Les années 1920 vont connaître le développement des grands circuits d’exploitation et, à la fin de la décennie, l’apparition du cinéma parlant. Durant cette période, pendant que la société Pathé ouvre de nombreuses salles, Gaumont se lie à la Metro-Goldwyn et obtient ainsi un catalogue considérable de films à distribuer. La société à la marguerite, en s’associant avec le circuit Aubert, bénéficie d’un important parc de salles en exploitation.

Après la première période de l’exploitation en cinéma de l’ancien Hippodrome, le Gaumont-Palace maintient sa formule à succès, à savoir un programme complet composé de divers petits films, des sérials, des productions scéniques et du grand film. Les vedettes Charlot et Fatty sont régulièrement présents dans les programmes, de même que le sérial Barrabas réalisé en 12 épisodes par Louis Feuillade. Ce ciné-roman, qui commence sa carrière sur l’écran du cinéma de la place Clichy à partir du 5 mars 1920, narre les péripéties de criminels internationaux dirigés par le banquier Rudolph Strelitz interprété par Gaston Michel. Le public retrouve dans ce sérial le comique Georges Biscot ainsi que la prolifique actrice Alice Tissot.

Ci-dessus: le Gaumont-Palace, « le plus grand cinéma du monde ».

Ci-dessus: Faisons la cour à Pélagie de Maken de Ray Grey & Erle C. Kenton.

Le film de Germaine Dulac La Fête espagnole est à l’affiche du Gaumont-Palace la semaine du 30 avril 1920, Le Carnaval des vérités de Marcel L’Herbier le 4 juin, Narayana de Léon Poirier le 22 octobre et L’Homme du large de Marcel L’Herbier avec Charles Boyer le 3 décembre de la même année. Ces trois derniers films appartiennent à la série de films de prestige Pax voulue par Léon Gaumont et dont Léon Poirier assure la direction artistique.

Un gala de charité au bénéfice de la Mutuelle du Cinéma et auquel est convié le comique américain Fatty est organisé au Gaumont-Palace le 4 décembre 1920. Au programme, un grand film artistique, deux des meilleurs films inédits du comique, un concert musical, un sketch acrobatique et enfin « le gros Fatty paraîtra sur la scène en chair beaucoup, en os un peu » comme l’écrit ironiquement le quotidien La Petite République.

La semaine du 17 décembre 1920, Le Lys brisé de D. W. Griffith avec Lillian Gish est présenté sur l’écran du Gaumont-Palace. Le film sera repris la semaine du 16 septembre 1921, la séance comportant un prologue dramatique et lyrique sur une musique de L. Rémond et chanté par des artistes de l’Opéra-Comique et de la Gaîté-Lyrique.

Ci-dessus: Le Festin de Néron, production scénique accompagnant le film Quo Vadis? à partir du 8 avril 1921.

Pour l’année 1921, Louis Feuillade affiche son serial en 12 épisodes, Les Deux gamines, programmé à partir du 28 janvier. L’événement de l’année a lieu le 8 avril 1921 avec la reprise de Quo Vadis ? de Nouguès, sur un livret d’Henri Cain et tiré du roman du même nom de Henryk Sienkiewicz. Réalisé par Enrico Guazzoni, Quo Vadis ? est accompagné d’un spectacle scénique Le Festin de Néron, intermède vocal et chorégraphique réglé par Jeanne Ronsay et André Richard. Ce spectacle est composé de plusieurs tableaux : Le Défilé des Dieux Capitolins, La Pastorale des fleurs et des fruits, Les Combats de gladiateurs, Le Coffre oriental, L’Enlèvement de Lygie et Orgie et Bacchanale. Des solistes, des chœurs et un grand orchestre symphonique composé de 180 musiciens sous la direction de Paul Fosse accompagnent cette production scénique. Quo Vadis ? est repris avec le même spectacle scénique les semaines du 18 juin 1921 et du 5 mai 1922.

Ci-dessus: Le Capitaine Fracasse de Mario Caserinila la semaine du 22 avril 1921.

Ci-dessus: L’Atlantide de Jacques Feyder à partir du 30 septembre 1921.

