Adresse: 6 rue Fénelon à Bordeaux (Gironde)
Nombre de salles: 1 puis 12
Aujourd’hui CGR Le Français

Véritable institution bordelaise, le Théâtre Français – qui remplace l’ancien Théâtre des Variétés – est l’œuvre de l’architecte Jean-Baptiste Dufart. Dans son ouvrage Ecrans magiques (Le Festin, 1995), Roland Castelnau évoque la genèse de cette longue histoire : « La tâche de l’architecte ne fut pas facile en raison de l’exiguïté du terrain et de sa forme triangulaire. Il eut la bonne idée de placer l’entrée de son théâtre dans l’angle aigu, ce qui s’est avéré particulièrement judicieux. L’inauguration eut lieu en 1801. Sur une superficie de 1850 m², le théâtre comprenait 1638 places assises. Les Bordelais découvraient avec plaisir un édifice néo-classique. La façade de forme semi-elliptique, ne manque pas de majesté. Les douze colonnes qui décorent le porche d’entrée sont d’ordre toscan. Celles de l’étage supérieur d’ordre ionique sont séparées par des balustres portant un simple entablement. La loggia intercalaire est décorée de guirlandes classiques, d’une discrète élégance ». Le 2 décembre 1855, un incendie détruit le beau théâtre. Alors que seuls la façade et les murs extérieurs sont préservés, un théâtre flambant neuf rouvre ses portes le 12 juin 1857. Arrive plus tard la Grande Guerre pendant laquelle la salle reste fermée.

Le cinématographe, qui fait son apparition dans les programmes du Français dès 1908, se généralise progressivement. La semaine du 22 août 1919, le film de D. W. Griffith Intolérance est à l’affiche du cinéma bordelais pour deux semaines, juste après sa découverte à Paris. Vanté par la publicité comme « le plus beau spectacle d’art que l’on ait réalisé à ce jour », le film interprété par Robert Harron et Mae Marsh est proposé deux fois par jour, en matinée à 14h30 et en soirée à 20h30. « Il est prudent de réserver ses places » est-il précisé à l’entrée du cinéma.

La programmation reste encore principalement dédiée aux théâtre et music-hall, comme la semaine du 26 septembre 1919 avec le spectacle sur scène du chanteur et comédien Félix Mayol. Parfois, un court métrage est inclus dans un spectacle comme Charlot voyage la semaine du 5 septembre 1919.

Le 10 octobre 1919, le Théâtre Français ferme ses portes pour quelques semaines de travaux. Lorsque la salle rouvre le 26 décembre, le Ciné-Attraction Théâtre Français – sa nouvelle enseigne – est désormais consacré au cinéma. Le quotidien La Petite Gironde évoque cette réouverture dans le numéro du 27 décembre 1919: « Le Théâtre Français désaffecté et voué au cinéma a fait sa réouverture vendredi (26 décembre) une brillante réouverture à laquelle était convié le Tout-Bordeaux. La façade a été restaurée et illustrée de motifs vert et or. La note se retrouve à l’intérieur, mariée aux couleurs vieux rose et abricot, sous des flots de lumière. La décoration de l’ensemble et du détail, le rideau brodé sobrement stylisé à la japonaise sont l’œuvre très réussie du Maître Artus. Pour leur prise de possession, les nouveaux Directeurs, MM Delso et Vand, ont présenté à leurs invités des films d’actualités et de guerre avec Signoret (L’Homme bleu) et le grand Charlot (Charlot fait du ciné) et deux numéros de music-hall dont le succès d’originalité a été énorme et mérité; l’imitateur d’instruments Léon Rogee et les prestigieux équilibristes Jonley dans leur numéro sensationnel, L’Echelle de la mort. L’impression heureuse produite par la salle, le programme et l’orchestre dirigé par M. Rouyer, est d’heureux augure pour l’avenir ».

Si la transformation en théâtre cinématographique est un succès, l’avenir de établissement est compromis. En effet, un nouvel incident survient la semaine du 30 janvier 1920 l’affiche propose, avant le film Le Travail réalisé par Henri Pouctal d’après le roman social d’Emile Zola Jacques le Fort, un spectacle de variétés avec Georgel incluant les danseurs Andrea et The, les acrobates Pollos et les Actualités. Le 5 février 1920 à 14h30, alors que la foule est encore à l’extérieur de la salle, un incendie se déclenche dans la cabine de projection et détruit entièrement le bâtiment. Une nouvelle fois, les murs extérieurs et la façade sont miraculeusement épargnés. Dans son ouvrage, Roland Castelnau évoque la reconstruction du Français: «Sa reconstruction permit de nombreuses améliorations et une décoration plus moderne. La grande salle comprend maintenant 1400 fauteuils et deux larges balcons qui peuvent accueillir six cents personnes. Son immense plafond peint par Emile Brunet (Apollon et les Muses) est éclairé par des lustres de la Belle Epoque. »

Ci-dessus: l’incendie du Théâtre Français en 1920.

