Pour les fêtes de la fin de l’année 1962, Taras Bulba est proposé durant six semaines au Gaumont-Palace ainsi qu’à l’Ermitage des Champs-Élysées qui le propose la version originale. Ce film à grand spectacle réalisé par J. Lee Thompson est découvert par 126 630 personnes dans la majestueuse salle de la Gaumont. Suivent, entre autres, Mathias Sandorf (Georges Lampin, d’après l’œuvre de Jules Verne) avec Louis Jourdan à partir du 14 février 1963 ou bien Vénus impériale (Jean Delannoy) avec Gina Lollobrigida et Stephen Boyd, la vedette de Ben-Hur, dès le 6 avril de la même année. Mais l’événement reste, le 19 juin 1963, les prolongations du Jour le plus long (Ken Annakin, Andrew Marton, Bernhard Wicki, Gerd Oswald et Darryl F. Zanuck) qui sort d’une longue exclusivité dans les salles de l’Ambassade et du Richelieu.

Le Gaumont-Palace l’accueille à partir du 19 juin 1963, avec trois séances par jour et des prix de places majorés, allant de 6 à 8 francs. 107 203 spectateurs viennent voir ou revoir, en plein été et durant 8 semaines, dans le grand cinéma de la place Clichy ce film-événement. Après une dernière projection du péplum La Bataille des Thermopyles (Rudolph Matéle), le Gaumont-Palace ferme ses portes le 29 août au soir afin de mener d’importantes transformations.

La deuxième salle Cinérama de Paris.

En effet, les rendements médiocres dans le contexte de l’exploitation à cette période mettent en relief la difficulté d’exploiter une salle avec une telle capacité d’accueil. Pour enrayer la baisse de la fréquentation, la solution se tourne vers l’innovation : la transformation de la salle de la place Clichy en une salle Cinérama, un procédé qui a le vent en poupe et qui est équipé dans de nouvelles salles. Le 24 juin 1963, un accord est ainsi signé entre Jean Le Duc, président de la S.N.E.G. (Société Nationales des Établissements Gaumont) et Nicolas Reisini, président de Cinérama-France. Un écran de 600 mètres carrés – le double de l’écran existant – est prévu lors des importants travaux supervisés par Georges Peynet, l’architecte maison de la Gaumont. Pourtant, dès cette époque, la possibilité d’une fermeture définitive du cinéma est déjà prévue par la S.N.E.G.

Georges Peynet prévoit l’installation de trois cabines de projection dans la mezzanine et l’installation du nouvel écran géant concave. La revue La Technique cinématographique commente ce nouveau chantier du Gaumont-Palace : « Comme le nouvel écran empiète largement sur l’espace de l’ancienne salle, il a fallu désaffecter un certain nombre de fauteuil de l’Orchestre (…) 1850 fauteuils ont pu être conservés au parterre, avec un angle de visibilité favorable pour la grande majorité d’entre elles. A la mezzanine, quelques fauteuils de loges ont été sacrifiés pour l’implantation des trois nouvelles cabines, mais il reste 550 places de choix ».

Ci-dessus: la salle Cinérama avec ses trois cabines en mezzanine.

Ci-dessus: le nouvel écran Cinérama.

Ci-dessus: le couloir qui mène à l’orchestre.

Ci-dessus: plan de la nouvelle salle projetant la suppression à l’orchestre des premières et dernières rangées de fauteuils.

Ci-dessus: croquis de la salle Cinérama.

Durant les années 1950 et 1960, le balcon supérieur du Gaumont-Palace est souvent fermé, faute de remplissage de la salle et d’une visibilité peu optimale. Pour la mise en place du Cinérama, il reste fermé car n’est pas compatible avec le nouveau procédé. L’immense rideau d’écran, avec les masques latéraux, « embrasse un angle de 165° autour du centre de courbure de l’écran. Il est en soie de verre du ton jaune et or en harmonie avec la décoration existante de la salle ». Sept canaux pour la stéréophonie enveloppent les spectateurs, « les haut-parleurs d’ambiance sont répartis à raison d’une batterie de chaque côté de la salle, derrière les masques latéraux qui terminent le rideau et deux batteries à l’arrière de chaque étage ». Enfin, cinq ensembles de haut-parleurs sont répartis derrière l’écran.