Le 30 septembre 1921 sort au Gaumont-Palace le grand film réalisé par Jacques Feyder d’après le roman de Pierre Benoit, L’Atlantide avec Stacia Napierkowska et Brigitte Helm le rôle d’Antinéa. La publicité précise : « la présentation de L’Atlantide constituant la plus grande partie du spectacle, le public est prévenu que la projection commencera très exactement à 8h50. » Deux matinées sont proposées les jeudis 6 et 13 octobre. Le film est exceptionnellement programmé durant 15 jours et sera repris sur la même durée à partir du 26 mai 1922. La presse s’interroge sur les sorties exclusives de films comme L’Atlantide au Gaumont-Palace qui contraignent les spectateurs à se rendre uniquement dans cette salle pour découvrir le film tant attendu. Les mises en scènes somptueuses et variées sur scène en complément des films sont l’atout du cinéma de la place Clichy qui, à cette époque, n’a pas de réel concurrent.

Ci-dessus: El Dorado de Marcel L’Herbier la semaine du 28 octobre 1921.

Ci-dessus: entrées de faveur.

Pour la saison 1921, le Gaumont-Palace est le cinéma en tête de fréquentation avec une recette de 3.666.000 frs contre 2.456.000 frs pour le Marivaux qui arrive en seconde position, puis le Lutetia avec 1.904 000 frs et le Madeleine arrivant en septième position avec 1.525.000 frs.

Ci-dessus: système de projection par transparence.

Ci-dessus: feuille de location.

A partir du 31 mars 1922, une grande revue est présentée sur la scène du Gaumont-Palace. Il s’agit d’une nouvelle formule qui utilise des décors lumineux et emploie judicieusement le cinéma comme l’évoque la revue Comoedia dans son édition du 12 avril 1922 : « les décors tels que ceux des toits de Paris, nous ont fait voir un ciel constellé d’étoiles ; ainsi le décor n’est plus une interprétation de la nature, c’est la nature elle-même qui est projetée sur l’écran (…) Les chœurs ukrainiens qui vont débuter prochainement au Gaumont-Palace, chanteront devant l’écran où paraitront des vues des steppes ou des rivières qui seront comme le reflet animé de l’œuvre musicale interprétée ».

Cette technique novatrice attire les foules, la presse publie à cet effet des critiques très positives. Au cours de la revue, la scène du « Visiogolopériscophone » montre sur l’écran un personnage faire sa toilette, sortir de chez lui, échapper à mille accidents de locomotion, grimper sur le toit du Gaumont-Palace et  poursuivi par le personnel de l’établissement et enfin finir par s’enfoncer dans une trappe qui s’ouvre au plafond de la salle et laisse descendre par une corde, au milieu de l’orchestre, l’artiste « en chair et en os ».

Le 10 mai 1922, L’Intransigeant annonce : « la société des Etablissements Gaumont, principale propriétaire de l’immeuble occupé par le Gaumont-Palace fait connaître qu’il est procédé, sur sa propre requête, à la vente de la propriété uniquement pour mettre fin à une situation d’indivision avec des mineurs. Il n’est nullement question de céder l’exploitation et la marque Gaumont-Palace qui sont et continuent à rester son entière propriété ».

Ci-dessus: L’Afrique sauvage à partir du 21 avril 1922.

Ci-dessus: Le Fils du Flibustier de Louis Feuillade à partir du 13 octobre 1922.

Le grand sérial de l’année 1922 est Le Fils du Flibustier réalisé en 12 épisodes par Louis Feuillade qui occupe l’affiche dès le 13 octobre. Le jeudi 14 décembre de la même année, les deux premières époques du film d’Abel Gance La Roue attirent une foule considérable au Gaumont-Palace. Le Tout-Paris est là, « semé d’invités profanes dont les impressions sont extrêmement intéressantes à recueillir – naïves, sottes ou perfides – pour ce qu’elles ont d’anti-professionnel » comme le souligne avec mépris un certain G.D. dans les colonnes de l’hebdomadaire professionnel Ciné-Journal.

