Adresse: 107 boulevard Murat à Paris (XVIè arrondissement)
Nombre de salles: 1
Quelques mois avant la déclaration de la guerre, le projet de construction d’une nouvelle salle de cinéma est à l’étude par la société Le Murat qui décide, dès 1938, de l’ériger dans le quartier de la porte de Saint-Cloud. Alors que les travaux sont largement commencés, la guerre met en arrêt le chantier qui subit des destructions.
Quelques années après la Libération la reconstruction confiée à l’architecte Robert Depaux est décidée. Alors que le projet d’avant-guerre prévoyait 1500 fauteuils, la capacité atteint désormais 1800 fauteuils.
La nouvelle salle est inaugurée le mardi 21 décembre 1948 avec, en première mondiale, la projection de dernier opus de Bourvil Le Cœur sur la main. Quelques mois plus tard, le 1er juillet 1949, la comédie d’André Berthomieu sort en exclusivité au Gaumont Palace et au Rex.
Ci-dessus: la salle en 1948.
La revue La Cinématographie française revient dans son numéro du 14 mai 1949 sur l’ouverture de ce nouveau cinéma du XVIè arrondissement parisien : « Quoique étant une salle de quartier le Murat rivalise en installation, en beauté, en éclairage, en confort, avec les plus grandes salles centrales. L’orchestre de 1250 places est situé sur un plan courbe qui assure à chaque spectateur une visibilité absolue ; il est desservi par deux très grandes galeries situées de part et d’autre de la salle et convergeant toutes deux vers un hall aux vastes proportions. Il dispose en outre de deux sorties de secours. On accède au balcon de 550 places par un très large escalier central qui a son départ au milieu du hall, et qui en cours de montée, se partage en deux pour aboutir bientôt au point bas et au point central du balcon. Cet escalier dessert au passage un très spacieux foyer ».
Dans cette période d’après-guerre, les restrictions d’électricité, qui peuvent atteindre 30%, sont toujours d’actualité : c’est dans ce contexte qu’est inauguré Le Murat. L’interdiction vise en particulier les enseignes lumineuses extérieures à caractère publicitaire ainsi que celles placées dans les halls d’entrées des salles de spectacles et des cinémas. Le C.N.C invite les exploitants à respecter les consignes, toute infraction étant fortement pénalisée – une amende de 5 à 20 francs par kilowatt-heure de dépassement – qui peut entraîner une coupure de courant en cas de récidive.
Le Murat est inauguré à une période qui voit une baisse de la fréquentation des salles de cinéma. Le C.N.C. indique qu’en 1947, les cinémas enregistrent en France 419,7 millions de spectateurs. L’année suivante, ils comptabilisent 399,2 millions. En 1949, 387,6 millions ; en 1950, 370,7 millions ; en 1951, 372,3 millions ; en 1952, 356 millions ; en 1953, 368,9 millions et enfin en 1954, 382 millions.
Salle de quartier par excellence, le Murat propose chaque semaine un nouveau film en sortie générale, c’est-à-dire après sa sortie dans une salle d’exclusivité des Champs-Elysées ou des Grands boulevards. A cette période, de nombreuses productions américaines, interdites de diffusion sous l’Occupation, reviennent sur les écrans grâce aux accords Blum-Byrnes signé le 26 mai 1946.
Ci-dessus: Dernier refuge de Marc Maurette à l’affiche le 11 février 1949.
Le Murat programme ainsi Appelez Nord 777 de Henry Hathaway avec James Stewart à l’affiche en version originale la semaine du 7 janvier 1949, Dieu est mort de John Ford avec Henry Fonda et Dolores Del Rio celle du 28 février 1949, La Fière Créole de John M Stahl avec Rex Harrison et Maureen O’Hara le 25 février 1949, Capitaine de Castille de Henry King avec Tyrone Power le 30 mars 1949 ou bien Pour qui sonne le glas de Sam Wood avec Gary Cooper et Ingrid Bergman le 22 juin 1949.
