Adresse : Carré Marigny à Paris (VIIIe arrondissement)
Nombre de salles : 1

Alors que le Théâtre Marigny s’ouvre au cinéma dès les années 1930, en particulier avec les longues exclusivités des deux chefs d’œuvre de Charles Chaplin Les Lumières de la ville et Les Temps Modernes ainsi que le deuxième volet de la trilogie de Marcel Pagnol Fanny, une salle de cinéma est créée à la fin des années 1960 dans les dépendances du bâtiment : le Studio Marigny.

Dans son ouvrage À 40 ans, nous aurons un cinéma – L’âge d’or du cinéma d’art et d’essai (éditions Maïa), Danièle Wasserman évoque le contexte d’ouverture du Studio Marigny : « Mme Peillon (à l’époque assurant la direction du Studio des Ursulines, du Studio de l’Etoile et du Studio Médicis) avait été contactée par Hubert de Mallet et Elvire Popesco (…) Ils créaient une nouvelle salle dans le Théâtre Marigny, près du rond-point des Champs-Elysées, et pensaient qu’une programmation Art & Essai était ce qui convenait le mieux. La redevance prévue était exorbitante (…) Il était impossible de rentabiliser la salle (…) Elle finit par signer un contrat pour deux ans et déchanta rapidement ».

Cinéma Studio Marigny à Paris

Cinéma Studio Marigny à Paris

Ci-dessus: vues de la salle en 1966.

Le magazine Le Film français évoque dans son numéro 1193 les caractéristiques de cette nouvelle salle : « Le Studio Marigny est une salle de 360 places dont toutes les installations expriment un souci exigeant de confort et d’élégance, et que ses équipements placent au premier rang de la technique cinématographique moderne (…) La salle a été créée de toute pièce par l’architecte André Bertrand dans un local au-dessus du hall d’entrée du Théâtre Marigny, y compris ses accès, escaliers principaux et de secours, balcon, la totalité des services sanitaires et de la cabine de projection. L’ensemble comprend un hall d’entrée, un escalier principal accédant au premier niveau (260 places), des escaliers desservant le deuxième niveau du balcon (100 places) ». Les balcons, planchers de la salle, escaliers principaux sont réalisés en charpente métallique. Le cinéma est conçu pour la projection 35 et 70 mm et une sonorisation « haute-fidélité » 6 pistes magnétiques.

En ce qui concerne la décoration, pour la totalité des murs, « un bardage en aluminium avec profilés commerciaux revêtus de velours » est mis à l’honneur. Les plafonds de la salle et du balcon sont traités en staff « avec motifs de bas-reliefs conçus sur des courbes tracées pour donner le meilleur résultat au point de vue acoustique ». L’escalier principal sur plan courbe est également réalisé en cloisons de staff, revêtues de velours.

Pour augmenter l’impression de grandeur du hall d’entrée dont la surface est très réduite, un miroir a été posé sur la droite. Le hall comporte une « frise d’acajou vernis également sur plan courbe pour loger les services de caisse ». L’éclairage est réalisé « par des verticales rythmées et incorporées dans le bardage aluminium. Motifs alternés diabolos et carrés réalisés en verre éclaté (…) L’éclairage de la salle sur rhéostat, est fait par des sources lumineuses incorporées dans les plafonds du balcon et au droit du rideau de scène ». En ce qui concerne la couleur des matériaux « le revêtement de l’escalier principal et la totalité de la salle est réalisé en velours feuille forte : les plafonds dans un ton ivoire soutenu avec bas-reliefs ivoire clair ; la totalité des tapis est de ton sable ». Enfin, les fauteuils en skaï du fabricant Quinette sont de couleur cuir naturel.

Ci-dessus: Porgy and Bess d’Otto Preminger, le film inaugural du Studio Marigny.

