux guerre (AFRHC) le modèle économique de la salle : « les travaux avaient permis d’augmenter les recettes de 1932, de plus de 50% par rapport à celles de 1929 qui avait été une bonne année. Pourtant, en cette année 1932, l’Olympia obtenait presque les mêmes résultats et le Paramount les dépassait très largement avec respectivement 1 800 et 1 903 places au lieu des 6 000 au Gaumont-Palace ».

La moyenne hebdomadaire des recettes du plus grand cinéma de Paris est de 420 000 francs. En tête des recettes de l’année 1932, on retrouve le film Embrassez-moi (Léon Mathot) suivi de Monsieur de Pourceaugnac (Tony Lekain et Gaston Ravel) puis Il a été perdu une mariée (Léo Joannon). Un sérieux concurrent apparaît cette année-là, le Rex que Jacques Haïk ouvre le 9 décembre 1932 à grand renfort de publicité. Du 9 au décembre 1932 au 17 mars 1933, le Rex obtient la première place en terme de recettes (11 798 084 francs) devant le Paramount (6 955 743 francs) et enfin le Gaumont-Palace (5 931 349 francs).

Le 13 janvier 1933, le violoniste et chef d’orchestre allemand Marek Weber se produit avec son orchestre sur la scène du Gaumont-Palace. « Cet ensemble s’impose à l’attention du public dès les premières mesures que l’on entend au lever de rideau par la richesse de sa sonorité » comme le commente le quotidien L’Ami du Peuple en date du 17 janvier. « Chaque passage, chaque phrase comporte une recherche dans l’instrumentation. Du pianissimo d’un trio de violons en sourdine, nous passons à des voix d’orgue produites par un étonnant amalgame de saxophones et d’accordéon, pour entendre après le chant moelleux et grave d’une clarinette basse (…) Plus tard, nous serons entrainés par une vigoureuse attaque de cuivre » poursuit le journal. Cette semaine-là, on joue L’Enfant de ma sœur (Henri Wulschleger) avec le comique Bach. Durant le passage de Marek Weber au Gaumont-Palace, l’orchestre attitré du cinéma se produit sur la scène du cinéma Moulin Rouge.

Le 20 janvier 1933, la version allemande de La Mandragore (Richard Oswald) avec Brigitte Helm est présentée le jeudi soir à minuit, première séance traditionnelle. Mais le public n’acceptant pas le film parlé en Allemand, la direction décide de maintenir L’Enfant de ma sœur une seconde semaine. À partir du 3 février 1933, durant 15 jours, le Gaumont-Palace propose Maurin des Maures d’André Hugon qui est accompagné de chanteurs, danseurs et tambourinaires provençaux prêtés par L’Académie Provençale : « quand ils entrent en scène dans leurs costumes traditionnels, au son des tambourins et des fifres, il semble qu’ils ont amené leur soleil avec eux » relate L’Ami du Peuple. Le Gaumont-Palace affiche – à partir du 12 mars et pour deux semaines, après une longue exploitation au MarignyFanny de Marc Allégret écrit par Marcel Pagnol. Suivent l’opérette Les Vingt-huit Jours de Clairette d’André Hugon avec Mireille le 22 avril pour 15 jours, Nu comme un ver de Léon Mathot avec Georges Milton le 3 juin ou encore L’Assommoir de Gaston Roudès d’après Émile Zola le 23 juin. Certains films sont proposés en première vision, d’autres sont des prolongations d’exclusivité.

Suite à la faillite du producteur Jacques Haïk, Gaumont-Franco-Film-Aubert prend en gérance dès le printemps 1933 ses deux salles, le Rex et l’Olympia. Lesté des pharaoniques productions scéniques de Francis-A. Mangan, les recettes du Rex connaissent une forte baisse.

Ci-dessus: Maurin des Maures (André Hugon) à l’affiche du 3 février au 16 février 1933.

Ci-dessus: publicité corporative pour l’exclusivité de La Margoton du bataillon (Jacques Darmont), successivement dans trois salles de la GFFA et au Gaumont-Palace la semaine du 24 juin 1933.

Ci-dessus: les appareils Gaumont-Radio-Cinéma équipent le Gaumont-Palace.