La décision de Pathé-Consortium-Cinéma de sortir le film d’Abel Gance dans le populaire Gaumont-Palace n’était pas sans risque. Le troisième épisode sera intégré dans le programme de la semaine du 16 mars 1923. Le 9 mars 1923 sort la première partie du film L’Affaire du courrier de Lyon de Léon Poirier suivies des deuxième et troisième époque les semaines suivantes.

La première représentation du film La Bataille adapté du roman à succès de Claude Farrère et coréalisé par Édouard-Émile Violet et Sessue Hayakawa, également grand comédien qu’on verra dans Yoshiwara (1937) de Marcel Ophüls, est donnée le 1er décembre 1923. Pour une œuvre de cette importance, le gouvernement a autorisé pour la première fois des prises de vue réalisées sur les bâtiments de l’escadre de la Méditerranée. Le film remporte un grand succès et reste exceptionnellement deux semaines à l’affiche du Gaumont-Palace.

La période Gaumont-Loew-Metro.

En 1924, en vue de s’implanter sur le marché européen, la Metro-Goldwyn signe avec la Société des Etablissements Gaumont (SEG) un contrat de distribution. Un an plus tard, la Société Gaumont-Metro-Goldwyn (GMG) est créée. La distribution des films est assurée dans toute la France par les agences régionales de la Gaumont offrant ainsi un marché important au studio hollywoodien. Les salles du circuit Gaumont sont alors affermées à la Loew-Metro-Goldwyn pour une durée de cinq ans à partir du 31 août 1925. Cette union ne va durer que trois années, jusqu’au divorce prononcé le 1er septembre 1928. La M.G.M., qui conserve l’exploitation du Gaumont-Palace jusqu’en 1930, y affiche ainsi ses propres films : Les Étrangers de la nuit de Fred Niblo le 14 novembre 1924, Scaramouche de Rex Ingram avec Lewis Stone et Ramon Novarro le 21 novembre 1924 ou bien Les Lois de l’hospitalité de Buster Keaton et John G. Blystone le 5 décembre de cette même année et dont les exclusivités ont lieu au Madeleine-Cinéma, cinéma de prestige qui verra arriver à sa direction en 1926 Jean Mounier.

Pour l’année 1924, le journal L’Economiste français indique que les recettes du Gaumont-Palace atteignent 3 754 551 francs, contre 2 777 667 francs pour le Madeleine, 5 852 422 pour le Marivaux, 1 429 550 pour le Louxor, 1 025 780 pour le Colisée et 2 311 393 pour le Max Linder. Au cours de la semaine du 26 septembre 1924, Le Gosse (The Kid) de Charles Chaplin enregistre des recettes importantes au Gaumont-Palace.

Outre le cinématographe, le Gaumont-Palace accueille régulièrement des combats de boxe. Le 8 mai 1925, la presse annonce qu’« en raison de son match contre Herse, le 19 mai au Gaumont-Palace, (le boxeur) Fred Bretonnel a décidé de ne pas aller à Berlin disputer un match contre Grimm, champion d’Allemagne ». L’année 1925 est aussi celle de la disparition de Louis Feuillade qui quitte la scène le 26 février. Son dernier film Le Stigmate sort au Gaumont-Palace la semaine du 13 mars. Le nom du réalisateur reste lié à la salle tant ses films y ont attiré les foules.

Ci-dessus: Le Criminel d’Alexandre Ryder à l’affiche la semaine du 12 novembre 1926.

Ci-dessus: l’actrice Mae Murray sur la scène du Gaumont-Palace le 26 novembre 1926.

Ci-dessus: publicité corporative vantant le triomphe du Chemineau de Georges Monca et Maurice Kéroul.

