Adresse: 99 rue Saint-Dominique à Paris (VIIè arrondissement)
Nombre de salles: 1

« Cette salle de 600 places est un véritable bijou de confort et de bon goût ». C’est par ces termes que le magazine La Cinématographie française annonce l’ouverture le 5 juillet 1935 d’une nouvelle salle dans le VIIè arrondissement de Paris. Pour créer ce cinéma de quartier installé au 99 de la rue Saint-Dominique, Monsieur Boursier, également à la tête du Printania, s’associe avec M. Bidault et M. Rollet.

Dans son édition du 13 juillet 1935, le magazine corporatiste poursuit l’éloge du Dominique-Cinéma : « Les couleurs beige ivoire et or sur fond chaudron créent une ambiance très agréable réhaussée par un éclairage indirect très doux. Les fauteuils et le rideau de scène sont couleur chaudron. Le tapis nègre, les boiseries, les portes et le hall en chêne naturel. La particularité de cette salle est le plafond mobile, ajouré en staff, ce qui fait de cette salle un véritable théâtre de plein-air ».

Son décorateur M. Lambert « a démontré brillamment qu’il est parfaitement possible de pourvoir les quartiers de Paris ou les villes de Province de salles coquettes et confortables ».

Cinéma Le Dominique à Paris

Ci-dessus: vue de la salle en 1935.

La nouvelle salle proche de l’avenue Bosquet est lancée avec le film Symphonie inachevée de Willi Forst avec Martha Eggerth. Cette œuvre qui retrace un épisode de la vie de Franz Schubert est accompagnée de Ramenez-les vivants ! de Frank Buck.

Jusqu’à la fin de la décennie, le cinéma affiche des doubles-programmes, alors très en vogue dans cette seconde partie des années 1930. Cette formule permet de proposer deux longs-métrages et de limiter, voire de supprimer, les traditionnelles attractions avant le « grand film ».

La Maison du Maltais

Ci-dessus: La Maison du Maltais de Pierre Chenal le 25 janvier 1939.

Ci-dessus: Trois Valses de Ludwig Berger le 29 mars 1939.

Le journal filmé proposé lors de la séance est celui de France-Actualités. Parmi les longs-métrages à l’affiche du Dominique-Cinéma avant le début de la Seconde guerre, on peut découvrir la semaine du 12 juillet 1935 L’Introuvable de W. S. Van Dyke programmé avec Les Compagnons de la Nouba de William A. Seiter avec Laurel et Hardy. Suivent Sa Majesté s’amuse de Frank Tuttle et La Famille Pont-Biquet de Christian-Jaque la semaine du 6 décembre 1935, La Mariée du régiment de Maurice Cammage et la production Pathé-Natan réalisée par Marcel L’Herbier Le Bonheur la semaine du 6 mars 1936, La Reine de Biarritz de Jean Toulout et La Bandera de Julien Duvivier la semaine du 12 juin 1936, le musical Carmen blonde de Viktor Janson et L’Espionne Elsa de Robert Florey la semaine du 8 janvier 1937 ainsi que La Maison du Maltais de Pierre Chenal le 25 janvier 1939 et le musical Trois Valses de Ludwig Berger le 29 mars 1939.

Au début du conflit qui s’abat sur l’Europe, le Dominique reste ouvert et affiche, comme dans la plupart des cinémas parisiens, des reprises de films sortis quelques années auparavant comme Le Tunnel (1933) de Curtis Bernhardt avec le jeune Jean Gabin à l’affiche le 7 février 1940 ou bien L’Abbé Constantin (1933) réalisé par Jean-Paul Paulin le 21 février 1940.

Au cours du mois de mai 1940, le Préfecture de Police instaure de nouveau, comme ce fut le cas au début du conflit, un couvre-feu qui touche également les cinémas : « Par décision du gouvernement militaire de Paris et en raison des circonstances, les débits de boisson, cafés et restaurants, ainsi que les établissements de spectacles à Paris et dans le département de la Seine, seront fermés jusqu’à nouvel ordre à 23 heures au lieu de minuit ».

Le 14 juin 1940, les Allemands entrent dans Paris. A cette période, le Dominique affiche la reprise de la comédie musicale Une jeune fille et un million de Max Neufeld et Fred Ellis, interprétée par Madeleine Ozeray et Claude Dauphin et produite par Les Films Osso.