Le 4 août 1933, le Gaumont-Palace ferme ses portes pour une durée de quatre semaines de travaux : les éclairages, la machinerie, le plancher et le système d’amplificateurs électriques sont remis à neuf et enrichis de perfectionnements exigés par l’acoustique et les proportions de la salle. La scène bénéficie d’installations permettant d’accueillir une grande variété d’attractions avec des appareils acrobatiques et des machineries pour ballets et fantaisies excentriques. La réouverture s’effectue le 1er septembre 1933 avec l’exclusivité du Grand Bluff de Maurice Champreux accompagné par un nouveau spectacle de music-hall avec John Bayer, Géraldine & Joë, Lolita Benavente, Motoya et ses guitaristes, le grand orchestre et les Girls du Gaumont-Palace, sans oublier les grandes orgues.

En complément du film La Voie sans disque (Léon Poirier) avec Gina Manès, Ray Ventura et son orchestre présentent la semaine du 22 septembre 1933 quelques-unes de leurs nouvelles créations. Le quotidien L’Œuvre du 29 septembre revient sur la prestation du musicien qui se produira régulièrement sur la scène du Gaumont-Palace : « Les merveilleuses conditions d’acoustique de cette salle donnent un maximum de relief aux créations de Ray Ventura. Il est même étonnant de songer que les détails les plus délicats, les plus estompés de l’interprétation vocale et instrumentale soient aussi parfaitement mis en valeur sur la scène de la salle de spectacle qui reste la plus vaste du monde ».

Si la plupart des grands cinémas parisiens proposent sur leurs façades d’immenses toiles peintes reprenant le film à l’affiche, le Gaumont-Palace opte quant à lui pour des lettres lumineuses de 1 m 20 de haut annonçant le titre du film. Surtout, la cascade de lumière qui habille la façade brille de tout son éclat : « du Pont Mirabeau cet effet lumineux est perceptible » affirme le directeur de la salle à La Cinématographie française.

À l’affiche le 8 novembre 1933, Tire-au-flanc (Henri Wulschleger) remporte un grand succès grâce à l’immense popularité de son interprète, Bach. Les comiques troupiers à l’affiche des comédies prennent toute leur valeur dans une salle populaire comme le Gaumont-Palace. Le 11 novembre, Le Petit Journal y organise un grand gala au profit du couvert de l’Artiste, avec le gracieux concours de 44 vedettes, parmi lesquels les Fratellini, Gaby Morlay, Marguerite Moreno, Dorville, Saint-Granier, Georges Till, Armand Bernard, Victor Boucher… et les Girls du Gaumont-Palace.

Ci-dessus: Tire-au-flanc (Henri Wulschleger) du 8 au 21 novembre au 1933.

Ci-dessus: King Kong (Merian C. Cooper et Ernest B. Schoedsack) la semaine du 8 décembre 1933.

Ci-dessus: Gala du 11 novembre 1933.

Ci-dessus: Les Compagnons de la nouba (William A. Seiter) la semaine du 23 novembre 1934.

Le 8 décembre, c’est un gorille géant qui occupe la façade du Gaumont-Palace, King Kong (Merian C. Cooper et Ernest B. Schoedsack) qui débarque, après un triomphe en exclusivité au Marivaux, « dans une salle à sa mesure » comme le vante la publicité. Tandis que les rendements pour le réveillon de Noël sont moyens pour le circuit GFFA, le Gaumont-Palace affiche un complet pour la séance de minuit, avec Bach millionnaire (Henri Wulschleger) et, en attraction après son succès au Rex, Jack Hylton, maître incontesté du jazz.

Dans les années 1932-1933, des salles de grande capacité s’ouvrent dans la capitale comme le Rex de Jacques Haïk ou le Marignan-Pathé de Bernard Natan. La grève des taxis parisiens affecte la fréquentation des grandes salles comme le Rex, l’Olympia ou le Gaumont-Palace. Dans son édition du 30 décembre 1933, La Cinématographie française annonce la fin de l’ère des grandes salles de cinéma. En effet, le public allant moins au cinéma, la clientèle se resserre, touchée par la crise : « les grandes salles peuvent faire de grosses recettes, mais aussi creuser de terribles déficits. C’est pourquoi il est peu probable qu’on en crée de nouvelles avant une reprise des affaires toujours lointaines et hypothétiques ». La revue prend l’exemple du Studio-Caumartin, une salle de 350 places ouverte le 7 janvier 1933, qui a gardé à l’affiche durant onze mois Back Street de John M. Stahl avec Irene Dunne. Pour l’année 1933, le Gaumont-Palace enregistre 14 232 782 francs de recettes contre 20 786 188 francs en 1932. Le Rex reste le cinéma le plus fréquenté (25 949 106 francs de recettes en 1933).