Avec une courbure en arc de cercle de 120° et un développement de 40 mètres de largeur sur 14,25 mètres de hauteur, l’écran du Gaumont-Palace est constitué d’environ 4 000 bandelettes de plastique perforées orientées de façon à ce qu’elles renvoient la lumière vers l’assistance.

Ci-dessus: l’ingénieur du son dans la cabine centrale de la mezzanine.

Ci-dessus: un des projecteurs, dans la cabine latérale.

Les trois cabines sont installées au fond de la mezzanine permettant ainsi d’être placées à hauteur du milieu de l’écran. Trois cabines latérales sont positionnées de façon que leurs axes de projection éliminent au maximum les déformations. La Technique cinématographique évoque le matériel de projection : « les projecteurs sont des Century 21 35 mm (…) la cadence est de 24 images secondes, elle était de 26 images secondes dans les premières productions Cinérama, mais elle a été ramenée à 24 ». La cabine centrale est équipée du « rack de lecture de son. C’est le procédé classique du Cinérama à 7 pistes inscrites parallèlement entre perforations sur un film magnétique (…) Il y a 5 pistes pour les canaux derrière l’écran et 2 pistes pour les sons d’ambiance gauche et droite. Les diffuseurs d’ambiance arrière peuvent être reliés avec ceux de gauche ou de droite à volonté, suivant un programme prédéterminé ».

Ci-dessus: le film inaugural du Gaumont-Palace-Cinérama.

Ci-dessus: les deux salles Cinérama de Paris.

La Conquête de l’Ouest (Henry Hathaway, John Ford et George Marshall, 1962), qui a déjà réalisé 436 062 entrées en première exclusivité à l’Empire-Cinérama durant 42 semaines, est le premier programme Cinérama du Gaumont-Palace. La dernière projection du western dans la salle de l’avenue de Wagram a lieu le 16 septembre 1963. Le lendemain, La Conquête de l’Ouest est à l’affiche du nouveau Gaumont-Palace Cinérama où, sur la façade, là où trônaient habituellement trois enseignes lumineuses Gaumont, celle du milieu est remplacée par Cinérama.

La publicité annonce un écran de 670 m² et, fièrement, insiste sur ses dimensions : « Ils n’en ont pas en Amérique. » La réputation du « plus grand écran du monde » commence dès lors. Quelle que soit la véracité de la publicité, quiconque découvre l’écran Cinérama du Gaumont est impressionné, comme le souligne la revue La Technique cinématographique : « Dès que la projection commence, il est tout à fait évident que le procédé Cinérama donne au Gaumont-Palace la plénitude de ses possibilités qui sont celles d’un spectacle exceptionnel et particulier. La salle et l’écran sont à sa mesure. Il est délivré des déformations géométriques de la projection qui l’entachaient dans les autres salles d’Europe. L’image est excellente et bien éclairée ». La revue conclut en évoquant la difficulté des raccords des trois images projetées qui « sans être entièrement résolues a été minimisée grâce à des soins particuliers ». Ce problème de raccord nuira au procédé Cinérama.

Contrairement à ce qui se pratiquait à l’Empire, il n’est pas nécessaire de réserver ses places pour La Conquête de l’Ouest au Gaumont-Palace où, pour son premier programme en Cinérama, le film attire 442 038 spectateurs pendant 32 semaines. Au total, 878 100 spectateurs s’y rendent lors de l’exclusivité à l’Empire puis au Gaumont-Palace.

Mais l’installation du Cinérama ne s’arrête pas là : la S.N.E.G. annonce dès 1963 un projet qui prévoit des transformations majeures. Dans son édition du 16 novembre 1963, La Cinématographie française évoque la transformation prochaine du cinéma : « Le Gaumont-Palace va se transformer. Le projet à l’étude depuis longtemps prévoit en particulier : la construction d’un immeuble commercial ; la construction d’une salle de 2000 places en sous-sol, avec parking souterrain y faisant suite ; la création d’une rue transversale passant derrière le Gaumont, le long du cimetière. Le rez-de-chaussée de l’immeuble pourrait être occupé par un super-market, tandis que la terrasse serait réservée à un restaurant couvert ». Le contrat de quatre années signé avec Cinérama est une transition avant la démolition et la reconstruction de l’édifice.