Quelques mois plus tard, le 25 septembre 1940, le Dominique est autorisé à rouvrir ses portes. Ce sont Le Scandale réalisé en 1934 par Marcel L’Herbier avec Gaby Morlay et le moyen-métrage La Prison de Saint-Clothaire (1933) de Pierre-Jean Ducis qui relancent son activité.

Comme dans la plupart des cinémas, la programmation du Dominique au début des années d’Occupation est composée de reprises de films anciens. Par la suite, les grands succès de l’Occupation défilent sur son écran dont, parmi tant d’autres, Angélica de Jean Choux avec Viviane Romance la semaine du 12 février 1941, la production CFC (Compagnie Française Cinématographique) Le Café du port du même réalisateur celle du 9 avril 1941, le film autrichien qui lance l’actrice Zarah Leander Première de Géza von Bolváry la semaine du 8 octobre 1941, la production Continental Films Caprices de Leo Joannon avec Danielle Darrieux le 3 juin 1942, la comédie Forte tête de Léon Mathot avec René Dary le 21 octobre 1942 ou encore la comédie allemande Sergent Berry d’Herbert Selpin avec Hans Albers le 31 mars 1943.

Ci-dessus: Les Deux orphelines de Carmine Gallone la semaine du 3 novembre 1943.

Le 15 septembre 1943, le grand succès des studios Pathé Pontcarral, colonel d’Empire de Jean Delannoy interprété par Pierre Blanchar est à l’affiche du Dominique. Suivent, entre autres, trois productions Continental Films : Au bonheur des dames d’André Cayatte avec Michel Simon et Albert Préjean le 22 décembre 1943, Le Corbeau d’Henri-Georges Clouzot avec Pierre Fresnay et Ginette Leclerc le 31 mai 1944 et La Fausse maîtresse d’André Cayatte avec Danielle Darrieux le 28 juin 1944.

En novembre 1945, le Syndicat Français des Directeurs de Théâtres Cinématographiques présidé par M. Lussiez s’interroge sur la manière dont seront chauffées les salles durant l’hiver. Dans ce contexte de restrictions qui durent dans l’après-guerre, l’attribution de charbon et de mazout dans les salles de cinéma n’est pas une priorité, ce qui rend la fréquentation compliquée pour de nombreuses salles de quartier.

Au lendemain de la Libération, le public parisien peut voir ou revoir les films américains ayant interrompu leur carrière pendant l’Occupation comme Au revoir Mr. Chips (1939) de Sam Wood la semaine du 28 novembre 1945 ou le musical La Veuve joyeuse (1934) d’Ernst Lubitsch le 3 avril 1946.

Des films tournés quelques années plus tôt mais restés inédits sur les écrans arrivent enfin comme Prisonniers du passé (1942) de Mervyn LeRoy à l’affiche au Dominique la semaine du 9 janvier 1946, Rendez-vous (1940) – aujourd’hui connu sous son titre original The Shop around the corner – d’Ernst Lubitsch le 6 février 1946, La Femme au portrait (1944) de Fritz Lang avec Edward G Robinson et Joan Bennett le 15 janvier 1947 ou encore Le Magicien d’Oz (1939) de Victor Fleming et King Vidor avec Judy Garland le 9 juillet 1947. Sorti un an plus tôt aux États-Unis, Monsieur Verdoux de Charlie Chaplin est à l’affiche le 12 mai 1948.

    

Ci-dessus: Fantasia de Walt Disney la semaine du 23 avril 1947.

Soumis aux accords Blum-Byrnes qui imposent aux exploitants de cinémas des quotas pour préserver la production nationale face à la déferlante de productions américaines, le Dominique fait la part belle aux films français comme le dernier film de Raimu L’Homme au chapeau rond de Pierre Billon le 12 février 1947 ou Quai des orfèvres de Henri-Georges Clouzot avec Louis Jouvet, Bernard Blier et Suzy Delair le 24 mars 1948.

Dans une étude publiée par La Cinématographie française en octobre 1950, Jacques Lamasse note une augmentation des recettes pour l’année 1949, paradoxalement accompagnée d’une baisse continue des entrées : « Cette situation est en lien avec les conditions générale de la vie économique française d’aujourd’hui. Le cinéma reste en marge des préoccupations primordiales d’une population au faible pouvoir d’achat ». Un constat qui pourrait s’appliquer de nos jours.

Durant les années 1950, la salle de la rue Saint-Dominique poursuit sa carrière de cinéma de quartier mais subit la concurrence du Gaumont Bosquet voisin qui affiche les films en exclusivité de deux à cinq semaines avant qu’ils arrivent au Dominique. Les films ayant été exploités jusqu’à l’usure dans de nombreux autres cinémas de quartier, les entrées du Dominique baissent immanquablement.