Primerose (René Guissart) d’après la pièce de Robert de Flers et Gaston Armand de Caillavet remporte un brillant succès durant la semaine du 23 février 1934 totalisant durant le week-end une recette de 200 000 francs. Suivent l’exclusivité de La Porteuse de pain (René Sti) avec Fernandel le 23 mars, Liebelei (Max Ophüls) avec Magda Schneider le 6 avril ou bien la nouvelle version de Judex (Maurice Champreux) avec René Ferté dans le rôle-titre.

Au printemps 1934, les exploitants de grandes salles constatent que les avant-programmes et les grands orchestres n’attirent pas forcément plus de monde. Le circuit Gaumont-Franco-Films-Aubert maintient toutefois les orchestres au Rex, à l’Olympia et au Gaumont-Palace. Le samedi 21 juillet 1934, GFFA dépose son bilan. Dans les colonnes de la Cinématographie française, le circuit précise « que ce dépôt de bilan n’arrêtera en rien l’activité de la Société ».

Les mauvaises recettes estivales de l’année 1934 incitent le Gaumont-Palace à pratiquer « une déflation du prix des places » dès septembre : « aux mille premières personnes venant louer, pour la soirée du vendredi, une ou plusieurs places, il sera offert une place supplémentaire gratuite ».

Le 23 août, le cinéma ferme ses portes durant 15 jours pour d’importants travaux d’embellissement de la scène, de la salle et de la façade. Durant les deux semaines de fermeture, l’Artistic poursuit la série des grandes reprises d’été dont le Gaumont-Palace a fixé la formule, en présentant deux films à succès à chacun de ses programmes. La réouverture a lieu le vendredi 7 septembre 1934 avec La Banque Némo (Marguerite Viel) avec Victor Boucher.

À partir du 19 octobre, le Gaumont-Palace fait salle comble avec La Symphonie inachevée (Willi Forst), une production allemande sur la vie de Frantz Schubert avec la soprano Marta Eggerth. Après son exploitation au Studio de l’Etoile durant 12 mois consécutifs puis à l’Impérial durant quatre semaines, il est présenté durant deux semaines au Gaumont-Palace « avec des dialogues français ». La Cinématographie française souligne, dans son édition du 27 octobre, que depuis sa réouverture en 1931, ce film est celui qui attire le plus de monde au Gaumont-Palace.

Les lumières déclinantes du Gaumont-Palace.

Pour l’année 1934, les recettes au Gaumont-Palace sont passées 160 à 180 000 francs par semaine à environ 300 000, malgré une baisse du prix des places. Dans son numéro du 22 décembre, La Cinématographie française indique que « le Gaumont-Palace est une grande salle de quartier qui a besoin de trouver 40 000 personnes par semaine pour faire ses affaires. S’il a pu, au moment de sa réouverture, se permettre des prix de cinémas d’exclusivité, c’est qu’il bénéficiait de l’attrait de la curiosité ». Afin d’éviter des difficultés avec les distributeurs et pour compenser la baisse du prix des places, le cinéma est passé d’un pourcentage de 15 à 20% avant la réduction à 30 à 35%.

Les productions scéniques passent parfois d’un cinéma à un autre. Ainsi le ballet de Robert Quinault L’Éveil des fleurs – avec ses décors grandioses qui évoquent un paysage de conte de fée avec des personnages en forme de roses et des glycines – occupe la scène du Rex dès le 21 février 1935 en complément de Bibi-la-Purée (Léo Joannon) avec le comique Biscot. Il est présenté dès le 1er mars sur la scène du Gaumont-Palace en complément du Comte Obligado (Léon Mathot) avec Georges Milton.

Par la suite, les films sont en première vision dans la salle du boulevard Poissonnière et en seconde vision seulement au Gaumont-Palace à l’instar de Gangster malgré lui (André Hugon) à l’affiche au Rex le vendredi 3 mai 1935 puis au Gaumont-Palace à partir du 31 mai. Progressivement, les deux salles sont rétrogradées en salles de seconde exclusivité au même titre que les cinémas Scala, Gaumont-Théâtre, Vivienne, Pathé Victor-Hugo, Lutetia, ’Impérial ou César.

