Au cours de la décennie 1950 qui voit évoluer le parc des salles avec l’arrivée du grand écran et du son stéréophonique, le Gaumont-Palace propose une capacité, toutes séances confondues, de 18 680 fauteuils par jour, une aubaine pour les distributeurs. Mais cette formule s’essouffle progressivement.

L’année 1951 commence au Gaumont-Palace avec un succès, Cendrillon. Le film d’animation de Walt Disney recueille 226 354 spectateurs dans le plus grand cinéma de Paris. Cette même année aux États-Unis, des exploitants décident de proposer des programmes de télévision dans leurs salles afin de contrecarrer la concurrence que ce nouveau media représente. Il s’agit, déjà à cette époque, de proposer des événements en direct comme contenu alternatif aux films. De plus, ces programmes de télévision projetés au cinéma peuvent représenter un complément de programme avant un grand film.

Retransmissions télévisées et procédé Cinépanoramic. 

En France en 1951, la S.N.E.G. (Société Nouvelle des Établissements Gaumont) propose pendant un mois dans son cinéma parisien Madeleine cette formule et tente de l’adapter pour l’immense Gaumont-Palace. La S.N.E.G. précise dans les colonnes de la Cinématographie française : « Il ne faut pas que les spectateurs restent chez eux pour regarder la télévision. Ils la verront plus confortablement au cinéma et dans de meilleures conditions techniques ». Cette formule est surtout utilisée plus tard, en particulier pour la diffusion des Jeux Olympiques, entre autres, au Rex ou au Cyrano de Versailles.

Le 5 mai de cette même année 1951, l’Amicale et les œuvres sociales de la S.N.E.G. organisent la fameuse Nuit du cinéma placée sous le haut patronage de M. le Président de la République. De nombreuses vedettes du cinéma, du music-hall et de la radio répondent présents avec parmi elles : Claude Dauphin, Danièle Delorme, Paulette Dubost, Maurice Escande, Daniel Gélin, Robert Lamoureux, Luis Mariano, Roger Nicolas ou Jeanne Sourza…

Ci-dessus: l’affiche de la Nuit du cinéma, 1951.

L’ambiance musicale est créée par Pierre Pagliano et ses Tziganes ainsi que Tommy Desserre aux fameuses grandes orgues. Les spectateurs de la Nuit du cinéma assistent à la projection du nouveau film de Robert Dhéry Bertrand cœur de lion. Les artistes et le personnel des établissements Gaumont travaillent tous bénévolement lors de cet événement. Les élèves du cours Simon se chargent de la vente des programmes.

Fernandel, Martine Carol, Jean Gabin, Danielle Darrieux, Michèle Morgan, Pierre Fresnay, Françoise Arnoul… Toutes les grandes vedettes de l’époque occupent l’écran du cinéma de la place Clichy avec, entre autres, Topaze (Marcel Pagnol) le 31 janvier 1951, L’Étrange Madame X (Jean Grémillon) le 20 juin, Le Petit monde de Don Camillo (Julien Duvivier) le 4 juin 1952 – qui enregistre 253 697 entrées en 6 semaines -, Le Fruit défendu (Henri Verneuil) le 24 septembre 1952, La Minute de vérité (Jean Delannoy) le 22 octobre, Le Retour de Don Camillo (Julien Duvivier) le 3 juin 1953 (292 784 entrées) ou Le Bon Dieu sans confession (Claude Autant-Lara) le 7 octobre 1953.

Ci-dessus: Carnaval (Henri Verneuil) le 23 septembre 1953.

Alors au début de sa longue carrière, le producteur de la Gaumont Alain Poiré ambitionne de proposer aux spectateurs des films de qualité susceptibles de plaire au grand public. Il va permettre à la société à la marguerite de se positionner à nouveau au premier plan dans la production cinématographique française. Un grand nombre de ses productions occupent l’écran de l’emblématique salle de la Gaumont à l’instar de Caroline Chérie (Richard Pottier) à partir du 21 février 1951, interprété par la séduisante Martine Carol que l’on retrouve dans Un Caprice de Caroline Chérie (Jean Devaivre) dès le 4 mars 1953, La Poison (Sacha Guitry) avec le génial Michel Simon à partir du 28 novembre 1951, Les Révoltés de Lomanach (Richard Pottier) le 7 avril 1954, Le Fil à la patte (Guy Lefranc), Le Fils de Caroline Chérie (Jean Devaivre), dès le 9 mars 1955 mais cette fois sans Martine Carol et avec la nouvelle venue Brigitte Bardot et surtout le film de Robert Bresson Un Condamné à mort s’est échappé dès le 2 novembre 1956. Ce chef d’œuvre d’après le récit autobiographique d’André Devigny et interprété par François Leterrier est accompagné sur scène de l’Orchestre National Tzigane de Budapest. Distribué par Gaumont, French Cancan de Jean Renoir sort le 27 avril 1955 au Gaumont-Palace.