Durant ces mêmes années 1950, les spectateurs peuvent découvrir sur l’écran du Dominique Nous irons à Paris de Jean Boyer le 3 mai 1950, Miquette et sa mère de Henri-Georges Clouzot le 6 décembre 1950, Justice est faite d’André Cayatte le 21 février 1951, La Fille de Neptune d’Edward Buzzell avec Esther Williams le 31 octobre 1951 ou encore Gibier de potence de Roger Richebé le 12 mars 1952.

Au revoir M. Grock de Pierre Billon

Ci-dessus: Au revoir monsieur Grock de Pierre Billon la semaine du 20 septembre 1950.

Ci-dessus: Les Mines du roi Salomon de Compton Bennett et Andrew Marton la semaine du 17 novembre 1954

Suivent La Vérité sur Bébé Donge de Henri Decoin le 8 octobre 1952, Le Carrosse d’or de Jean Renoir le 13 mai 1953, Le Retour de Don Camillo de Julien Duvivier le 11 novembre 1953, Peter Pan des studios Disney le 21 avril 1954, Les Mines du roi Salomon de Compton Bennett et Andrew Marton le 17 novembre 1954, Le Rouge et le Noir de Claude Autant-Lara le 16 mars 1955, Les Diaboliques de Henri-Georges Clouzot le 18 avril 1956, Deux Rouquines dans la bagarre d’Allan Dwan le 2 janvier 1957, À pied, à cheval et en voiture de Maurice Delbez le 26 décembre 1957 et La Loi du Seigneur de William Wyler le 12 février 1958.

Pour soulager les exploitants durant l’été 1959, vingt-sept salles de quartier parisiennes sont autorisées à donner exceptionnellement deux programmes hebdomadaires différents. Parmi ces salles, on retrouve l’Arc-en-ciel, l’Athéna, le Caméra, le Champerret, le Féérique, le Mambo, le Miami, le National, le Palais Avron, le Palermo et le Palais des Glaces. Le Dominique rejoint la liste de ces cinémas qui, pour la plupart, scindent la semaine en deux : le premier programme est à l’affiche du mercredi au samedi, le second du dimanche au mardi. Généralement, un film inédit et une reprise, ou deux productions plus anciennes, sont joués en alternance.

Le Film français du 10 octobre 1959 interroge les exploitants qui ont appliqué cette formule, inédite depuis la guerre : « L’ensemble des exploitants consultés a constaté une sensible augmentation de la fréquentation par rapport à ce qu’elle est à pareille époque, avec le simple programme. Beaucoup ont noté que des spectateurs s’étaient présentés deux fois dans la semaine à la caisse de leur établissement pour voir les programmes projetés (…) D’ordinaire, le film n’attire plus assez de spectateurs dès le lundi. Le fait d’offrir au public, deux programmes différents évite cet essoufflement de fin de semaine ».

Au début des années 1960, le Dominique poursuit sa carrière de cinéma de quartier avec un accès tardif aux nouveautés. On peut y voir, bien après leurs sorties en exclusivité dans des salles plus prestigieuses, Le Baron de l’écluse de Jean Delannoy avec Jean Gabin le 5 octobre 1960, A bout de souffle de Jean-Luc Godard le 16 novembre de la même année, le film de guerre Le Passage du Rhin d’André Cayatte le 15 mars 1961 ou bien Et mourir de plaisir de Roger Vadim le 3 mai 1961.

Ci-dessus: Le Baron de l’écluse de Jean Delannoy la semaine du 5 octobre 1960.

En septembre 1963, le Dominique est repris par Charles Rochmann, figure de la distribution et de l’exploitation indépendante parisienne avec la création notamment des Trois Luxembourg, et adhère à l’Association Française des Salles d’Art et Essai (futur AFCAE). La salle affiche ce mois-là Cela s’appelle l’aurore de Luis Buñuel le 4, Zazie dans le métro de Louis Malle le 18 et Les Enfants du paradis de Marcel Carné la semaine suivante.

Les prolongations d’exclusivité, à partir du 2 octobre 1963 pendant quatre semaines et conjointement avec le Studio 34, du film de Michel Drach Amélie ou le Temps d’aimer ramène un nouveau souffle au Dominique.

Ci-dessus: le Dominique est classé Art et Essai en 1963.

Ci-dessus: Amélie ou le Temps d’aimer de Michel Drach la semaine du 2 octobre 1963.