Durant l’été 1935, un double programme avec des attractions réduites sont à l’affiche du Gaumont-Palace, à l’instar de La Femme et le Pantin (Josef von Sternberg) avec l’envoutante Marlene Dietrich la semaine du 7 septembre ou Folies-Bergère (Marcel Achard et Roy Del Ruth) avec Maurice Chevalier celle du 28 septembre.

Le 11 octobre, les ballets de la danseuse Loïe Fuller, dont la danse serpentine avait intéressé le cinéma dès ses origines, proposent une nouvelle création sur la vaste scène du Gaumont-Palace. Le spectacle proposé cette semaine-là est une suite de danses réglées sur des fragments d’œuvres symphoniques de Wagner, Saint-Saëns, Debussy et Rimski-Korsakov : des « danses d’oiseaux, de phosphorescences, de fleurs, de flammes, qui mobilisent toutes les puissances de la lumière en créant des visions d’une poésie inoubliable » comme le commente Comoedia en date du 14 octobre. Au même programme, Et moi, j’te dis qu’elle t’a fait de l’œil  de Jack Forrester avec Colette Darfeuil, Jules Berry et Julien Carette.

Ci-dessus: Pasteur et Bonne chance (Sacha Guitry) qui génèrent 93 562 francs de recettes le dimanche 17 novembre 1935.

Ci-dessus: les recettes de la semaine du 29 novembre 1935 de Casta Diva (Carmine Gallone).

Le matin du 28 décembre, L’Intransigeant organise au Gaumont-Palace son arbre de Noël au cours duquel est organisé un concours du sosie de Shirley Temple. La lauréate est ensuite reçue au grand magasin du Printemps où des poupées à l’effigie de la jeune actrice lui sont offertes.

La semaine du 7 février 1936, en complément de Sacré Léonce (Christian-Jaque), une production Paramount France avec Armand Bernard, le public découvre sur la scène les Elida Sisters, danseuses contorsionnistes qui, selon la publicité, « animent un numéro aussi remarquable par l’originalité de sa conception que par la perfection de sa technique » ainsi que les quatre Ylleroms « qui exécutent des exercices audacieux à la perche », les Harry Avers Four dans un numéro de patinage, un mouvement du Concerto pour violon de Mendelssohn interprété par l’orchestre du Gaumont-Palace sous la direction d’André Libiot avec le concours de Georges Tzipine.

La semaine du 3 avril 1936, le Gaumont-Palace présente en complément de Rose (Raymond Rouleau), un curieux numéro de music-hall intitulé L’Inquisition : dans un décor représentant l’intérieur d’une prison, trois danseurs incarnent l’effort désespéré de deux captifs pour échapper aux cruautés d’un inquisiteur. « Souples, élancés, les danseurs nous présentent un remarquable travail de contorsionnistes-équilibristes » relate Comoedia. Au même programme, le grand orchestre du Gaumont-Palace offre une interprétation de l’ouverture des Masques de Carlo Pedrotti sous la direction d’André Libiot et bien sûr des morceaux d’orgues. Suivent, entre autres, La Garçonne (Jean de Limur) avec Marie Bell et Arletty la semaine du 17 avril, Le Roman d’un spahi (Michel Bernheim) d’après Pierre Loti avec Mireille Balin celle du 24 avril, Le Coup de trois (Jean de Limur) le 15 mai avec en complément sur scène le grand orchestre de Jo Bouillon ou encore Marinella (Pierre Caron) avec Tino Rossi en vedette.

En ce mois d’avril 1936, la GFFA obtient de ses créanciers un concordat réduisant la dette de 300 millions à 100 millions, payables à raison de 2 millions par an. La semaine du 19 juin, une importante attraction musicale est proposée sur la scène du Gaumont-Palace avec le concours de Madeleine Sibille et Pierre Fouchy de l’Opéra-Comique et du grand orchestre symphonique dirigé par Georges Tzipine. Ce spectacle consiste à offrir au public, sous la forme d’un montage musical, des airs symphoniques célèbres (Cavalleria rusticana de Pietro Mascagni, Carmen de Georges Bizet…). Le programme est complété par la production franco-allemande La Souris bleue (Pierre-Jean Ducis) avec Henri Garat.