Dès le début de l’année 1950, le Murat propose des productions principalement hexagonales à l’instar, entre autres, de Ronde de nuit de François Campaux la semaine du 22 février 1950 ou du prix Louis Delluc 1949 Rendez-vous de juillet de Jacques Becker avec Daniel Gélin et Brigitte Auber le 29 mars 1950.
Suivent La Valse de Paris de Marcel Achard avec Yvonne Printemps et Pierre Fresnay le 4 octobre 1950, La Beauté du Diable de René Clair avec Gérard Philipe et Michel Simon le 1er novembre 1950, Orphée de Jean Cocteau avec Jean Marais, Marie Déa, Maria Casarès et François Perier le 17 janvier 1951, le grand succès Caroline chérie de Richard Pottier avec Martine Carol le 3 octobre 1951, L’Auberge rouge de Claude Autant-Lara avec Fernandel le 23 janvier 1952, Fanfan la Tulipe de Christian-Jaque avec Gérard Philipe le 14 mai 1952, Les Belles de nuit de René Clair le 8 avril 1953, Le Salaire de la peur d’Henri-Georges Clouzot avec Yves Montand le 14 octobre 1953 ou bien Si Versailles m’était conté… de Sacha Guitry le 28 avril 1954.
Quelques films venus des studios hollywoodiens complètent la programmation comme, en particulier, des films des studios Disney : Cendrillon la semaine du 11 avril 1951 ou Alice au pays des merveilles celle du 9 avril 1952.
Pour pallier la baisse de la fréquentation et la concurrence de la télévision qui s’installe dans les foyers, l’industrie du cinéma développe l’écran large. C’est le 18 mai 1955 pour que les Parisiens découvrent le Cinérama dans la salle de l’Empire au moment où le CinemaScope s’installe deux ans plus tôt, dès le 4 décembre 1953, au Rex et au Normandie. Quant au Cinépanoramic, il est rapidement mis en place dans beaucoup de salles.
Ci-dessus: Sait-on jamais de Roger Vadim le 9 octobre 1957.
Après des travaux de transformation, le Murat propose son premier film le 24 novembre 1954 au format CinemaScope : Prince Vaillant de Henry Hathaway. Suivent des romances, des westerns ou des films d’aventure dans ce format comme Rivière sans retour d’Otto Preminger et Jean Negulesco le 22 décembre 1954, La Fontaine des amours de Jean Negulesco le 5 janvier 1955, Le Jardin du diable de Henry Hathaway le 16 mars 1955 ou 20.000 lieues sous les mers de Richard Fleischer le 21 décembre 1955. Viennent ensuite La Belle et le Clochard des studios Disney le 28 mars 1956, 7 ans de réflexion de Billy Wilder le 16 mai 1956 ou encore le phénomène Brigitte Bardot dans Et Dieu… créa la femme de Roger Vadim le 15 mai 1957. Même si les films à l’affiche sont des grands succès du cinéma, ils ne restent au programme du Murat qu’une semaine seulement.
A la fin de l’année 1959, le préfet de Police de Paris adresse une lettre au Syndicat Français des directeurs de salles de cinéma concernant la diffusion de bande-annonce de films interdits au moins de 16 et 18 ans. Il s’agit de rappeler la place de celles-ci dans des séances tout public : « J’ai l’honneur de vous rappeler les dispositions des décrets des 3 juillet 1945 et 13 avril 1950 qui stipulent que les bande-annonce de films doivent recevoir un visa indépendant de celui accordé au film auquel elles servent de publicité. Selon la nature du visa obtenu, ces bandes peuvent être projetées soit au cours d’un programme ouvert à tout public, soit seulement au cours d’un spectacle interdit aux mineurs de 16 ans. Dans les deux cas, la bande doit rappeler la mention d’interdiction ». Ce rappel concerne davantage les salles de quartier comme le Murat qui changent de programme chaque semaine.
Ci-dessus: Le Pigeon de Mario Monicelli le 30 décembre 1959.
Ci-dessus: Le Murat avec à l’affiche le 13 janvier 1960 Trois de Saint-Cyr de Jean-Paul Paulin.