Le second programme Cinérama est Un monde fou, fou, fou, fou (Stanley Kramer) avec en vedette Spencer Tracy ainsi qu’une pléiade de personnalités comiques. Le procédé triple projection est remplacé par le Super-Panavision 70, projeté sur la même surface d’écran que la triple projection Cinérama. Ainsi, contractuellement, le film bénéficie du logo Cinérama dans le monde entier puisqu’il sort en exclusivité mondiale dans les salles Cinérama. Après une exclusivité à l’Empire où il enregistre 187 219 spectateurs, Un monde fou, fou, fou, fou poursuit sa carrière sur l’écran de la place Clichy à partir du 29 avril 1964 que « seulement » 84 580 spectateurs visualisent en 10 semaines.

À partir du 8 juillet 1964, une rétrospective des films en triple-projection Cinérama est proposée au Gaumont-Palace avec la reprise des films déjà sortis à l’Empire depuis 1955 :  Voici le Cinérama (Merian C. Cooper et Ernest B. Schoedsack, 1952), Cinérama Holiday (Robert L. Bendick et Philippe De Lacy, 1955), Les Sept Merveilles du monde (Ted Tetzlaff, 1956) et Les Aventures des Mers du Sud. Malgré ces productions déjà désuètes et à l’esthétique de carte postale, ce festival accueille tout de même 137 685 spectateurs durant l’été.

Ci-dessus: La Chute de l’Empire romain (Anthony Mann).

La Chute de l’Empire romain (Anthony Mann) débarque au Gaumont-Palace après 24 semaines d’exclusivité à l’Empire-Cinérama. Cette production de Samuel Bronston réunit 137 183 spectateurs supplémentaires dans la salle de la place Clichy. Le peu de films susceptibles d’alimenter les deux salles Cinérama parisiennes et la capacité hors norme du Gaumont-Palace vont amener ce dernier à effectuer à nouveau des sorties exclusives de films, à l’instar des Premiers Hommes dans la Lune (Nathan Juran) avec les effets spéciaux de Ray Harryhausen, présenté en 70 mm à partir du 23 décembre 1964. Il est suivi le 15 janvier 1965 par Les Cavaliers rouges (Hugo Fregonese), adaptation yougo-italo-franco-allemand mettant en scène le personnage populaire de Winnetou.

Du Cinérama au 70 mm.

Pour la sortie le 5 mars de La Reine du Colorado (Charles Walters) avec Debbie Reynolds, la Metro-Goldwyn-Mayer organise pour son lancement – où 125 journalistes sont invités – un barbecue géant dans le hall du cinéma. L’orchestre Les Haricots rouges reprend des airs du folklore américain dans une ambiance Far-West. Après un incroyable succès au Radio-City-Music-Hall de New-York, La Reine du Colorado se contente de 32 380 spectateurs en sortie exclusive au Gaumont.

S’ensuit une série de reprises de productions en 70 mm, mais le public reste frileux et les rendements médiocres. C’est avec la sortie exclusive du documentaire japonais Tokyo Olympiades (Kon Ichikawa) que le Gaumont-Palace retrouve des couleurs avec 148 743 entrées en neuf semaines.

Ci-dessus: My Fair Lady (George Cukor, 1964) attire les foules au Gaumont-Palace.

Depuis le 22 décembre 1964, My Fair Lady (George Cukor) triomphe à l’Empire-Cinérama qui, pour cette occasion, propose pour la première fois un film en version originale. Ce chef-d’œuvre d’élégance en 70 mm, à l’instar de West Side Story présenté en road-show avec réservation des places, est acclamé par la critique et le public qui fredonne les chansons de la comédie musicale, dont la version française arrive au Gaumont-Palace le 1er octobre 1965. Porté par Audrey Hepburn, My Fair Lady obtient un grand succès – chose rare pour une comédie musicale en France – et enregistre 431 673 entrées à l’Empire-Cinérama en 43 semaines et 214 796 au Gaumont-Palace-Cinérama en 16 semaines.

La Plus Grande Histoire jamais contée (George Stevens) filmé en Ultra-Panavision 70 est projeté sur toute l’immense surface de l’écran et bénéficie ainsi dans le monde entier du logo « Présenté en Cinérama », tout comme le film de John Sturges Sur la piste de la grande caravane. Mais aucun de ces deux films présentés à l’Empire-Cinérama puis au Gaumont-Palace-Cinérama, respectivement les 21 janvier et 6 avril 1966 ne rencontre de succès. L’échec de La Grande Course autour du monde (Blake Edwards) avec Jack Lemmon et Tony Curtis confirme la lassitude du public pour les superproductions, ce qui amène le Gaumont-Palace à accueillir des films mineurs comme le film d’espionnage italien Istanbul, carrefour de la drogue (Alex Butler) le 5 août 1966.