Le grand film, accompagné d’attractions sur scène, est désormais mieux mis en valeur dans la publicité du Gaumont-Palace. La saison 1925-1926 voit défiler, entre autres, The White Sister de Henry King avec Lillian Gish and Ronald Colman le 30 janvier 1925, Pêcheurs d’Islande de Jacques de Baroncelli avec Charles Vanel et Sandra Milovanoff le 20 mars 1925, le film historique Le Miracle des loups de Raymond Bernard avec Charles Dullin dans le rôle de Louis XI à l’affiche le 17 avril 1925 et une nouvelle version de Quo vadis ? de Gabriellino D’Annunzio et Georg Jacoby avec Emil Jannings interprétant Néron le 9 octobre 1925. Suivent Larmes de clown de Victor Sjöström avec le génial Lon Chaney et la magnifique Norma Shearer le 27 novembre 1925, L’Aigle noir de Clarence Brown avec Rudolph Valentino le 2 avril 1926, Les Fiancées en folie de et avec Buster Keaton le 9 avril 1926 ou encore Le Torrent de Monta Bell avec l’envoutante Greta Garbo le 24 septembre 1926.

Le vendredi 26 novembre 1926, la grande star de la Metro-Goldwyn Mae Murray, accompagnée de son mari le Prince Divoni pour son voyage promotionnel à Paris et avant Rome, est accueillie sur la scène du Gaumont-Palace où passe pour la première fois le film qu’elle interprète, La Veuve joyeuse réalisé par Erich von Stroheim. Après son triomphe au Madeleine-Cinéma, la presse est pleine d’espoir : « Peut-être n’est-il pas impossible qu’elle procure, en cette occasion, au public privilégié de cette première, le spectacle rare de l’une de ses danses pleines de grâce et d’originalité ».

Pour la saison 1926-1927, la Gaumont-Loew-Metro inscrit à ses programmes huit grands films français réalisés ou édités par Phocéa ou Les Grandes Productions Cinématographiques. Ces productions, données au Gaumont-Palace, sont inaugurées le 17 décembre 1926 par le premier film de la série, Le Chemineau de Georges Monca et Maurice Kéroul d’après Jean Richepin.

Dès 1926, M. Harry Portman, directeur général des théâtres Gaumont-Loew-Metro, projette de créer au Gaumont-Palace une école de danse gratuite pour les jeunes filles désirant se consacrer à l’art chorégraphique, comme il en existe au mythique cinéma Capitol de New-York, également propriété des établissements Loew-Metro. C’est le 14 décembre 1927 qu’ouvre un studio spacieux et élégant aménagé sur toute la largeur du sixième étage du cinéma. Les inscriptions à l’école de danse sont si nombreuses que les cours sont doublés.

Durant toute son existence, le Gaumont-Palace accueillera le matin à 9 heures des élèves des écoles de filles et de garçons de la ville de Paris pour la projection de films. Durant la semaine du 8 octobre 1926, les enfants peuvent découvrir le documentaire La Croisière noire de Léon Poirier.

Ci-dessus: Les Fiancées en folie de Buster Keaton le 9 avril 1926.

Ci-dessus: L’Ange des ténèbres de George Fitzmaurice  le 16 avril 1926.

Ci-dessus: Romola de Henry King le 6 mai 1926.

Une heureuse initiative est prise en cette rentrée de septembre 1926 : l’orchestre de 50 musiciens de Paul Fosse, auparavant dissimulé dans la fosse d’orchestre, est dorénavant visible sur des gradins disposés sur la scène. Un ascenseur sur lequel sont élevés à la vue du public l’organiste Arthur Flagel et son instrument, est également aménagé. Cette installation mise en place au Capitol de New-York est découverte par les spectateurs parisiens à partir du 3 septembre 1926, à l’occasion de la sortie du film Les Cadets de la mer de Christy Cabanne avec Ramon Novarro.

En 1927, la rumeur de l’interdiction au Gaumont-Palace et partout en France de la projection du film La Grande parade de King Vidor est relayée par un journal communiste de la région lyonnaise. La Gaumont-Metro-Goldwyn communique dans de nombreux quotidiens : « Nous démentons formellement l’interdiction de la Grande Parade qui vient de faire au Gaumont-Palace, 650 000 francs de recettes en quatorze jours (du 11 au 24 mars 1927). Tous les établissements de Paris passent cette semaine ce film ». La Gaumont-Metro-Goldwyn ajoute même que le commissaire de Police est venu assister avec sa famille à une projection du film avec quelques 4 000 spectateurs enthousiastes. Le film sera repris la semaine du 13 mai 1927.

