5 avenue de la République à Paris (XIe arrondissement)
Anciennement Ciné Paris-Soir, Cinépresse et Radio-Cité République

Passant tour à tour de salle d’actualités à cinéma de quartier, embrassant l’Art & Essai dès les années 50 mais mis à mal par les circuits durant la fin de sa carrière, le Studio République demeure l’un des témoins des grandes heures de l’exploitation avant l’asphyxie des salles indépendantes.

Le Ciné Paris-Soir République, la première salle d’actualités de Bernard Weinberg.

Le 3 mars 1933, le circuit Ciné Paris-Soir inaugure sa première salle d’actualités dans le quartier de la place de la République. La société Cinépresse, avec à sa tête Bernard Weinberg, constitue rapidement un réseau de salles d’actualités dans la capitale qui arboreront toutes l’enseigne du célèbre quotidien du soir: le Ciné Paris Soir sur les Champs-Élysées (futur Monte-Carlo), le Ciné Paris-Soir Ternes (futur Reflets), le Ciné Paris-Soir Raspail (futur Studio Raspail) et le Ciné Paris-Soir Clichy (futur Les Images).

Homme au destin exceptionnel, à la fois entrepreneur et musicien, Bernard Weinberg, né en 1892 en Roumanie, est le fondateur en 1932 de Cinépresse et des salles Ciné Paris-Soir avec l’appui du journal éponyme. « Il s’agissait d’une entente publicitaire analogue à celles passées par le réseau Cinéac avec plusieurs grands journaux. La plupart des gens croyaient que ces salles appartenaient à Paris-soir, ce qui n’était pas le cas » confirme Jean-Jacques Meusy.

Équipé avec les appareils Philisonor, le Ciné Paris-Soir République possède une « salle d’informations téléphonées » au rez-de-chaussée et une « salle d’informations cinématographiques » au sous-sol.

La salle d’informations téléphonées, en relation constante avec les journalistes de Paris-Soir, affiche sur un tableau de 15 m2 avec des lettres mobiles les nouvelles transmises par le journal. Bouillonnante ruche installée au cœur de la ville, on y trouve également une agence de tourisme, un comptoir de location de places de spectacles et de manifestations sportives, un guichet du Paris Mutuel Urbain (PMU), une librairie ainsi qu’un un cabinet de consultations juridiques et médicales gratuites !

Au niveau inférieur se trouve la salle d’informations cinématographiques dirigée par M. Cyrille Lazare, le beau-fils de Bernard Weinberg. Avec une capacité de seulement 250 fauteuils, elle est constituée d’un programme d’une durée de 50 minutes intégrant, outre les actualités, des reportages, des variétés, des dessins animés et de courts sujets comiques.

Cinéma Studio République à Paris

Ci-dessus: façade du Ciné Paris-Soir en 1933.

Cinéma Studio République à Paris

Ci-dessus: la salle en 1933.

Cinéma Studio République à Paris

Ci-dessus: la salle en 1933.

Cinéma Studio République à Paris

Ci-dessus: plan de la salle en 1933.

Cinéma Studio République à Paris

Ci-dessus: coupe longitudinale de la salle en 1933.

Permanent de 10 heures à 1 heure du matin, le Ciné Paris-Soir République affiche des places dont le prix est compris entre 2,50 frs et 3,00 frs.

Alors que se développent un bon nombre de réseaux de salles d’actualités, dont le plus important est Cinéac, la lassitude commence à gagner le public. En effet, la vision aseptisée de la réalité véhiculée par le contenu des programmes qui parlent plus souvent de la mode, des événements mondains et sportifs que des problèmes politiques et sociétaux éloignent les spectateurs.

Cinéma Studio République à Paris

Ci-dessus: inauguration du Ciné Paris-Soir République le 3 mars 1933.

Ci-dessus: programme d’ouverture le 3 mars 1933.

Le réseau Paris-Soir-Cinépresse décide d’intégrer rapidement, en plus des actualités, un long-métrage en reprise chaque semaine. Parmi eux Le Maître de forges (Fernand Rivers et Abel Gance) la semaine du 6 octobre 1933, À nous la liberté (René Clair, 1931) celle du 15 mars 1935 ou Charlemagne (Pierre Colombier, 1933) avec en complément le fameux cartoon Le grand méchant loup (Walt Disney) celle du 10 avril 1936.

