Celles et ceux qui sont allés au moins une fois au cinéma Balzac, un des derniers cinémas indépendants de l’avenue des Champs-Élysées, ne peuvent oublier son chaleureux directeur, Jean-Jacques Schpoliansky. Enfant de la balle, il anime avec fougue et passion son attachant cinéma. Jean-Jacques Schpoliansky a une façon très personnelle d’envisager la salle de cinéma, un lieu « comme un salon littéraire où l’on parle et où on envisage l’évolution de la société ».

En plus d’avoir une programmation pointue, le Balzac accueille de nombreux événements, dont le Ciné-Concert qui permet de découvrir les grands films du répertoire muet avec un accompagnement musical en direct.

Pour ses 40 ans à la tête du Balzac, Jean-Jacques Schpoliansky s’est confié à Salles-cinema.com.

Rencontre avec Jean-Jacques Schpoliansky, directeur du cinéma Le Balzac.

Vous être célèbre pour l’énergie que vous insufflez dans votre cinéma…

Le Balzac possède une atmosphère particulière: j’ai envie d’y donner le meilleur de moi-même. C’est une des raisons pour laquelle, depuis 25 ans, je présente à de nombreuses séances les futurs programmations et événements qui se dérouleront au Balzac. Outre l’équipe du Balzac, nous sommes peu à faire tourner la boutique: mon programmateur qui, depuis 1980, s’évertue à trouver des films de qualité et Virginie Champion à qui je dois beaucoup qui s’occupe brillamment de toute l’organisation et la communication. Quant à mon rôle au Balzac, il est d’animer continuellement ce lieu exceptionnel à deux pas des Champs-Élysées.

Au Balzac, voir un film est un vrai spectacle!

Je veux de l’exceptionnel au quotidien, tant dans le choix des films que celui des animations. Et ça marche! Désormais, nous sommes sollicités pour accueillir des musiciens, des artistes, des passionnés de cinéma dans nos soirées spéciales. Grâce à l’énergie que nous y mettons, grâce aussi à nos outil de combat que sont notre communication et notre site internet, le Balzac est un cinéma vraiment différent des autres.

Je considère que le cinéma ne doit pas être une usine à films. Il doit être un lieu d’échange où les spectateurs vivent des émotions ensemble, rencontrent des professionnels et des artistes. Le cinéma doit absolument retrouver une relation avec son public. Je me réfère souvent aux salons littéraires du 17ème et du 18ème siècle: c’est dans ces lieux où la parole était libérée qu’a été pensée la Révolution Française. Le cinéma a aussi son rôle à jouer et doit participer à l’évolution de notre société du 21ème siècle. Le Balzac est une sorte de club avec sa force du lien social.

On vous considère souvent comme le fer de lance des cinémas indépendants.

C’est vrai que je suis souvent sollicité par les médias sur des questions propres aux cinémas indépendants et, de fait, perçu comme un ambassadeur de la profession. Mais j’agis de façon plutôt isolée, hors des structures en place.

L’année dernière, j’avais poussé un coup de gueule et avais fermé le Balzac une semaine, j’avais été suivi par le cinéma Elysées-Lincoln. Être indépendant n’est pas de tout repos, surtout que le Balzac doit pouvoir avoir l’exclusivité d’un film sur les Champs-Élysées. J’avais déjà protesté dans les années 1990 quand des distributeurs me retiraient un film pour qu’il soit projeté dans des salles appartenant à de grands réseaux.

Le jeune public qui fréquente les cinémas indépendants est-il l’avenir du cinéma?

La jeunesse continue à aller au cinéma qui reste un lieu où elle peut s’échapper et se retrouver. Elle fréquente par contre massivement les multiplexes. Est-ce que cela forme une génération de cinéphiles? Je pense que ce n’est pas suffisant.

Je ne crois pas au jeune qui, par l’opération du Saint-Esprit, découvrirait seul les films d’auteur dans une salle Art et Essai. La société a son rôle à jouer, que ce soit au niveau du parent, du grand-parent ou du professeur. C’est par ce maillon qu’une culture cinéphile est forgée. Je suis moi-même président d’une association, les Cinémas Indépendants Parisiens, qui regroupe 32 salles et 103 écrans et qui propose à 100.000 élèves par an des séances exceptionnelles. On y créé un lien entre le cinéma et ces jeunes spectateurs. Il faut continuer et renforcer ces actions.

Les Champs-Élysées sont-ils encore l’avenue du cinéma?

C’est un peu moins l’avenue du cinéma qu’avant. Parce que vous aviez dans les années 1970 près de 65 écrans. Ils sont aujourd’hui au nombre de 35 répartis en 7 complexes seulement. Le Comité des Champs-Élysées a bien compris qu’une variété de commerces est indispensable sur les Champs-Élysées, en particulier les cinémas. L’organisation m’a ainsi coopté pour faire partie du comité directeur car mes animations les intéressent. Il faut absolument retrouver une ambiance de proximité, les cinémas étant justement proches des gens.