La difficulté qui se pose d’emblée pour l’exploitation du Studio Marigny est due à l’emplacement de la salle. En effet, les Champs-Elysées possèdent à cette époque suffisamment de cinémas pour les sorties de films Art & Essai en exclusivité. De plus le Studio Marigny est excentré par rapport aux autres établissement sur l’avenue. Line Peillon éprouve des difficultés à trouver un film inédit pour l’ouverture du cinéma. Le choix se porte finalement sur le musical produit par Samuel Goldwyn et distribué par la Columbia Porgy and Bess. Réalisé en 1959 par Otto Preminger, l’adaptation de l’opéra de George Gershwin était prévue à l’époque au George V pour succéder à West Side Story. Mais le triomphe du film de Robert Wise ne permet pas d’interrompre son exploitation pour Porgy and Bess, resté inédit et projeté sept ans plus tard au Studio Marigny. A l’affiche en 70 mm, il tient 14 semaines.

Dès le départ, le Studio Marigny se cherche une identité avec une programmation très hétérogène. Ainsi le 22 février 1967, Line Peillon propose, en duo avec le Saint-Séverin de Danièle Wassermann, Le Mystère Kennedy qui se présente comme une contre-enquête au rapport Warren. Entrepris par l’avocat de Lee Oswald, de nombreux témoins sont interviewés devant la caméra d’Emile de Antonio. Devant son insuccès, le film est remplacé au bout de deux semaines par la sortie, en exclusivité sur les Champs-Elysées avec le Normandie, du nouveau film de Jacques Demy Les Demoiselles de Rochefort. Si le public se rue dans les salles qui affichent le duo Catherine Deneuve et Françoise Dorléac – au Rex, au Normandie, à la Rotonde, au Caméo et au Danton, il est en revanche peu nombreux au Studio Marigny qui, par la suite, s’engage dans une programmation davantage tournée vers l’Art & Essai.

On pourra y voir le drame historique de Peter Brook Marat-Sade le 3 mai 1967 ainsi que le musical de Peter Watkins Privilège le 21 juin 1967 ou les continuations le 27 septembre 1967 de Blow-Up de Michelangelo Antonioni, Palme d’Or du Festival de Cannes 1967, qui a tenu l’affiche du Biarritz durant de longs mois.

Ci-dessus: L’Extravagant Docteur Dolittle de Richard Fleischer le 21 décembre 1967.

Changement de style avec la sortie de L’Extravagant Docteur Dolittle de Richard Fleischer, donné en tandem avec le Gaumont Palace. Il est probable que ce film d’aventures rencontra des difficultés à trouver une salle sur les Champs-Elysées et que le Studio-Marigny, équipé en 70 mm, ait constitué un pis-aller.

L’Art & Essai s’impose avec des œuvres comme La Chine est proche de Marco Bellochio le 12 juin 1968, Phèdre de Pierre Jourdan avec Marie Bell le 16 octobre 1968 ou la réédition à succès de La Croisière du Navigator (1924) de Buster Keaton et Donald Crisp le 11 décembre 1968. Superbe comédie musicale de Robert Wise, Star ! avec Julie Andrews – échec mondial malgré le triomphe de son film précédent The Sound of music (La Mélodie du Bonheur) – sort à la sauvette au Studio Marigny dans son format 70 mm original. Malgré son insuccès, Star ! y reste neuf semaines à l’affiche mais sera par la suite peu repris dans les salles.

Ci-dessus: Quarante tueurs de Samuel Fuller le 26 juillet 1967.

Ci-dessus: La Croisière du Navigator (1924) de Buster Keaton et Donald Crisp le 11 décembre 1968.

Ci-dessus: Star ! de Robert Wise en exclusivité au Studio Marigny à partir du 9 mai 1969.