Suivent Toute la ville en parle (John Ford, 1935) le 26 janvier 1936, François Ier (Christian-Jaque, 1937) le 16 mars 1938, La Grande Illusion (Jean Renoir, 1937) le 2 novembre 1938, Les Temps modernes (Charles Chaplin, 1937) le 28 décembre 1938, Le Quai des brumes (Marcel Carné, 1938) le 8 mars 1939 ou encore Les Bas-fonds (Jean Renoir, 1936) le 5 juillet 1939.

Ci-dessus: au programme des quatre salles du réseau Ciné Paris-Soir la semaine du 29 juin 1938.

Quand la guerre est déclarée en septembre 1939, le Paris-Soir République joue le film musical Trois Valses (Ludwig Berger, 1938) interprété par Yvonne Printemps et Pierre Fresnay. Durant les années 1930, lorsqu’un événement d’importance nationale intervient, comme la visite des souverains anglais en 1938, le reportage y est à l’affiche des salles Paris-Soir. Dans la presse, les programmes des salles d’actualités annoncent les reportages à la place du grand film, également projeté.

Durant la guerre, les salles Paris-Soir maintiennent leur activité et continuent de proposer un long-métrage différent chaque semaine, complété par des actualités et des reportages filmés.

Le 14 juin 1940, l’armée allemande entre dans la capitale. Les cinémas parisiens ferment leurs portes. Ce n’est que le jeudi 2 février 1944 que deux salles du réseau Paris-Soir rouvrent leurs portes : l’établissement de la Place Clichy et celui des Ternes. Quelques semaines plus tard, la salle de la République annonce enfin sa réouverture.

Toujours exploités par la société Ciné-Presse, les cinémas Paris-Soir sont désormais dirigés par l’exploitant Marcel Thirriot, le père de Jean-Paul Thirriot, assisté de M. Chenard. Les salles reprennent la formule « Ciné-Express » composée des journaux France-Actualités, des reportages spéciaux, des documentaires et des dessins-animés, le tout pour le prix unique de 10 francs. La propagande collaborationniste et allemande inonde forcément ces programmes.

Après-guerre, le cinéma sous les enseignes Cinépresse puis Radio-Ciné.

A la Libération de Paris, les salles du réseau Paris-Soir rouvrent le 13 octobre 1944. C’est désormais sous l’enseigne Cinépresse qu’elles sont exploitées. Le Paris-Soir République devient le Cinépresse République. Un seul grand film est alors proposé dans toutes les salles du réseau, l’énorme succès sorti quatre ans plus tôt Narcisse (Ayres d’Aguiar) avec sa vedette Rellys.

Suivent d’autres reprises, comme pour la semaine du 25 octobre 1944 la comédie musicale américaine Cet âge ingrat (Edward Ludwig) avec Deanna Durbin, la coqueluche des adolescents d’avant-guerre. Le film est repris la semaine du 27 décembre 1944. Chipée (Roger Goupillières, 1938) avec Victor Boucher est affiché la semaine du 1er novembre 1944 et repris celle du 3 janvier 1945.

En cette année 1945, c’est surtout la série des sept films de propagande américaine Pourquoi nous combattons (Frank Capra et Anatole Litvak, 1942) qui occupent les écrans des salles Cinépresse. Ces films, commentés en français par Charles Boyer, sont conçus pour persuader le public américain de soutenir l’intervention des USA. Ils occupent les affiches des salles Cinépresse dès le 14 février 1945 pour le premier épisode Prélude à la guerre. Les autres épisodes – Les nazis attaquent, Diviser pour régner, La Bataille d’Angleterre, La Bataille de Russie, La Bataille de Chine et L’Amérique en guerre vous parle – suivent les semaines suivantes.

Ci-dessus: Pourquoi nous combattons (Frank Capra et Anatole Litvak, 1942) à partir du 14 février 1945.

Ci-dessus: Espoir, sierra de Teruel (André Malraux et Boris Peskine, 1939) à partir du 22 août 1945. 

À partir du 22 août 1945, les parisiens découvrent au Cinépresse République la reprise d’Espoir, sierra de Teruel (André Malraux et Boris Peskine, 1939), dont la première exclusivité débute au Max Linder le 13 juin 1945.