Les Champs-Élysées sont un peu mon village! Tous les acteurs du quartier doivent affirmer haut et fort nos points différenciant. Et la culture doit absolument y subsister. Jean-Michel Ribes, le directeur du théâtre du Rond-Point situé à l’opposé du Balzac, a une formule que j’aime bien: « Avec le Balzac en haut et le Rond-Point en bas, la culture prend les Champs-Élysées en tenaille! »

Ci-dessus: depuis 25 ans, Jean-Jacques Schpoliansky présente régulièrement les futures animations et les programmes. C’est l’occasion pour le directeur du cinéma de « créer ce lien nécessaire et chaleureux » entre le public et le lieu.

Vous êtes tombé dans le cinéma depuis tout petit…

J’appartiens effectivement à une famille de propriétaires de salles de cinéma. Mon grand-père ouvre le Balzac, son premier cinéma, en 1935. Quatre ans plus tard, il inaugure le Triomphe, sur l’avenue des Champs-Élysées. Puis il ouvre le Latin, situé boulevard Saint-Michel et enfin l’Auto, ce cinéma était au sein du Palais Berlitz sur les grands boulevards (qui deviendra le Berlitz aujourd’hui Pathé Opéra Premier, ndlr). La guerre a interrompu les activités familiale: après la fuite dans le sud de la France, mon grand-père n’a pu récupérer que le Triomphe et le Balzac.

Le garçon en culottes courtes que vous étiez en a du voir des films!

J’ai des souvenirs, bien sûr, d’en avoir vu un certain nombre dont Jour de fête ( Jacques Tati, 1949) et Les Vacances de M. Hulot (1953). Mon père m’a filmé avec une caméra amateur où on me voir faire le pitre devant les affiches des films de Jacques Tati projetés au Balzac.

En revanche, ce n’est pas pour cette raison que j’ai été tenté par le cinéma. Élève peu studieux mais par contre très sportif, je pratiquais le rugby et le judo. A l’âge de 20 ans, j’ai eu un grave accident de voiture qui m’a obligé à rester alité pendant une année, le temps de réfléchir à mon destin et d’envisager ensuite mon avenir professionnel.

Vous débutez alors chez UGC.

Ce circuit n’avait pas sa dimension actuelle. Jusqu’en 1971 et lorsque j’y suis entré, UGC était une société d’économie mixte. Je devais m’occuper de la programmation des films en milieu universitaire et avais également la charge de mettre en valeur les cinémas UGC lors des inaugurations de ses nouvelles salles. C’est là que j’ai développé un sens de l’animation et que j’ai envisagé l’aspect festif au cinéma. En 1969, je dirigeais les trois cinémas du réseau UGC à Tours: le Majestic, le Palace et le Cyrano.

C’est grâce à Serge Silbermann, grand producteur de cinéma, que j’ai eu la chance de fréquenter les plateaux de cinéma. Il m’a proposé le poste de régisseur-adjoint sur deux de ses productions, et non des moindres: Le Charme discret de la bourgeoisie (1972) de Luis Buñuel et La Course du lièvre à travers les champs (1972) de René Clément.

A 29 ans seulement, vous devenez le directeur du Balzac.

Mon père avait vendu en 1971 le Triomphe afin de payer les droits de succession de ma grand-mère. Deux ans plus tard, le 14 février 1973, le décès de mon père m’amène à la tête du Balzac. La situation est critique lorsque je reprends le cinéma: il possède une salle unique et pas de films. Quatre puissants circuits exercent alors une concurrence farouche face au petit acteur que je suis: Gaumont, Pathé, UGC et le réseau Parafrance, aujourd’hui disparu.

Mon premier soucis fut de faire bouger les choses au Balzac. A l’ère des complexes multisalles, il possédait une salle unique et un hall immense de 200 m2, à la magnifique décoration Art-Déco. Mais en ces années-là, le maintenir en mono-salle assurait sa fermeture inéluctable. J’y ai donc ouvert en 1974-75, grâce au travaux d’un astucieux architecte, deux salles supplémentaires occupant une partie de l’ancien hall et l’ancien bureau de mon grand-père.

En cette année 2013, je fête ainsi mes 40 ans à la tête du Balzac!

Ci-dessus: Jean-Jacques Schpoliansky possède des documents exceptionnels sur le Balzac, cinéma créé par son grand-père en 1935. Le hall majestueux et la salle du cinéma étaient, avant sa transformation en 1974, un bijou de l’Art Déco.

Ci-dessus: la façade du Balzac l’année de son ouverture. A l’affiche, Boucles d’Or (Irving Cummings, 1935) avec Shirley Temple.

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Nous apprenons le 9 février 2024 la disparition de Jean-Jacques Schpoliansky.