Paris et ses cinoches, c’est une histoire que tout parisien peut raconter! Les cinémas de la capitale en ont vu passer des enfants, des adolescents qui sont aujourd’hui devenus des adultes et qui se rappellent leurs émotions devant le grand écran… Salles-cinema.com propose des témoignages de cinéphiles qui nous font partager leurs souvenirs. Nous avons rencontré Marc Montezin, photographe, qui évoque ces cinoches et ses souvenirs de spectateur parisien depuis les années 1960 jusqu’à nos jours.

Les années 1980 sont peut-être celles qui ont connu le plus de fermetures définitives de cinémas à Paris. Elles marquent la fin d’une époque où le ciné du coin, pas toujours avenant, proposait des films en exclusivité, mais aussi des films de genre: arts martiaux, films d’actions, films de vampires et autres séries B. Marc a connu ces salles atypiques et parfois oubliées.

RENCONTRE AVEC MARC MONTEZIN, PHOTOGRAPHE ET CINÉPHILE:

Paris comptait un important nombre de cinémas dans les années 1960-1970, souvent concentrés dans un même quartier. Quel quartier fréquentiez-vous?

J’habitais le 15ème arrondissement de Paris. Mon quartier possédait peu de cinémas à part ceux concentrés autour de la place de la Convention où j’allais avec mes parents: le GAUMONT et le MAGIC (qui est devenu l’UGC CONVENTION et est depuis détruit). Encore maintenant, je me rappelle tous les films vus en fonction des salles! De temps en temps, je fréquentais  le KINOPANORAMA, le CAMBRONNE ou LE NOUVEAU THÉÂTRE: dans ce dernier, des films en cinérama étaient projetés comme « Grand Prix » (John Frankenheimer – 1966).

Le jeudi après-midi – c’était le jour où on n’allait pas à l’école – la programmation était destinée aux familles. En cachette, j’allais au SÈVRES-PATHÉ, mon école étant à proximité. Il y avait dans ce cinéma un programme unique, d’une longue durée. Ma mère travaillait dans le quartier. Nous déjeunions ensemble et, après m’avoir donné 5 francs,  je courais au cinoche sans lui dire!  Dans le métro, je rentrais, la tête pleine d’images, espérant arriver avant elle !

Dans mon enfance, la séance de cinéma était un spectacle à elle toute seul! Avant le film, des dessins-animés étaient projetés. Puis un reportage ou un court-métrage et enfin les publicités. Une bonne heure était déjà passée avant qu’enfin le film soit projeté sur l’écran. Et ce n’était pas toujours un film récent: j’ai vu « Le Capitan » (André Hunebelle – 1960), « La mélodie du bonheur » (Robert Wise – 1965), « Le Petit baigneur » (Robert Dhéry – 1968), « Le Bossu » (André Hunebelle – 1959), « Alexandre le bienheureux » (Yves Robert – 1967), etc.

Quelles étaient les conditions de projection dans ces cinémas?

C’est vrai qu’il fallait bien choisir sa place! Quand le film commençait, on entendait souvent le bruit des sièges, leur bruyant claquement de fermeture, dû aux spectateurs quand ils changeaient de places! Les chapeaux des spectateurs qui gênent pendant le film, ce n’est pas de mon époque. Cependant, on regardait tout de même où on s’asseyait, en vérifiant s’il n’y avait pas une personne de grande taille devant soi! Pour le confort de l’assise, nos genoux étaient vraiment collés au dos du fauteuil de la personne de devant. On pouvait sentir dans le dos les genoux de la personne derrière…

De temps en temps, il arrivait que le film s’arrête. La salle se rallumait, on attendait et on dirigeait nos regards vers la lucarne du fond, là où se trouve la cabine de projection où on voyait s’activer le projectionniste. Une fois, au MAILLOT-PALACE, j’ai assisté à une projection durant laquelle la pellicule prit feu! Nous étions dans les années 1974-75 et le film projeté, sorti quelques années plus tôt, était « Il était une fois dans l’ouest » (Sergio Leone – 1968). Durant la longue scène du début, lors de l’arrivée du train en gare, le film brûla à trois reprises! La bobine avait dû faire le tour de France pour en arriver-là! Je me souviens que toute la salle riait aux éclats à force d’interruptions !

A contrario, il y avait des cinémas plus luxueux comme LES PORTIQUES (devenu le GEORGE V), sur l’avenue des Champs-Elysées, qui possédait les meilleures copies et proposait une qualité de projection optimale. Le REX, bien entendu, ainsi que le BRETAGNE avec sa grande salle panoramique étaient des cinémas confortables. J’ai même connu l’EMPIRE, avenue de Wagram: quelle grandeur ! En parlant de splendeur, le GAUMONT-PALACE restera à jamais gravé dans ma mémoire: j’y suis allé à deux reprises seulement, accompagné de mes parents. C’est le seul cinéma de mon enfance qui projetait des films en version originale sous-titrée en français. J’y ai vu la retransmission des jeux Olympique de Mexico en 1968 et « Les Cheyennes » (John Ford – 1964). J’étais bouche-bée.

Ci-dessus: La façade du Gaumont Richelieu au 27 boulevard Poissonnière à Paris.