Ci-dessus: Le Dernier Round de Buster Keaton le 27 mai 1927.

Ci-dessus: La Grande Parade de King Vidor le 11 mars 1927.

Chaque semaine, les stars de la M.G.M. – Norma Shearer, Ramon Novarro, Renée Adorée, Lon Chaney, Greta Garbo, Joan Crawford, John Gilbert ou Buster Keaton – sont à l’affiche du Gaumont-Palace et émerveillent son public. La vaste salle de la place Clichy accueille d’ailleurs des galas nocturnes à l’instar de celui de la nuit du 19 au 20 septembre 1927 en l’honneur de la Légion Américaine. Les plus grandes vedettes du théâtre et du music-hall apportent leur concours à ces manifestations auxquelles assistent un grand nombre de personnalités de la politique, des lettres et des arts.

Dirigé par Lucien Doublon, le Gaumont-Palace  annonce dans son programme du 18 novembre 1927 « une révolution au cinéma grâce à l’Amplivisieur ». Dans son édition du même jour, le journaliste Félicien Faillet commente dans L’Homme libre cette innovation : « au cours de la projection, une vaste toile translucide, occupant toute la scène (c’est-à-dire, de surface trois ou quatre fois plus grande que celle de l’écran normal) se déploie rapidement et sans transition, la projection se poursuit monstrueusement agrandie (…) Cet agrandissement démesuré entraîne un léger flou qui ouvre le champ à bon nombre d’applications assez curieuses ». Déjà les critiques, comme elles le feront lors de l’apparition du Cinemascope ou du Cinérama, opposent technique et art.

Napoléon d’Abel Gance au Gaumont-Palace.

Après une première série de représentions à l’Opéra de Paris, Napoléon d’Abel Gance entame une exclusivité au Marivaux sur les Grands boulevards. Distribué par la Gaumont-Metro-Goldwyn, le film arrive au Gaumont-Palace le 22 mars 1928. Albert Dieudonné, l’interprète du rôle-titre, consent à venir pendant quelques représentations discuter avec le public à propos de son personnage. Face à l’enthousiasme du public, la direction des Etablissements Loew-Metro demande à l’acteur de présenter son film au Forum à Liège et à l’Olympia de Bordeaux. La question demeure sur la version du film présentée durant dix représentations l’Opéra de Paris et celle présentée en deux époques, que beaucoup disent tronquée, au Marivaux et au Gaumont-Palace.

Ci-dessus: programme avec Napoléon d’Abel Gance à l’affiche le 22 mars 1928.

Ci-dessus: La Croisière du Navigator de Donald Crisp et Buster Keaton le 6 juillet 1928.

Ci-dessus: La Chair et le Diable de Clarence Brown le 30 novembre 1928.

Ci-dessus: Ben-Hur de Fred Niblo le 12 octobre 1928.

Durant ces années 1920, le cinéma et la musique célèbrent  leurs noces au Gaumont-Palace comme le relate L’Intransigeant du 25 février 1928 qui évoque le violoniste Enoch Light et le compositeur et chef d’orchestre Paul Fosse : « Enoch Light tient à sa disposition une dizaine de virtuoses américains (…) Il représente la mode aujourd’hui. Son répertoire, essentiellement américain, fait peu de concessions aux autres pays. Enoch Light est un incomparable animateur qui fait un spectacle complet d’un air de Jazz ». De son côté Paul Fosse « peut compter sur le dévouement de 50 instrumentistes bien Français (…) Son répertoire est nettement international ». Et oui, durant les Années folles le Gaumont-Palace swingue au grand plaisir de ses spectateurs !

Quand Ben-Hur de Fred Niblo arrive sur l’écran du Gaumont-Palace le 12 octobre 1928, il a déjà enregistré 612 137 spectateurs au Madeleine-Cinéma au cours de 1 087 représentations qui représentent la coquette recette de 11 939 595, 20 Francs. Le film triomphe sur l’écran de la place Clichy et se maintient, phénomène inédit jusque-là, six semaines à l’affiche. Il est repris le 5 juillet 1929 durant 15 jours.