À l’automne 1953, alors que le CinemaScope est proposé aux Rex et Normandie pour la sortie de La Tunique (Henry Koster), le premier film exploité en CinemaScope, le Gaumont-Palace décide de s’équiper avec le procédé Cinépanoramic. L’écran est fabriqué spécialement pour la S.N.E.G. aux États-Unis et installé par la société Westrex. Le Film français dans son numéro 500 commente cette innovation : « cet écran atteint les dimensions gigantesques de 13,5 x 23 m, soit la hauteur d’une maison de quatre étages. Il peut satisfaire la projection des films de tout format, depuis les proportions standard normales 1 X 1,33, jusqu’au standard international large 2,55 X 1 (CinemaScope et Cinépanoramic) » Des tentures mobiles qui permettent de faire varier les proportions de l’écran sont installées par l’architecte Georges Peynet.

Ci-dessus: l’ancien écran vu de la scène.

Ci-dessus: installation du nouvel écran Cinépanoramic.

Ci-dessus: le nouvel écran Cinépanoramic.

La Cinématographie française commente dans son édition du 24 octobre 1953 la nouvelle installation : « Afin de couvrir largement cet écran, la S.N.E.G. a également fait installer deux nouvelles lanternes dans la cabine du Gaumont-Palace (…) montées sur des projecteurs Radion « le plus lumineux du monde » nous a précisé M Letheuil, directeur des services techniques de la S.N.E.G. Une intensité de 130 ampères est fournie. Les objectifs sont choisis dans une gamme allant de 60 à 80 mm de focale ». La cabine est également équipée d’une installation sonore magnétique destinée à la stéréophonie, quatre batteries de haut-parleurs supplémentaires sont montées sur la scène, derrière l’écran et dans la salle.

C’est le film de Christian-Jaque Lucrèce Borgia qui permet au public, dès le 23 octobre 1953, de découvrir pour la première fois les formes généreuses de Martine Carol sur l’écran panoramique géant. Suivent Les Orgueilleux (Yves Allégret) avec le couple mythique Michèle Morgan et Gérard Philipe le 25 novembre 1953, Les Aventures de Peter Pan (Walt Disney) le 23 décembre de la même année ou encore l’incontournable Si Versailles m’était conté de Sacha Guitry dès le 10 février 1954 que 384 788 spectateurs viennent applaudir pendant huit semaines consécutives au Gaumont.

Une restructuration sous la houlette de Georges Peynet.

En 1955, le Cinérama est installé dans la majestueuse salle de l’avenue de Wagram, l’Empire.  D’emblée, c’est un triomphe public. De son côté, la S.N.E.G., qui rénove ses salles depuis 1948, entame la restructuration du plus grand cinéma d’Europe, image de marque de la Gaumont. Les travaux sont confiés à Georges Peynet, architecte à l’origine de plusieurs créations ou rénovations pour la maison Gaumont. Une première tranche de travaux, qui débute durant l’année 1954, concerne la transformation complète de la façade et du hall, la réfection des couloirs d’accès, le prolongement de la marquise pour le confort de la file d’attente ainsi que le changement des fauteuils de la vaste corbeille. Durant l’été 1955, la seconde tranche des travaux débute à l’intérieur du cinéma : la scène et les toilettes sont transformées, le bar de l’orchestre rénové.

Ci-dessus: la transformation de la façade avec Le Mouton à cinq pattes (Henri Verneuil) à l’affiche le 22 décembre 1954.

Ci-dessus: la transformation du hall, 1954.

Ci-dessus: la salle pendant les travaux de restauration.

Ci-dessus: destruction de la fosse d’orchestre pour construire l’escalier menant à la scène.

Ci-dessus: la salle pendant les travaux de restauration.

Ci-dessus: maquette de la nouvelle scène, 1954.

Ces travaux, qui durent trois mois, n’interrompent pas l’exploitation de la salle, ne serait-ce qu’une journée. Un écran provisoire, qui mesure 17 m sur 10 m, est placé sur un échafaudage tubulaire installé devant la scène. Le Film français, dans son numéro 597, revient sur ces modifications: « Cet échafaudage permit en même temps de masquer les travaux de transformation de la scène. Agrandissement en largeur par suppression des pylônes de côté, en profondeur par suppression de la rampe de scène et de la fosse d’orchestre, remplacée par un escalier monumental sur toute la largeur de la salle ». L’enjeu pour la S.N.E.G. est d’écraser la concurrence, de garantir le confort des spectateurs et permettre au public de bénéficier des dernières innovations techniques. Son premier concurrent, le Rex, est limité dans la capacité d’aménagement de formats larges en raison de son arche de scène. Aussi, la taille de l’écran Cinémascope du Rex sera dépassée par de nombreux cinémas.