Le 2 avril 1947, le Cinépresse de l’avenue de la République change une nouvelle fois d’enseigne et devient le Radio-Ciné République. La programmation est essentiellement constituée de films venus d’outre-Atlantique. Des productions nationales occupent néanmoins l’affiche comme La Belle et la Bête (Jean Cocteau, 1946) avec Jean Marais la semaine du 4 juin 1947, Carmen (Christian-Jaque) avec Viviane Romance celle du 16 juillet 1947, Goupi Mains Rouges (Jacques Becker, 1943) le 1er octobre 1947, Les Enfants du paradis (Marcel Carné, 1945) le 17 mars 1948, La Fille du puisatier (Marcel Pagnol, 1940) le 14 septembre 1949 ou Le Corbeau (Georges Clouzot, 1943) le 4 janvier 1950.

Le Studio République et l’avènement de l’Art & Essai.

Après sa fermeture annuelle durant l’été 1950, le cinéma rouvre le 13 septembre sous son enseigne définitive, le Studio République, avec la reprise de La Belle et la Bête. Beaucoup de films américains occupent l’affiche en ce début des années 1950, en particulier les productions de la Metro-Goldwyn-Mayer issues des contrats de block-booking, si chers au studio. Cette formule de la M.G.M. permet à la salle de proposer le tant attendu Autant en emporte le vent (Victor Fleming, 1939), sorti en France en 1950 seulement, qui poursuit son exclusivité parisienne dans des salles triées sur le volet.

Ci-dessus: Autant en emporte le vent (Victor Fleming, 1939) à partir du 7 janvier 1953 au Studio  République.

L’exploitation de Autant en emporte le vent au Studio République témoigne du choix stratégique de la M.G.M. pour sa sortie française : après de long mois au Biarritz des Champs-Élysées puis au Rex, l’exclusivité se poursuit progressivement et durant de nombreux mois au Radio-Cité-Opéra puis au Scarlett et enfin dans quelques autres salles parisiennes. Il arrive au Studio République la semaine du 7 janvier 1953 pour une durée contractuelle de dix semaines. Durant cette période, seuls 11 696 spectateurs ont le privilège d’assister au film qui engrange d’importantes recettes grâce à la forte majoration du prix des places.

Le film revient au Studio République pour trois semaines, à partir du 24 juin 1953, mais n’attire que 2 983 entrées supplémentaires. L’important taux de location imposé par la M.G.M. implique que la programmation du film, lors de cette première très longue exclusivité, n’est pas forcément une bonne affaire pour les exploitants.

Dès les années 1950, la salle de quartier Studio République introduit régulièrement dans sa programmation des classiques et des films étrangers en version originale. Cette originalité est probablement due à sa petite capacité en comparaison avec les autres salles de quartier.

À l’affiche, on trouve des films comme La Bête humaine (Jean Renoir, 1938) le 6 avril 1953, La Lune était bleue (Otto Preminger) en version originale le 7 avril 1954 pour 15 jours, Le Fleuve (Jean Renoir, 1951) le 30 juin 1954, la comédie musicale Hellzapoppin’  ( H. C. Potter) le 24 novembre 1954 en version originale pour 15 jours  – le film reviendra régulièrement sur l’écran du Studio République – ou bien La Dame de Shanghai (Orson Welles, 1947) le 12 janvier 1955 en version originale.

Au moment même où apparaît l’Art & Essai avec la création en 1955 de l’Association Française des Cinémas Art & Essai (A.F.C.A.E.), les grands auteurs occupent l’écran du Studio République : Jean Renoir, Orson Welles, Federico Fellini, Alfred Hitchcock, Carl Theodor Dreyer, Andrzej Wajda, Ingmar Bergman, Luis Buñuel, etc.

Alors que paraît en 1951 la revue Cahiers du Cinéma et que des querelles excessives entre Positif, Images et les Cahiers animent les cinéphiles, le cinéma d’auteur s’affiche de plus en plus dans certains cinémas. Le travail effectué par le Studio République est exemplaire : il contribue à faire découvrir des auteurs aujourd’hui considérés comme des maîtres du Septième Art et à l’époque cantonnés dans certaines salles comme le Vendôme ou le Studio Publicis sur les Champs-Élysées. Visibles en dehors de leur période d’exclusivité et reprogrammés très régulièrement, ces œuvres font naître la cinéphilie.