Le succès de La Croisière du Navigator entraîne de nombreuses ressortie de films anciens, en particulier par le distributeur Jacques Robert, comme Les Fiancées en folie de Buster Keaton qui, grâce à son triomphe au Saint-Séverin, arrive au Studio Marigny le 9 juillet 1969. Danièle Wasserman évoque Jacques Robert dans son ouvrage : « Ce fou de cinéma, n’ayant pas d’argent, avait trouvé un filon de rechercher d’anciens films pas exploités depuis des lustres et cela marchait très bien ». Ces films anciens, provenant également d’autres distributeurs comme en particulier Capital Films, occupent l’écran du Studio Marigny à l’instar des films avec Fred Astaire et Ginger Rodgers comme Amanda de Mark Sandrich le 14 janvier 1970 ou L’Entreprenant Monsieur Petrov du même réalisateur en alternance avec Swing time de George Stevens à partir du 9 septembre 1970.

Buster Keaton est régulièrement repris avec succès à l’instar de Steamboat Bill Junior à l’affiche pendant de longs mois à partir du 8 avril 1970. On peut également découvrir, à partir du 25 novembre de la même année, le très rare film de D.W. Griffith Naissance d’une nation. Le Studio Marigny programme en exclusivité durant quatre semaines L’Homme du désir de Dominique Delouche. Mais le public d’alors n’est pas encore prêt à suivre l’histoire d’un homme, marié et catholique, épris d’un jeune homme délinquant.

Ci-dessus: à gauche, les continuations d’exclusivité de Playtime de Jacques Tati à partir du 31 juillet 1968. A droite, celles du Cirque de Charles Chaplin à partir du 30 juillet 1969.

Ci-dessus: Steamboat Bill Junior (1928) de Buster Keaton et Charles Reisner à partir du 8 avril 1970.

Ci-dessus: Le Procès d’Orson Welles à partir du 14 février 1973.

Line Peillon poursuit malgré les difficultés à programmer la salle en privilégiant de nombreuses reprises comme, le 14 février 1973, la réédition du film d’Orson Welles Le Procès, également à l’affiche du cinéma Quintette de Boris Gourevitch. Une expérimentation de dédier la salle aux cartoons en matinée est tentée dès l’automne 1973 avec un film en soirée – comme Le Chagrin et la pitié de Marcel Ophüls à partir du 7 janvier 1973. Ainsi, Tom & Jerry, Bugs Bunny, Woody Woodpecker côtoient Buster Keaton, Greta Garbo, Gene Kelly, Fred Astaire et Ginger Rodgers dont les films sont présentés régulièrement.

Les Trois âges de Buster Keaton et Edward F. Cline, réédité le 12 juin 1974 au 14-Juillet Bastille, au Saint-Séverin et au Studio-Marigny, obtient un relatif succès. Suit Les Aventures de Pinocchio de Luigi Comencini le 20 août 1975. Originellement feuilleton pour la chaîne italienne RAI, remonté et réduit pour une sortie en salles en France, le film est maintenu durant 27 semaines au Studio Marigny.

Ci-dessus: reprise de Fanfan la tulipe de Christian-Jaque pour les fêtes de fin d’année 1974.

Durant l’année 1977, le Studio Marigny surfe sur la vague de succès obtenus au prestigieux Kinopanorama en reprenant certains films en 70 mm qui quittent l’écran de la salle de l’avenue de la Motte-Piquet. Ainsi, My Fair Lady de George Cukor arrive le 16 mars 1977, tout comme Lawrence d’Arabie de David Lean le 15 juin 1977. Comme le rappelle Danièle Wasserman dans l’ouvrage précédemment cité, « il était impossible de rentabiliser la salle avec en plus des frais fixes incompressibles dont le personnel ou le pourcentage pour les films ».

C’est le 12 octobre 1977 et avec le magnifique film d’Akira Kurosawa Dersou Ouzala que le Studio Marigny achève, après une douzaine d’années, son aventure cinématographique. Aujourd’hui, la salle est dédiée au théâtre.

Ci-dessus: Dersou Ouzala d’Akira Kurosawa, le dernier programme du Studio Marigny.

Ci-dessus: la salle du Studio Marigny, aujourd’hui.

Textes: Thierry Béné.
Documents: Le Film français, France-Soir, Pariscope et Théâtre Marigny.