Le Film français retrace les changements opérés au Gaumont-Place : « La scène mesure désormais 26 mètres de largeur sur 9 mètres de profondeur, l’escalier la prolongeant de 4,50 m en profondeur a 38 m de large. L’écran qui est « le plus grand du monde » mesure 24 mètres de largeur sur 13 m de hauteur (…) Étant donné la dimension de la salle, la peinture a posé un grave problème. Il a été résolu par un pont roulant se déplaçant au ras du plafond sur 50 mètres dans la longueur de la salle (…) C’est de ce pont qu’a été projetée la peinture sur le plafond ».

Ci-dessus: la salle rénovée, 1955.

Ci-dessus: la salle rénovée, 1955.

Ci-dessus: la salle rénovée avec l’escalier menant à la scène, 1955.

Ci-dessus: la salle rénovée vue de la corbeille, 1955.

Ci-dessus: la salle rénovée avec l’écran Cinémascope, 1955.

Comme la plupart des salles de cinéma de l’époque, les murs sont revêtus de tissu d’amiante décoratif assorti en couleurs à l’immense rideau de scène. La revue revient sur les rideaux de scène : « La scène, elle-même, dotée d’une imposante succession de plans de rideaux frises et pendrillons réglables en hauteur et en largeur et en drapé, permet sur un nouveau plancher horizontal, la présentation des attractions les plus variées bénéficiant d’un équipement électro-acoustique ultra moderne de renforcement sonore et à un éclairage intense par batterie de projecteurs ». L’éclairage de la salle a lui-même évolué « en associant lumière froide des tubes fluorescents aux projecteurs et à des lampes à incandescence de 4 couleurs, disposées en rampe dans les corniches et les gorges permettant d’obtenir des effets décoratifs mouvants d’une grande variété sur les tentures murales d’amiante crème, leurs filigranes et les rideaux de soie de verre coronisée de ton or ».

Au cours de cette rénovation, les moquettes installées dans les passages entre les sièges et appliquées sur les murs de soubassement de la corbeille ont été changées, les fauteuils modernisés « avec utilisation de matelassage en caoutchouc mousse sur carcasse à ressort ». Pour compléter ces transformations, le grand bar destiné à l’orchestre et à la corbeille est complètement transformé et modernisé autour d’un vaste comptoir central dont le développé atteint près de 30 mètres de long.

L’orgue reste à sa place, mais il est escamoté sous une partie de l’escalier – construit à la place de la fosse d’orchestre – qui se soulève pour le laisser monter.

Le nouvel écran géant est occupé par des productions spectaculaires comme la reprise le 20 juillet 1955 en panoramique d’Autant en emporte le vent (Victor Fleming, 1939) à un tarif normal des places toutefois augmentées de 50% comme cela se faisait pour les superproductions. Durant cinq semaines d’exploitation, la reprise d’Autant en emporte le vent enregistre 156 948 entrées avec 3 séances quotidiennes. Suivent la production Disney Vingt Mille Lieues sous les mers (Richard Fleischer) le 21 septembre 1955 avec 149 777 entrées, L’Affaire des poisons (Henri Decoin) le 4 novembre 1955, La Belle et le Clochard (Walt Disney) le 23 décembre 1955 et Si Paris nous était conté (Sacha Guitry) le 27 janvier 1956.

Ci-dessus: Vingt Mille Lieues sous les mers (Richard Fleischer) le 21 septembre 1955.

Ci-dessus: La Belle et le Clochard (Walt Disney) le 23 décembre 1955.

Durant cette décennie, le Gaumont-Palace continue à accueillir les habituelles Nuits du cinéma ainsi que des séances scolaires le matin et d’autres manifestations. Les attractions sur scène se font plus rares et sont désormais réduites à quelques numéros de music-hall, loin des fastes d’antan.

De moins en moins de spectateurs.

Malgré ces succès notables, le Gaumont-Palace connaît au milieu des années 1950 un important fléchissement de ses entrées correspondant à la chute de la fréquentation en France durant cette période. Malgré les vedettes populaires à l’affiche, les films ne permettent plus de remplir l’immense salle de la place Clichy à l’instar du Couturier de ces dames (Jean Boyer) le 13 avril 1956, Le Long des trottoirs (Léonide Moguy) le 18mai 1956, Le Sang à la tête (Gilles Grangier) le 10 août 1956, Honoré de Marseille (Maurice Regamey) le 11 janvier 1957, L’Homme à l’imperméable (Julien Duvivier) le 22 février 1957, Sait-on jamais… (Roger Vadim) le 31 mai 1957, Tamango (John Berry) le 24 janvier 1958, Les Girls (George Cukor) le 4 avril 1958 ou bien Maxime (Henri Verneuil) le 26 novembre 1958.