Durant les années 1960, la Société Ondyne Films reprend l’exploitation du Studio République et y place à sa tête Colette Graza. L‘exploitante poursuit la diffusion de classiques en affichant également les œuvres de nouveaux venus comme François Truffaut, Louis Malle, René Allio, Alain Resnais, Roman Polanski, Ken Russell ou Jean-Pierre Melville.

La décennie suivante, toujours exploitée par la société Ondyne, Charles Rochman assure la direction de la salle. L’heureux créateur en 1966 du premier complexe parisien Les Trois Luxembourg, de l’Élysées Point-Show et directeur depuis 1961 du Studio 43, l’ancien New-Yorker, et depuis 1963 du Dominique, assure également la distribution de films avec sa société Cinémas Associés.

Découvreur des filmographies des Pays de l’Est – Nouvelle Vague tchécoslovaque et renouveau Hongrois -, Charles Rochman réédite des classiques du cinéma américain, en particulier les films de Joseph Von Sternberg et ceux dans lesquels figurent les Marx Brothers, Mae West ou encore Marlene Dietrich.

Inclus dans une combinaison de salles comprenant dans le Quartier latin le Racine ou le Logos, le SF Élysées et Les Trois Luxembourg, le Studio République lance des exclusivités, à l’instar des films du réalisateur engagé – pas encore devenu exploitant – Marin Karmitz avec Camarades le 4 novembre 1970 ou Coup pour coup le 23 février 1972. C’est effectivement tout un cinéma politique qui défile au Studio République : Paysage après la bataille (Andrzej Wajda) le 10 mars 1971, L’An 01 (Jacques Doillon) le 7 mars 1973 ou Le Nid des gentilshommes (Andreï Kontchalovski) le 25 avril 1973.

Ci-dessus: Camarades (Marin Karmitz) à partir du 4 novembre 1970. 

Ci-dessus: Coup pour coup (Marin Karmitz) en exclusivité à partir du 23 février 1972.

Pour mesurer rétrospectivement l’importance du travail effectué par les distributeurs indépendants durant cette décennie, Cinémas Associés sort le film indépendant Bertha Boxcar. Cette œuvre d’un jeune réalisateur inconnu, un certain Martin Scorsese, est sur les écrans le 4 octobre 1973 de l’Élysées Point-Show, du Racine et du Studio République. Malgré les faibles entrées, Bertha Boxcar bénéficie d’une couverture de presse très favorable. Moins de trois ans plus tard, les salles indépendantes n’auront pas accès à l’exclusivité de Taxi Driver dévolue au circuit Parafrance des frères Siritzky.

Ci-dessus: la naissance d’un cinéaste, Martin Scorsese avec Bertha Boxcar en exclusivité à partir du 4 octobre 1973.

Les temps sont difficiles pour les salles indépendantes, écartées des exclusivités, les distributeurs favorisant les  grands circuits Gaumont-Pathé, Parafrance et l’UGC, devenue la tête de Turc des indépendants.

Les salles indépendantes n’ont d’autre choix que de programmer des secondes visions ou des films de répertoire, ayant pour conséquence de placer hors activité un certain nombre d’écrans indépendants. En effet, avant l’émergence des complexes, certains films étaient retirés des salles d’exclusivité pour causes d’engagements antérieurs et pouvaient ensuite être prolongés par les salles indépendantes. Or, durant les années 1970 avec la multiplication des multisalles initiées par l’exploitant, producteur et distributeur Boris Gourevitch, « l’homme des complexes », les films poursuivent leurs carrières dans les petites salles des complexes.

C’est dans ce contexte d’asphyxie que le Studio République baisse définitivement son rideau le 24 mai 1977 après une dernière projection de Pain et Chocolat (Franco Brusati, 1974) avec l’immense Nino Manfredi. Les services funéraires de la Ville de Paris occupent désormais les lieux de l’ancienne salle de cinéma…

Textes: Thierry Béné
Documents: Architectures d’aujourd’hui, La Cinématographie française, Le Film français, Gallica-BnF et France-Soir.