Suite de nos interviews avec l’ancien journaliste Claude Guilhem qui, dans un précédent article publié sur Salles-cinéma.com, évoquait ses souvenirs des salles obscures de Toulouse, sa ville natale.

Aujourd’hui, Claude Guilhem, en amoureux du 7ème Art, revient sur le mythique Gaumont-Palace de la Place Clichy à Paris. Rappelons que ce cinéma, logé dans un ancien hippodrome construit en 1899 et situé au croisement du boulevard de Clichy et de la rue Caulaincourt, fut le plus grand d’Europe. Reconverti en 1911 en cinéma par Léon Gaumont, son unique salle atteignit une capacité record de 6000 fauteuils.

C’est en 1953 que le Gaumont-Palace est équipé d’un écran large de 24 mètres de base sur 13,50 mètres de haut, ainsi que d’un système stéréo à lecture magnétique. Cet écran fut le plus grand, avant et après la période Cinérama (1962 à 1967 près de 600 m2), avec une surface de 324 mètres carrés !

Face à la difficulté de remplir cette vaste salle, Gaumont ferma son navire amiral en 1973. Il fut aussitôt rasé dans une quasi indifférence.

Claude Guilhem se rappelle les dernières années du « plus grand cinéma d’Europe ».

Rencontre avec Claude Guilhem, ancien journaliste de radio et télévision.

Quand avez-vous fréquenté le Gaumont-Palace?

C’est en 1967 que j’ai vraiment connu le Gaumont-Palace de la place Clichy, soit cinq ans seulement avant sa fermeture. A l’époque, même s’il impressionnait toujours autant par son volume, on le percevait comme un théâtre vieillissant, chaque séance procurant l’effet d’une plongée hors du temps.

On avait l’impression de découvrir les vestiges figés d’une époque révolue et certains spectateurs, sans doute des habitués un peu nostalgiques ou tout simplement des curieux, se promenaient en parcourant du regard l’immense salle, apparemment davantage par intérêt pour ce bâtiment symbole du 7ème Art, que pour les films au programme.

Je revois encore dans l’ancienne cabine du haut une plaque en fonte noire estampillée: « ELGE ». L’anecdote est aujourd’hui oubliée, mais aux origines les initiales de Léon Gaumont  – donc « L.G. » –  figuraient au centre de la marguerite. A force d’entendre énoncer ces deux lettres on prit un temps l’habitude d’imprimer leur prononciation populaire. Voilà pourquoi on trouve sur de très anciens logos, au cœur de la fleur « mythique »  le sigle « ELGE », à la place du « G » aujourd’hui plus que centenaire.

Mais à la fin des années soixante, les milliers de fauteuils chromés ne seraient plus jamais entièrement occupés c’était une évidence. Cela n’augurait rien de bon et faisait un peu mal au cœur. Contrairement à l’autre palace parisien Grand Rex, le Gaumont-Palace n’avait dans son architecture rien d’un monument historique. Son décor était fade et froid et son personnel d’accueil ne réchauffait pas l’atmosphère… Bref rien qui permette de lui prévoir un bel avenir.

Alors que sa fin était proche, une mobilisation s’est-elle mise en place?

Nombreux sont ceux , et pas des moindres (je pense à mon confrère Yves Mourousi , alors à France-Inter) qui ont tout fait pour sensibiliser le public et l’inviter à défendre ce lieu très populaire en y réalisant des émissions spéciales, en produisant des spectacles en tous genres sur sa mythique scène, et à l’extérieur dans Paris.

On entendit des « déclarations d’amour » s’élever dans la presse et le monde du spectacle, certains hommes politiques rejoignirent également la mobilisation. Mais le glas avait déjà sonné ; dans ce genre de situation la finance l’emporte largement sur le sentiment.

Comment analysez-vous les raisons de cette fermeture radicale par Gaumont?

Il faut admettre que les conditions de projection du Gaumont-Palace laissaient à l’époque quelque peu à désirer. La lumière diffusée par les lanternes à arc puis les lampes au xénon sur son si vaste écran, paraissait faible par comparaison avec la projection dans les  nouvelles salles aux proportions bien plus réduites  De plus l’acoustique d’un tel espace aux trois quarts vide générait des effets réverbérants parasites parfois gênants.

Un projectionniste à qui j’en faisais la remarque s’exclama: « si vous l’aviez connu transformé en Cinérama avec l’écran courbe de 38,50 m. de base sur 15 de haut devant des milliers de spectateurs, vous auriez été d’un autre avis ! ». Je pense qu’il avait raison, mais ce n’était plus de saison.

La firme à la marguerite* se délesta ainsi d’un poids en le vendant presque en catimini. Grâce à ce nouveau capital l’exploitant pu engager la modernisation de ses autres salles notamment en province , mais la France avait perdu son « plus grand cinéma d’Europe ».

* Certains ignorent peut-être pourquoi depuis l’origine le logotype de la société représente une marguerite (dont le graphisme a souvent évolué avec les modes), Léon Gaumont en 1903 voulut ainsi rendre hommage à sa mère Marguerite Dupanloup , épouse Gaumont, qui portait le prénom de sa fleur préférée.

Voir l’article sur le Gaumont-Palace de Paris

Dossier: « Il était une fois le Gaumont-Palace »

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Remerciements: M. Claude Guilhem.
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