La Petite Gironde du 22 décembre 1922 évoque la réouverture du Théâtre Français après sa destruction partielle: «L’incendie n’a laissé que les murs. C’est donc un théâtre complètement nouveau que nous avons contemplé jeudi soir (…) La salle dont le plan et la structure sont modernes, a reçu une décoration dans le goût du XVIIIè siècle (…) Le plan, fort bien conçu, réalise un travail spacieux et confortable, dans lequel tout a été combiné en vue de la commodité du spectateur. La décoration est formée de grandes lignes simples et pures et de motifs très riches et du meilleur goût ; elle s’inspire nettement et ouvertement de celle de notre Grand-Théâtre ». Le Théâtre Français rouvre avec l’opérette sur scène Ta bouche dont les dialogues sont signés Yves Mirande et les lyrics Albert Willemetz. La Petite Gironde commente ainsi: « Cette opérette est-elle bien à sa place dans un pareil cadre ?« 

En 1923, Madame Zappa, propriétaire du Français, cède son théâtre cinématographique à la Paramount qui gère la salle avec à sa direction M. Max Ruppa. Les films de la major hollywoodienne se succèdent sur l’écran: Le Calvaire de madame Mallory de Sam Wood avec Gloria Swanson la semaine du 2 novembre 1923, La Cage dorée du même réalisateur et avec la même grande vedette du muet celle du 8 février 1924 ou encore Des gens très bien de William C. DeMille avec en vedette Pola Negri le 25 avril 1924. Deux succès avec la star mondiale Rudolph Valentino – surnommée L’Amant du Monde – sont à l’affiche du Français: Arènes sanglantes de Fred Niblo le 28 juin 1924 et Le Cheik de George Melford le 10 juillet 1924, repris le 24 décembre 1926.

Le Cheik avec Rudolph Valentino

Ci-dessus: Le Cheik la semaine du 10 juillet 1924.

Ci-dessus: Mâles le 14 avril 1926.

Ci-dessus: Mondaine le 16 septembre 1927.

La Paramount poursuit l’envoi de ses productions – nous sommes encore à l’ère du muet – pour l’écran bordelais: Paradis défendu d’Ernst Lubitsch avec la star d’origine polonaise Pola Negri à l’affiche le 12 septembre 1925, Madame Sans-Gêne de la française Léonce Perret avec Gloria Swanson le 15 janvier 1926, Hôtel Imperial de Mauritz Stiller avec Pola Negri le 21 octobre 1927, le film policier Les Nuits de Chicago de Josef von Sternberg le 14 septembre 1928 ou bien Un homme en habit de Luther Reed avec Adolphe Menjou le 25 janvier 1929. Certaines semaines sont consacrées à des prestations d’artistes qui se produisent sur scène comme la chanteuse Yvette Guilbert à partir du 14 novembre 1924 ou le chanteur Alibert dès le 26 octobre 1928. C’est dans cette seconde moitié des années 1920 que sont plébiscités les cinéromans, à l’instar de Surcouf – un feuilleton en huit épisodes réalisé par Luitz-Morat et scénarisé par Arthur Bernède d’après le roman de Charles Cunat, à l’affiche du Français courant 1925.

Le sonore arrive enfin, et avec un grand renfort de publicité, dans la salle bordelaise avec le film Les Ailes de William A. Wellman la semaine du 22 février 1929. Avec la sortie le 29 novembre de la même année du film musical porté par Maurice Chevalier La Chanson de Paris de Richard Wallace, la salle, rebaptisée Paramount-Français, poursuit la programmation des productions Paramount mais également des films français en première vision à Bordeaux: Parade d’amour d’Ernst Lubitsch avec Maurice Chevalier et Jeanette MacDonald à partir du 27 juin 1930, Sous les toits de Paris de René Clair avec Albert Préjean le 24 octobre 1930 pour deux semaines ou bien la production Jacques Haïk Atlantis d’Ewald André Dupont et Jean Kemm avec Alice Field et Constant Remy dès le 5 décembre 1930.

Ci-dessus: Parade d’amour le 27 juin 1930.

Ci-dessus: réouverture du Paramount-Français le 24 septembre 1931.

Après une fermeture pour travaux durant l’été, la salle rouvre ses portes le jeudi 24 septembre 1931 avec Un homme en habit de René Guissart avec Fernand Gravey. Le journal local La Petite Gironde du 19 septembre 1931 revient sur l’événement: « Tous les Bordelais qui connurent l’admirable style Louis XVI, décor merveilleux de la salle du Théâtre Français, seront heureux de le retrouver dans une ambiance entièrement métamorphosée, grâce à l’ambiance heureuse d’une gamme de tons harmonieux, passant du gris Trianon au violine arc-en-ciel dont les ors s’enrichissent du chatoiement rose tendre des lustres de cristal ».