Ci-dessus: Anna Karénine d’Edmund Goulding la semaine du 1er mars 1929. 

Steve Passeur dans Le Crapouillot du 1er mars 1929 démonte le film de King Vidor La Foule à l’affiche du Gaumont-Palace le 11 janvier 1929 : « Par ses maladresses, par le manque de goût du metteur en scène, par sa vulgarité, cette production atteint par moment un pathétique. La Foule n’a pas eu de chance chez nous. Elle a été présentée dans le cinéma le plus idiot de Paris : le Gaumont-Palace ». Déjà en 1929, les critiques opposent cinéma populaire et cinéma d’avant-garde.

Le Président du Conseil retenu à la chambre et le ministre de la Guerre n’ont pu accompagner Mme Poincaré à la séance de gala donnée au Gaumont-Palace à l’occasion de la présentation de Verdun, visions d’histoire de Léon Poirier. Le quotidien Paris-Soir du 23 mars 1929 revient sur l’événement : « L’arrivée de Monsieur Léon Poirier a donné lieu dans le public à des mouvements de respectueuse sympathie (…) Vivement impressionnée par un magnifique prologue scénique précédé d’un appel de trompettes et du chant des chasseurs : la Sidi-Brahim repris en chœur par toute l’assistance et par la vision du film, Mme Poincaré a tenu à l’entracte, à féliciter le réalisateur et à remercier les organisateurs de cette inoubliable soirée ». Fort du succès de son exploitation la semaine du 15 avril 1929, le Gaumont-Palace annonce que le film de Léon Poirier est prolongé d’une semaine supplémentaire. Verdun, visions d’histoire rencontre un considérable succès.

L’arrivée du cinéma sonore.

Lors de la saison 1928-1929, seules trois salles parisiennes sont équipées d’appareils de projection sonores : le Paramount, l’Aubert-Palace et le Madeleine. Puis en septembre 1929,  de nombreuses salles parisiennes s’équipent avec le matériel Western-Electric à l’instar du circuit Aubert-Franco-Film-Gaumont avec le Caméo (650 places), l’Artistic (1 200 places), le Montrouge et le Convention (2 200 places), le Saint-Paul, le Tivoli et le Marcadet (2000 places) et évidemment le Gaumont-Palace (6 000 places).

A la fin du mois d’août 1929, les journalistes assistent au Gaumont-Palace à la démonstration des plus récents modèles de Western-Electric. Pierre Ramelot de L’Intransigeant commente la visite qu’il a pu faire en date du 31 juillet 1929 : « La sonorisation d’un établissement de spectacle aussi important que le Gaumont-Palace nécessite un travail considérable (…) Pour les films muets, la cabine (placée derrière l’écran) comprenait trois appareils normaux de projection et quatre projecteurs de scène. Les quatre projecteurs ont disparu pour faire place à deux appareils sonores de la Western qui constituent à l’heure actuelle, l’agencement le plus complet du genre (…) Derrière l’écran se trouve les trois haut-parleurs à double membrane qui sont mobiles ce qui permet leur déplacement immédiat au moment des attractions (…) On sait que 52 mètres séparent au Gaumont-Palace, la cabine de l’écran (rappelons que la projection est faite par transparence). Un point reste à éclaircir, savoir si l’acoustique de la salle est suffisante pour la diffusion du son et de la voix ».

Pour la sortie du film La Chanson de Paris, le Gaumont-Palace annonce que « pour satisfaire les spectateurs impatients de voir et d’entendre Maurice Chevalier dans son premier film parlant, la direction du Gaumont-Palace a décidé de donner, avec le même programme, deux matinées bien distinctes les dimanches et jours fériés, la première à 14 heures et la seconde à 16h45 ». Le film qui connaît une première exclusivité triomphale au Paramount est à l’affiche durant trois semaines au Gaumont-Palace à partir du 4 octobre 1929.

Ci-dessus: Le Mari déchaîné de Wheeler Dryden et Jess Robbins le 14 juin 1929.