Ci-dessus: Je vois tout, le magazine filmé.

En septembre 1936, le Gaumont-Palace, le Colisée, le Madeleine, l’Aubert-Palace et le Rex présentent le magazine filmé Je vois tout, un moyen métrage de 600 mètres qui sera décliné en 10 numéros annuels. Cette année-là, sous le Front Populaire, le président du Conseil Léon Blum réduit le nombre d’heures travaillées par semaine de 48 à 40 en gardant un salaire constant. Au début de l’année suivante, l’application des 40 heures de travail par semaine dans l’industrie cinématographique inquiète les exploitants qui craignent également l’exode des citoyens vers la campagne et, par conséquent, une importante chute des recettes dans les grandes villes. Peu anticipent que la baisse de la durée du travail pourrait être favorable à la prospérité des cinémas. La baisse des recettes depuis 1934, que la hausse du prix des places n’a pas jugulée, provoque un certain pessimisme chez les exploitants.

Au cours de cette année 1936, le Gaumont-Palace affiche La Bandera (Julien Duvivier) avec Jean Gabin la semaine du 10 janvier, Lucrèce Borgia (Abel Gance), dont la scène de nue d’Edwige Feuillère fait scandale, celle du 24 janvier, Marinella (Pierre Caron) avec Tino Rossi le 22 mai, L’Argent (Pierre Billon) le 18 septembre, Club de femmes (Jacques Deval) avec la pétillante Danielle Darrieux le 30 octobre ou encore Monsieur Personne (Christian-Jaque) avec l’inégalable Jules Berry et Josseline Gaël le 11 décembre.

Ci-dessus: Ignace (Pierre Colombier) du 24 septembre au 7 octobre 1937.

Ci-dessus: La Grande Illusion (Jean Renoir) la semaine du 12 novembre 1937.

En 1937, La Cinématographie française constate que les attractions redeviennent à la mode en raison du manque de bons compléments de programme. De son côté, grâce à ses immenses volumes, le Gaumont-Palace engage les plus fameux numéros internationaux de music-hall. Durant cette même année 1937, les spectateurs peuvent assister aux projections des Bas-fonds (Jean Renoir) la semaine du 5 février, l’énorme succès de Marcel Pagnol César celle du 23 avril, le triomphe du Marivaux Pépé le Moko (Julien Duvivier) le 30 juillet, Ignace (Pierre Colombier) avec Fernandel le 24 septembre pour deux semaines, La Grande Illusion (Jean Renoir) le 12 novembre, Un carnet de bal (Julien Duvivier) le 24 décembre ou encore Gueule d’amour (Jean Grémillon) le 31 décembre.

Les dernières années avant la guerre.

Le 1er avril 1938, le quotidien Le Peuple publie un communiqué : « Parce que c’est le film des Républicains de 1792 qui luttèrent ardemment contre les traitres et les armées étrangères pour l’indépendance de la France, La Marseillaise de Jean Renoir est férocement attaquée par M. Hitler et ses amis de France, mais les spectateurs l’acclament actuellement au Gaumont-Palace ». Le film était sorti en exclusivité à l’Olympia.

Ci-dessus: La Marseillaise (Jean Renoir) la semaine du 1er avril 1938.

Ci-dessus: Prison sans barreaux (Léonide Moguy) la semaine du 20 mai 1938.

Ci-dessus: Les Aventures de Robin des Bois (Michael Curtiz et William Keighley) du 8 au 21 mars 1939.

Ci-dessus: les grands succès de l’année 1938.

Cette année 1938, on peut voir sur l’écran du Gaumont-Palace Tamara la complaisante (Félix Gandéra et Jean Delannoy) avec Véra Korène et Victor Francen le 15 avril, l’énorme succès Prison sans barreaux (Léonide Moguy) avec Corinne Luchaire et Annie Ducaux le 20 mai 1938, Le Schpountz (Marcel Pagnol) avec Fernandel le 26 août, L’Étrange Monsieur Victor (Jean Grémillon) avec Raimu le 23 septembre, la comédie Barnabé (Alexandre Esway) avec Fernandel le 7 octobre ou bien Les Disparus de Saint-Agil (Christian-Jaque) avec Erich von Stroheim le 4 novembre.