En 1930, la Paramount rachète les Studios de Saint-Maurice situés à la périphérie de Paris afin de produire des œuvres destinées au marché européen qui seront ensuite diffusées, concernant la France, dans les salles du circuit Paramount de Marseille, Lille, Reims, Toulouse et Bordeaux. On peut ainsi découvrir Il est charmant de Louis Mercanton avec Henri Garat et Meg Lemonnier à l’affiche le 11 mars 1932, La Belle Marinière de Harry Lachman  avec le jeune Jean Gabin le 18 janvier 1933, Topaze de Louis Gasnier avec Louis Jouvet le 2 février 1933 pour trois semaines ou bien Le Chasseur de chez Maxim’s de Karl Anton avec Tramel le 22 mars 1933.

Les productions outre-Atlantique du studio occupent l’écran du Français comme le polar Les Carrefours de la ville de Rouben Mamoulian avec Sylvia Sidney et Gary Cooper le 18 mars 1932 ou bien Blonde Vénus de Josef von Sternberg avec Marlene Dietrich le 9 mars 1933.

Un acteur montant de l’exploitation française, Léon Siritzky, fondateur de la Société des Cinémas de l’Est assure la gérance du Français à compter du 1er septembre 1933 avec la sortie du film La Poule de René Guissart avec l’humoriste Dranem. Les films Paramount continuent d’y être programmés en alternance avec des productions d’autres studios hollywoodiens ou des films français. Citons pour Paramount Le Signe de la croix de Cecil B. DeMille avec Claudette Colbert à l’affiche le 6 octobre 1933 ou Cléopâtre du même réalisateur avec Claudette Colbert dans le rôle-titre le 29 novembre 1934. Pour les productions nationales, on peut découvrir le film historique L’Agonie des aigles de Roger Richebé le 1er décembre 1933 ou bien la comédie Adémaï aviateur de Jean Tarride avec Noël-Noël et Fernandel le 4 octobre 1934 avec au même programme l’orchestre de Ray Ventura sur scène.

Ci-dessus: L’Impératrice rouge le 19 octobre 1934.

Pour le lancement le jeudi 19 octobre 1934 de L’Impératrice rouge de Josef von Sternberg, les Siritzky père et fils décident de programmer le film dans lequel Marlene Dietrich tient la vedette dans deux grandes salles d’exclusivité bordelaises le Français et l’Apollo. La campagne de lancement, une des plus importantes jamais vue à Bordeaux, retient l’attention du journaliste Gérard Coumau qui relate ses impressions dans La Cinématographie française du 24 novembre 1934: « La décoration des halls de ces deux établissements fut traité dans le style du film (…) Il est à  signaler la façade vraiment grandiose du Français, réalisée par un maître décorateur qui a déjà fait bien des merveilles (…) Les nombreuses affiches Paramount, dont il faut reconnaître les qualités de dessin et de couleurs, furent apposées en bonne place (…) Dans les moindres détails, on s’est inspiré du film et on a créé dans les salles une atmosphère. Que ce soit par la tenue du personnel, la décoration intérieure et jusqu’au programme créé spécialement et représentant plusieurs scènes du film avec la photo de Marlene Dietrich ».

M. Colin, alors directeur du Français, quitte ses fonctions en 1935 pour s’atteler à l’exploitation de l’Eden d’Arcachon. Le directeur de l’Apollo M. Coulon se voit nommé par les Siritzky directeur général du circuit Siritzky de Bordeaux qui regroupe les cinémas le Français, l’Apollo et le Capitole.

Désormais à la direction du Français, M. Braun y lance les grands films de cette seconde partie des années 1930: la superproduction Golgotha de Julien Duvivier avec Robert Le Vigan, Harry Baur et Jean Gabin le 5 avril 1935 pour trois semaines, le musical La Veuve joyeuse d’Ernst Lubitsch avec l’irrésistible duo Jeanette MacDonald et Maurice Chevalier le 27 septembre de la même année ou bien L’Équipage d’Anatole Litvak avec Annabella et Jean Murat le 20 décembre pour trois semaines.

Ci-dessus: diminution du prix des places en juillet 1935.

Ci-dessus: récital de Tino Rossi le 29 novembre 1935.

Ci-dessus: La Vie privée d’Henry VIII le 19 janvier 1934.

Ci-dessus: L’Admirable M. Ruggles le 5 juillet 1935. 

Ci-dessus: Le Billet de mille le 25 janvier 1935.

Cinéma Le Français à Bordeaux

Ci-dessus: la salle du Français en 1937.