Ci-dessus: La Bataille de Édouard-Émile Violet et Sessue Hayakawa le 30 août 1929.

Ci-dessus: Le Dernier des hommes de F.W. Murnau le 23 août 1929.

La rudesse de l’hiver 1928-1929 incite M. Freeman, le directeur du Gaumont-Palace, à ouvrir les sous-sols du cinéma et à y installer un vestiaire pour les nécessiteux qui se procurent vêtements et nourriture. Les « malheureux » sont bientôt accueillis dans les immenses sous-sols du cinéma, ceux-là même qui servirent d’abri pendant la Grande Guerre, qu’un communiqué relate : « ces dépendances sont complètement isolées de la salle de spectacle : elles seront chauffées nuit et jour et une entrée indépendante permettra aux malheureux d’y accéder sans avoir besoin de décliner leur identité. Dès 8 heures du soir, l’entrée de ce dortoir improvisé sera ouverte à tous et à toutes. Les sans-logis pourront y rester jusqu’au lendemain matin 8 heures et tant que la température demeurera rigoureuse. Avant leur départ nos hôtes seront ravitaillés par une bonne soupe gratuitement offerte (…) Je vous serai très reconnaissant de bien vouloir transmettre notre proposition à M. le Préfet de Police qui n’hésitera pas (…) à collaborer de tout son cœur à notre initiative ». Surveillée toute la nuit par la police, les sous-sols seront utilisés jusqu’au printemps 1929.

Le film sonore et parlant ne rencontre pas de succès populaire immédiat. Grâce au Gaumont-Palace qui affiche la nouvelle technologie à partir du 19 juillet 1929, le public, rassuré par le maintien du grand orchestre, consacre le parlant comme le souligne L’Œuvre en date du 28 juin 1929 : « les amateurs de musique seront néanmoins satisfaits en apprenant que l’orchestre du Gaumont-Palace, dirigé par G. Bailly, continuera à donner à ses auditeurs ses grandes exécutions symphoniques ».

Le 31 janvier 1930 est affiché en seconde exclusivité le film français « sonore, parlant et chantant » Le Collier de la Reine de Gaston Ravel et Tony Lekain. Des films muets continuent d’être projetés à l’instar des Quatre Diables de Friedrich Wilhelm Murnau le 28 mars 1930 ou Les Damnés du cœur, le dernier film muet de Cecil B. DeMille à l’affiche le 25 avril 1930.

La démolition du Gaumont-Palace, version Hippodrome.

La crise économique de la fin des années 1920 favorise des prises de contrôle d’entreprises en difficulté. C’est ainsi que fusionnent, le 12 juin 1930, les sociétés Aubert-Franco-Film avec Gaumont et Continsouza, une société spécialisée dans la fabrication d’appareils photographiques, de prise de vue et de projection – créée par l’industriel  Pierre-Victor Continsouza, qui donne naissance à la Gaumont-Franco-Film-Aubert (GFFA).

Ci-dessus: démolition du Gaumont-Palace en juillet 1930.

Film muet avec musiques et effets sonores, Le Masque de fer d’Allan Dwan avec Douglas Fairbanks dans le rôle de d’Artagnan est le dernier film projeté du 23 mai au 1er juin 1930 au Gaumont-Palace dans sa version Hippodrome. La Gaumont-Franco-Film-Aubert décide d’entreprendre une transformation radicale du site pour une somme d’environ 30 millions de frs. La qualité de visibilité et d’acoustique, les dégagements pratiques, l’aération, le confort et la sécurité sont les points majeurs du projet de reconstruction de la salle dont la démolition, entamée le 5 juin 1930, est achevée le 15 juillet. Au moment de la fermeture, la publicité annonce que « grâce à Gaumont-Franco-Film-Aubert, la France possédera la plus grande salle du monde, record enviable dans l’industrie cinématographique »

Episode précédent: les origines (1900-1919).

Episode suivant: la métamorphose (1931).

Texte: Thierry Béné.
Documents: Gallica BnF, La Cinématographie française, Gaumont, Ciné-Journal.