Ci-dessus: Sur la piste de la grande caravane (John Sturges, 1965).

Ci-dessus: Khartoum (Basil Dearden, 1966).

Ci-dessus: Guerre et Paix (Sergueï Bondartchouk, 1966).

Le contrat avec Cinérama France implique une sortie conjointe du film d’aventure Khartoum (Basil Dearden) et bénéficiant du logo « Présenté en Cinérama » avenue de Wagram en version originale et place Clichy en version française. Malgré une importante publicité, « seulement » 95 058 spectateurs poussent les portes du Gaumont-Palace durant ses 9 semaines d’exploitation démontrant une nouvelle fois l’usure de la formule. La S.N.E.G. se tourne vers le triomphe qui se déroule au Kinopanorama pour le film soviétique Guerre et Paix (Sergueï Bondartchouk) et le sort en 70 mm au seul Gaumont-Palace à partir du 16 décembre 1966 où 104 864 spectateurs l’applaudissent.

Tourné en partie en France, Grand Prix (John Frankenheimer) sort le 11 mars 1967 dans les deux salles Cinérama de Paris. Malgré la présence d’Yves Montand au casting, le film ne trouve pas son public. L’année 1967 se termine avec des films mineurs plaçant le Gaumont-Palace comme une banale salle de quartier. Parmi ces films, citons le western spaghetti Un dollar entre les dents (Luigi Vanzi) le 2 août 1967, le film d’espionnage Bagarre à Bagdad pour X-27 (Paolo Bianchini) le 16 août, la comédie policière Du mou dans la gâchette (Louis Grospierre) le 30 août ou bien le kitchissime Les Daleks envahissent la Terre (Gordon Flemyng) le 20 octobre.

En cette fin des années 1960, le déclin du Gaumont-Palace est engagé comme le témoigne les chiffres de sa fréquentation sur les dix dernières années : pour l’année 1957, 1 342 000 entrées sont enregistrées; en 1959, 1 098 000 ; en 1961, 882 000 ; en 1963, 668 000 ; en 1966, 518 000 et en 1967, 424 000 entrées. Pendant ce temps, le concurrent historique du boulevard Poissonnière, le Rex, dépasse largement le million de spectateurs chaque année…

Alors que Le Film français rappelle dans ses colonnes en date de l’année 1966 le projet de transformation qui remonte trois ans plus tôt, le sort du plus grand cinéma du monde semble désormais fixé.

Episode précédent: Le Gaumont-Palace: le Super Technirama 70 (1959-1962).

Episode suivant: Le Gaumont-Palace: le chant du cygne (1968-1972).

Textes: Thierry Béné
Documents: Le Film français, La Cinématographie française, La Technique cinématographique, Le Courrier du CNC, France-Soir, Gaumont.


Portfolio.

Ci-dessus: prolongations du Jour le plus long (Ken Annakin, Andrew Marton, Bernhard Wicki, Gerd Oswald et Darryl F. Zanuck, 1962)

Ci-dessus: les dernières séances de La Conquête de l’ouest (Henry Hathaway, John Ford et George Marshall, 1962).

Ci-dessus: Festival Cinérama.

Ci-dessus: Vénus impériale (Jean Delannoy, 1962). 

Ci-dessus: Les Clés de la citadelle (Cliff Owen, 1962).

Ci-dessus: Mathias Sandorf (Georges Lampin, 1963).

Ci-dessus: My Fair lady (George Cukor, 1964).

Ci-dessus: Les Premiers hommes dans la lune (Nathan Juran, 1964).

Ci-dessus: La Reine du Colorado (Charles Walters, 1964).

Ci-dessus:Tokyo Olympiades (Kon Ichikawa, 1965).

Ci-dessus: La Grande Course autour du monde (Blake Edwards, 1965).

Ci-dessus: Grand Prix (John Frankenheimer, 1966).

Ci-dessus: Du mou dans la gâchette (Louis Grospierre, 1967)

Ci-dessus: Les Guerriers (Sergiu Nicolaescu) à l’affiche le 31 mai 1967.

Ci-dessus: Yankee (Tinto Brass) à l’affiche le 6 octobre 1967.