Les cinémas de l’époque étaient bien ancrés dans leur quartier…

J’ai franchi la frontière du 15ème de mon enfance et ai découvert d’autres salles de cinéma pour aller voir encore plus de films, toujours au même prix. J’ai connu les CINÉAC et autres SPLENDID. Rue de la Gaîté, dans le 14ème arrondissement, le SPLENDID-GAÎTÉ était mon cinéma de prédilection. C’était un cinéma permanent, on pouvait voir des films autant de fois qu’on le souhaitait, jusqu’à trois films d’affilée! Il y avait de ce fait beaucoup de va-et-vient de personnes qui rentraient et sortaient de la salle. Pour ma part, j’arrivais à 14h et je sortais du cinéma à 18h. Ce cinéma proposait une programmation assez insolite: « Les lumières de la ville » (Charles Chaplin – 1931) suivi des « Baroudeurs » (Peter Collinson – 1970), « Jour de Fête » (Jacques Tati – 1949) suivi de « Scorpio » (Michael Winner – 1973). En réalité, la programmation m’importait peu… J’étais un tel habitué que la caissière me gardait les affiches des films !

Il y avait une vraie vie dans ces cinémas permanents: des couples d’amoureux qui s’embrassaient plus qu’ils ne regardaient le film, des personnes qui dormaient, etc. Dans les quartiers proches des gares ferroviaires, les cinémas permanents, qui sont tous devenus des cinémas pornos par la suite, étaient de véritables fourmilières humaines!

Un genre de film particulier était-il programmé dans certains cinémas?

J’ai fréquenté le CINÉAC-ITALIENS dans le quartier de Richelieu-Drouot: ce cinéma programmait des rétrospectives de grands films populaires. Je me souviens de festivals « James Bond », de films avec  l’acteur le plus populaire de l’époque, Charles Bronson, de séries de l’Inspecteur Harry, de classiques du western, des films avec Alain Delon et Jean-Paul Belmondo, d’une série des Trois Mousquetaires, etc. Grâce à ces deux films au même programme, on pouvait voir les grandes sagas en une fois, comme aujourd’hui avec les DVD. Je me rappelle qu’il y avait deux films au programme: deux films avec Clint Eastwood « L’Inspecteur Harry » (Don Siegel – 1971) suivi de « Magnum Force » (Ted Post – 1973) ; « James Bond contre le Docteur No » (Terence Young – 1962) suivi de « Bons baisers de Russie » (Terence Young – 1963); « Borsalino » (Jacques Deray – 1970) suivi de « Borsalino & Cie » (Jacques Deray – 1974), etc.

Petit à petit, ces cinémas ont fermé les uns après les autres, ou bien se sont reconvertis dans le porno. Il restait tout de même l’increvable CHAMPO, dans le Quartier Latin. Je fréquentais aussi les cinémas ACTION, toujours dans le Quartier Latin, ainsi que la CINÉMATHÈQUE FRANÇAISE qui était à l’époque située au Palais de Chaillot, derrière le Musée de l’Homme dans le 16ème arrondissement.

Il y avait des cinémas plus chics comme le BONAPARTE, place Saint-Sulpice: j’ai assisté à un passionnant débat avec Claude Sautet à propos de son film « Classe tous risques » (1960). J’ai également fréquenté LA PAGODE, cinéma insolite d’architecture chinoise ainsi que LA ROTONDE, sur le boulevard du Montparnasse. Dans ce dernier, il était autorisé de fumer dans la salle, ce qui était franchement désagréable, parole de fumeur !

Le KINOPANORAMA m’a beaucoup marqué: la queue arrivait fréquemment jusqu’à la bouche du métro. Les grandes sagas hollywoodiennes faisaient le plein: « Autant en emporte le vent » (Victor Fleming – 1939), bien sûr mais aussi « Lawrence d’Arabie » (David Lean – 1962), « La Canonnière du Yang-Tsé » (Robert Wise – 1966), « La Conquête de l’ouest » (John Ford, Henry Hathaway, George Marshall – 1962), etc. Tous ces grands films avec entre-acte étaient joués au KINO. Plus tard, j’y ai vu « L’Année du Dragon » (Michael Cimino – 1985) ou « Le Grand Bleu » (Luc Besson – 1988). Selon moi, le KINO faisait partie des plus belles salles de cinéma de Paris.

Les années 1990 et 2000 voient une restructuration des salles (concentration, modernisation, etc.). Le spectateur a-t-il gagné au change?

Il est indéniable que la qualité des projections dans les salles de cinéma actuelles est nettement supérieure à ce qui existait auparavant. Dans les années 1970, on a assisté à la prolifération de multisalles (la grande salle originelle était compartimentée en plusieurs salles). Les salles sont devenues toutes petites et franchement pas confortables. Il y avait parfois des salles d’une capacité de seulement 40 à 50 fauteuils ! Souvent, on était placé  beaucoup trop près de l’écran et la qualité de la pellicule laissait à désirer. Les spectateurs râlaient beaucoup. Même la qualité de la télévision actuelle est bien meilleure que dans ce genre de cinémas d’alors! Cerise sur le gâteau, il était parfois plus facile et moins cher de rentrer par la sortie du cinéma ! Les cinémas actuels sont bien plus confortables, c’est certain.

Que vous inspirent les multiplexes ? Comment le photographe que vous êtes les perçoit-il?

Selon moi, un beau cinéma avec des lettres qui brillent, ça fait rêver ! Ces gros cubes laids ne me font pas du tout rêver. Je pense avoir résumé mon point de vue sur le multiplexe ! Où sont donc passées les belles façades de cinéma comme celle du PARAMOUNT OPÉRA ou du GRAND REX quand on les compare avec les multiplexes d’aujourd’hui? Où sont les belles et grandes devantures qui étaient placardées d’affiches, parfois de véritables chefs d’œuvres d’illustrateurs, qui nous faisaient tant rêver? Parfois, des ajouts rendaient l’affiche très commerciale comme « pour la première fois à l’écran », « Qui a tué …? » ou « Bronson dans la mafia » pour illustrer un titre de film avec l’icône du film d’action américain.

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