Les années 1960 sont entamées, le Murat projette sur son écran Hiroshima, mon amour d’Alain Resnais avec Emmanuelle Riva la semaine du 20 janvier 1960, La Chatte sort ses griffes – la suite de La Chatte sorti deux ans plus tôt – de Henri Decoin avec la sexy Françoise Arnoul le 27 avril 1960, Austerlitz d’Abel Gance le 15 février 1961, Tirez sur le pianiste de François Truffaut le 3 mai 1961, La Vérité de Henri-Georges Clouzot le 28 juin 1961 ou encore Ben-Hur de William Wyler le 28 décembre 1961 pour trois semaines. Pour son péplum, la Metro-Goldwyn-Mayer contractualise une durée de 21 jours d’exploitation minimum.
Cette exception ne l’est pas pour Le Bossu d’André Hunebelle ou pour Les Liaisons dangereuses 1960 de Roger Vadim, sortis respectivement les 6 avril et 23 mars 1960: malgré quelques 10 000 entrées chacun pendant leur semaine au Murat, ils ne sont pas prolongés et sont même suivis de films au rendement médiocre.
Ci-dessus: Ben-Hur de William Wyler du 28 décembre 1961 au 17 janvier 1962.
A l’automne 1962, la France recense 118 salles équipées au format 70 mm. Les 43 salles équipées à Paris se répartissent ainsi : 26 salles de première et de seconde exclusivité, douze cinémas de quartier – dont le Murat, le Delta, la Fauvette, le Marcadet et le Palais Avron – et cinq salles diverses parmi lesquelles les salles de vision. Comme le souligne Le Film français du 26 octobre 1962, « Il ne s’agit que d’un début. Il est bien évident que l’extension de la production 70 mm sera automatiquement suivie par celle des salles équipées pour projeter les films en couleurs et à grand spectacle réalisés sur pellicule large, les seuls avec lesquels la télévision ne pourra jamais rivaliser ».
Ci-dessus: Fureur à l’ouest d’Oscar Rudolph en exclusivité la semaine du 31 juillet 1963.
Ci-dessus: Le Jour le plus long de Darryl F. Zanuck, Ken Annakin, Andrew Marton, Bernhard Wicki et Gerd Oswald à l’affiche du 9 au 29 octobre 1963.
Ci-dessus: Allez France ! de Robert Dhéry pour les fêtes de Noël 1963.
Le format 70 mm installé, le Murat programme Ben-Hur le 28 décembre 1961, La Fayette de Jean Dréville le 20 juin 1962, Le Cid d’Anthony Mann le 5 septembre 1962, Les 55 jours de Pékin de Nicholas Ray le 18 décembre 1963, Le Cardinal d’Otto Preminger le 4 mars 1964, La Tulipe noire de Christian-Jaque le 27 mai 1964, Un Monde fou, fou, fou, fou de Stanley Kramer le 25 novembre 1964, Lord Jim de Richard Brooks le 8 décembre 1965, Ces merveilleux fous volants dans leur drôles de machines de Ken Annakin le 22 décembre 1965, La Mélodie du bonheur de Robert Wise le 4 mai 1966 ou L’Extase et l’Agonie de Carol Reed le 29 juin 1966.
Le reste de la programmation est constitué des grands succès du moment dont Fantômas d’André Hunebelle avec Jean Marais et Louis de Funès le 3 février 1965, Le Corniaud de Gérard Oury avec Louis de Funès et Bourvil le 1er septembre 1965, Les Grandes gueules de Robert Enrico le 12 janvier 1966 ou bien le nouveau 007 Opération Tonnerre de Terence Young le 6 avril 1966.
Malgré de bons rendements et à peine majeur – 18 années d’exploitation seulement – l’aventure du Murat prend fin le 26 juillet 1966, après une dernière projection de La Longue Marche d’Alexandre Astruc avec Maurice Ronet, Jean-Louis Trintignant et Robert Hossein.
L’enseigne Les 3 Murat orne quelques années plus tard, en 1972, le fronton de l’ancien cinéma Porte de Saint-Cloud Palace.
Textes Thierry Béné.
Documents: La Cinématographie française, Le Film français, Gallica-BnF, France-Soir.
J’aime; merci pour cette belle documentation !