Il faut dire qu’un redoutable concurrent ouvre à deux pas du Gaumont, le Wepler-Pathé qui propose dans sa salle moderne de 1 700 places des films très populaires. Alors que Charles Chaplin se déplace le 30 octobre 1957 au Gaumont-Palace pour la sortie de son film Un Roi à New-York, le film n’accueille « que » 114 278 spectateurs en quatre semaines.

La décrue se poursuit en 1959 et la rumeur va bon train : la S.N.E.G. pourrait bien mettre fin à l’exploitation de son ciné-palace. De 1950 à 1954, le Gaumont-Palace maintient sa fréquentation annuelle entre 1 700 000 à 1 600 000 entrées pour chuter à 1 340 000 en 1957 et 1 098 000 en 1959 ce qui correspond à une perte de 700 000 spectateurs en 5 ans). Pour l’exploitant, il est indispensable de trouver une formule adéquate qui correspond à la monumentalité de l’établissement. À la fin de l’année 1959, un nouveau type d’exploitation accorde un sursis au Gaumont-Palace.

Episode précédent: restriction et opulence (1945-1950).

Episode suivant: le Super Technirama 70 (1959-1962).

Texte: Thierry Béné.
Documents: Le Film français, La Cinématographie française, La Technique cinématographique, Gallica-BnF, Gaumont, France-Soir.


Porfolio.

Ci-dessus: Caroline Chérie (Richard Pottier) le 21 février 1951.

Ci-dessus: Blanche-Neige et les Sept Nains (Walt Disney, 1937) pour la première fois au Gaumont-Palace le 29 août 1951.

Ci-dessus: Barbe-Bleue (Christian-Jaque) le 26 septembre 1951.

Ci-dessus: Les Mines du roi Salomon (Compton Bennett et Andrew Marton) le 17 octobre 1951.

Ci-dessus: Alice au pays des merveilles (Walt Disney) le 19 décembre 1951.

Ci-dessus: Chanson païenne (Robert Alton) le 13 février 1952.

Ci-dessus: Fanfan la Tulipe (Christian-Jaque) le 19 mars 1952.

Ci-dessus: David et Bethsabée (Henry King) le 21 mai 1952.

Ci-dessus: Le Petit Monde de don Camillo (Julien Duvivier) le 4 juin 1952.


Ci-dessus: Un Américain à Paris (Vincente Minnelli) le 10 septembre 1952.

Ci-dessus: La Minute de vérité (Jean Delannoy) le 22 octobre 1952.

Ci-dessus: Ivanhoé (Richard Thorpe) le 17 décembre 1952.

Ci-dessus: Le Salaire de la peur (Henri-Georges Clouzot) du 22 avril au 2 juin 1953.

Ci-dessus: L’Appel du destin (Georges Lacombe) le 29 juillet 1953.

Ci-dessus: Les Orgueilleux (Yves Allégret) le 25 novembre 1953.

Ci-dessus: Les Aventures de Peter Pan (Walt Disney) le 23 décembre 1953.

Ci-dessus: Un caprice de Caroline chérie (Jean Devaivre) le 4 mars 1954.

Ci-dessus: L’Affaire Maurizius (Julien Duvivier) le 2 juin 1954.

Ci-dessus: Par ordre du tsar (André Haguet) le 16 juin 1954.

Ci-dessus: Madame du Barry (Christian-Jaque) le 22 décembre 1954.

Ci-dessus: Napoléon (Sacha Guitry) le 23 mars 1955.

Ci-dessus: Haute Société (Charles Walters) le 8 février 1957.

Ci-dessus: La Loi du Seigneur (William Wyler) le 19 juin 1957.

Ci-dessus: Les Vendanges (Jeffrey Hayden) le 18 septembre 1957.

Ci-dessus: La Chatte (Henri Decoin) le 18 avril 1958.

Ci-dessus: Le Tour du monde en quatre-vingts jours (Michael Anderson) le 16 juillet 1958.


Ci-dessus: Rio Bravo (Howard Hawks) le 29 mai 1959.

Ci-dessus: La Mort aux trousses (Alfred Hitchcock) le 21 octobre 1959.

Ci-dessus: publicité corporative pour la rénovation de la salle en 1955.