Au début du mois de novembre 1938, la GFFA annonce dans la presse corporative qu’elle ne renouvellera pas le bail du Rex lorsque celui-ci arrivera à son terme. À partir du mercredi 9 novembre 1938, le Gaumont-Palace inaugure une nouvelle formule de spectacle : un film seul et 40 minutes de music-hall sans modification du prix des places. Ainsi, à partir du 11 novembre, Alerte en Méditerranée (Léo Joannon) avec Pierre Fresnay poursuit sa carrière triomphale ; sur la scène, des numéros de chant, de danse, de variétés, avec également le grand orchestre de Georges Tzipine. Ce dernier, à l’occasion des fêtes de l’armistice, exécute une paraphrase de La Marseillaise avec le concours de Robert Vidalin, ancien pensionnaire de la Comédie-Française. Si la publicité vante un spectacle exceptionnel, il s’agit vraisemblablement de réduire les frais considérables des grandioses productions scéniques de la première moitié des années 1930.

L’année 1939 débute avec le film d’André Hugon Les Héros de la Marne interprété par Raimu dès le 4 janvier. Suivent Adrienne Lecouvreur (Marcel L’Herbier) avec Yvonne Printemps et Pierre Fresnay le 11 janvier, Entrée des artistes (Marc Allégret) avec Louis Jouvet et Odette Joyeux le 25 janvier ou bien J’étais une aventurière (Raymond Bernard) avec Edwige Feuillère et Jean Murat le 24 février.

Le grand film en Technicolor de la Warner Les Aventures de Robin des Bois (Michael Curtiz et William Keighley) ne sort pas immédiatement au Gaumont-Palace : c’est le Rex qui obtient son exclusivité le 23 novembre 1938 durant sept semaines. Le film interprété par Errol Flynn et Olivia de Havilland poursuit son exclusivité au Colisée sur les Champs-Élysées où il est diffusé en version originale le 12 janvier 1939 durant cinq semaines. La Gaumont-Franco-Films-Aubert ayant l’exclusivité de son exploitation en première vision, le film arrive enfin au Gaumont-Palace le 9 mars pour 15 jours avec sur scène, la même attraction qu’au Rex, Les Petits chanteurs à la Croix de Bois.

Après quatre mois d’exclusivité au Madeleine et deux semaines au Rex, La Bête Humaine arrive au Gaumont-Palace le 27 avril. Le succès du film de Jean Renoir dépasse les prévisions avec 100 000 entrées enregistrées en 14 jours. Pour la seule la journée du premier dimanche, 17 000 spectateurs se déplacent et 12 000 le deuxième dimanche. Film de tous les records, il enregistre 350 000 entrées dans les trois salles Gaumont de première vision (Madeleine, Rex et Gaumont-Palace).

À partir de mai 1939, les auditeurs de Radio-Cité peuvent écouter chaque dimanche un grand concert donné par le Grand Orchestre du Gaumont-Palace pour l’émission Déjeuners-concerts. La musique sélectionnée est « accessible à tous » et est présentée par le compositeur Maurice Yvain. L’orchestre est dirigé par Georges Tzipine qui a pris la direction de l’orchestre du Gaumont-Palace depuis 1931. Cette même station de radio y organise le 4 juillet 1939 un grand gala auquel les plus grandes vedettes de la radio prêtent gracieusement leur concours. Plusieurs milliers de spectateurs applaudissent la finale du radio-crochet. Grace aux recettes de ce gala, une centaine d’enfants découvre la campagne.

Pour le 14 juillet 1939, dix-huit salles d’exclusivité parisiennes reçoivent les représentants de l’armée britannique venus participer à la revue. C’est ainsi que les aviateurs et les gardes anglais peuvent entrer gratuitement, entre autres, à l’Aubert-Palace, au Colisée, au Rex et au Gaumont-Palace. Au Marignan-Pathé, les militaires français en uniforme sont exonérés de billet ce jour-là. La guerre se prépare… Lorsque celle-ci est déclarée, c’est Entente cordiale (Marcel L’Herbier) avec Gaby Morlay, Victor Francen et Pierre Richard-Willm qui occupe l’affiche du Gaumont-Palace depuis le 30 août.

Episode précédent: le Gaumont-Palace : la métamorphose (1931)

Episode suivant: le Gaumont-Palace : les années noires (1940-1944).

Texte: Thierry Béné.
Documents: Sources : L’Architecte, Gallica-BnF, La Cinématographie française, Ciné-Journal, Cinéadia.