Ci-dessus: programme des cinémas Art et Essai (Studio Saint-Germain, Studio Logos, Quartier latin, Panthéon, La Pagode, le Monte-Carlo) la semaine 2 octobre 1963.

Tandis que le jeudi – jour de repos des écoliers – des matinées « jeunesse et famille » y sont programmées, des films pour enfants sont proposés pendant les semaines des vacances scolaires comme La Grande Parade de Walt Disney la semaine du 30 octobre 1963 ou bien La Guerre des boutons d’Yves Robert celle du 6 novembre.

Les grands classiques se succèdent toutes les semaines sur l’écran du Dominique comme Huit et demi de Federico Fellini le 15 janvier 1964, Le Mépris de Jean-Luc Godard le 1er avril 1964, L’Évangile selon saint Matthieu de Pier Paolo Pasolini le 31 juillet 1965, Les Sept samouraïs d’Akira Kurosawa le 11 septembre 1965, L’As de pique de Milos Forman le 8 janvier 1966, Le Septième Sceau d’Ingmar Bergman le 8 février 1967 ou bien Blow-Up de Michelangelo Antonioni le 20 mars 1968.

Au moment où Charles Rochmann fait construire, en association avec la société Suède Films, les trois salles de l’Elysées-SF, le Dominique programme des festivals composés de films rares pour l’époque et réédités par Les Cinémas Associés. Ainsi, le festival Marlène Dietrich est à l’affiche la semaine du 21 juillet 1971, celui de W.C. Fields la semaine du 28 juillet 1971 et les incontournables films des Marx Brothers la semaine du 4 août 1971.

Après un festival de films de western la semaine suivante, le Dominique interrompt ses séances le 17 août 1971 au soir. Sous la direction de l’illustre Bernard Ceyssac, un architecte spécialisé dans les salles obscures, la salle est transformée et de confortables fauteuils « Club » y sont installés, ce qui ramène sa capacité à 320 spectateurs.

C’est le 28 septembre 1971 que le Dominique rouvre ses portes avec à l’affiche le film de Milos Forman Taking Off. La salle rénovée reste une salle de quartier qui propose toujours, hors festivals, un film différent par semaine. Certaines semaines, des classiques y sont proposés comme les deux films d’Alfred Hitchcock en version originale Les Oiseaux le 5 juillet 1972 et Psychose le 16 août de la même année.

Ci-dessus: Lucky Luke de René Goscinny et Morris la semaine du 15 décembre 1971.

Ci-dessus: Festival Ciné-Balade au Dominique ainsi qu’aux Panthéon, New-Yorker et Studio République à partir du 25 juillet 1973.

Progressivement, la salle se spécialise dans des films récents comme Frenzy du même Hitchcock la semaine du 20 septembre 1972, Jeremiah Johnson de Sydney Pollack le 10 janvier 1973 ou Orange mécanique de Stanley Kubrick le 7 novembre 1973. En alternance, des festivals comme celui consacré à Jerry Lewis le 26 décembre 1973 pour quatre semaines y sont programmés ainsi que le festival Gangsters à partir du 23 janvier 1974.

Pour concevoir ses festivals, le Dominique puise dans le catalogue de films peu programmés des distributeurs, à l’instar du travail effectué à l’Action Lafayette. La formule se poursuit jusqu’à la fin des années 1970 avec, en alternance, des reprises de films en vogue comme Catch 22 (1970) de Mike Nichols le 23 avril 1975 ou bien Soldat bleu (1970) de Ralph Nelson le 23 avril 1977.

Des films pour enfants sont également proposés dans plusieurs salles d’Art & Essai parisiennes sous le titre « Petits Poucets », la salle de la rue Saint-Dominique devenant à cette occasion « Le Petit-Poucet-Dominique ».

Ci-dessus: Jonathan Livingston le goéland de Hall Bartlett, le dernier film projeté au Dominique.

A la rentrée de septembre 1979, le Dominique affiche deux films qui tiennent l’affiche jusqu’à la fin de l’année : Jonathan Livingston le goéland de Hall Bartlett et Macadam Cowboy de John Schlesinger. Le début de l’année 1980 est fatal pour le Dominique : au soir du 1er janvier, la salle ferme définitivement ses portes avec une ultime projection des deux films susmentionnés.

Aujourd’hui, une surface commerciale occupe l’espace du cinéma de quartier dont l’activité dura 45 saisons.

Textes: Thierry Béné
Documents: La Cinématographie française, Pariscope, Gallica-BnF