Organisé par la ligue maritime et coloniale en présence de toutes les personnalités religieuses, militaires et civiles de Bordeaux, le grand gala du 5 juin 1936 fête la sortie de L’Appel du silence de Léon Poirier sur la vie du missionnaire Charles de Foucauld au Sahara. A l’affiche du Français pendant 11 jours, ce film auréolé du Grand Prix du Cinéma français en 1936 enregistre une recette de 145.000 francs qui constitue un record pour la saison. Parmi les grands films sortis durant la période 1937-1939, citons Les Bas-fonds de Jean Renoir avec Jean Gabin et Louis Jouvet la semaine du 7 janvier 1937, Les Perles de la Couronne de Sacha Guitry et Christian-Jaque le 28 mai 1937, Un carnet de bal de Julien Duvivier le 1er octobre 1937, La Grande Illusion de Jean Renoir le 22 octobre 1937, Désiré de Sacha Guitry le 28 janvier 1938 pour deux semaines, La Marseillaise de Jean Renoir le 28 février 1938, Quai des brumes de Marcel Carné le 31 septembre, Hôtel du Nord du même réalisateur le 10 mars 1939, La Bête humaine de Jean Renoir le 24 février ou encore Entente cordiale de Marcel L’Herbier le 28 avril 1939.

Quand la Seconde Guerre mondiale éclate, le film de John Ford La Chevauchée fantastique est à l’affiche du Français. La salle poursuit normalement son exploitation avec de grands succès comme Les Hauts de Hurlevent de William Wyler avec Merle Oberon et Laurence Olivier le 24 novembre 1939 ou Ils étaient neuf célibataires de Sacha Guitry qui attire en masse le public à partir du 20 décembre 1939 et engrange une recette de 231.400 francs en deux semaines. Les 12 et 13 avril 1940, Sacha Guitry en personne se produit sur la scène du Français devant un public bordelais conquis de voir le charismatique comédien. Après une dernière projection du film Nuits de bal d’Anatole Litvak avec Errol Flynn et Bette Davis, le grand cinéma de Bordeaux est réquisitionné par l’occupant qui le transforme en Soldaten kino exclusivement réservé aux Allemands et ce jusqu’à la Libération le 28 août 1944.

Ci-dessus: Le Quai des brumes le 1er octobre 1938.

Ci-dessus: Hôtel du Nord le 10 février 1939.

Ci-dessus: Sacha Guitry sur scène du 12 au 14 avril 1940.

Ci-dessus: réquisition du Français le 24 juillet 1940.

Placé sous séquestre après la Guerre, l’exploitation du cinéma est reprise par l’Union Générale Cinématographique (UGC) qui résulte de l’ancienne Société de Gestion et d’Exploitation des Cinémas (SOGEC), une firme aux capitaux allemands qui exploita pendant la Guerre des salles parisiennes comme le Marivaux, le Biarritz, le Moulin Rouge Cinéma, le César, le Normandie, l’Olympia, ou le Max-Linder.

En octobre 1945, Les Aventures de Robin des Bois (1938) de Michael Curtiz et William Keighley revient sur les écrans du Français et de l’Apollo. Gérard Courmau dans les colonnes de La Cinématographie française du 27 octobre 1945 commente la sortie du film: « Succès énorme, salles archi-combles, recettes records. Depuis la Libération, le Français et l’Apollo offrent au public en intermède un spectacle de scène se composant d’une ou deux attractions. L’excellent orchestre de Georges Boneil ».

A la suite de nouvelles restrictions d’électricité, la Préfecture de Gironde interdit le 4 novembre 1945 les projections cinématographiques avant 21 heures, excepté le dimanche et les fêtes. Les mesures restrictives entravent la bonne marche de l’exploitation et les recettes des cinémas baissent nettement. Les distributeurs retardent la sortie de nouveaux films ce qui engendre de nombreuses reprises de films. En 1946, malgré le maintien des mêmes restrictions d’électricité, des films inédits sortent tout de même à Bordeaux.

Cette même année, des accords entre le circuit de salles d’Emile Couzinet et l’UGC-SOGEC permettent à cette dernière de programmer dès le 20 février 1946 huit cinémas bordelais: le Rex, le Gallia, le Luxor, l’Intendance et le Comeac auxquels viennent s’ajouter l’Apollo, le Capitole et le Français. A partir du 13 février 1946, le film de Bernard Roland et Raymond Rouleau Le Couple idéal remporte un franc succès, suivi le 20 février de la reprise de Macao, l’enfer du jeu (1942). Ce film de Jean Delannoy est proposé dans sa version première avec Erich von Stroheim. Censuré par les Allemands à cause de la présence de ce dernier en partance pour les Etats-Unis, une seconde version de Macao, l’enfer du jeu est tournée pour remplacer l’acteur austro-hongrois par l’acteur Pierre Renoir.

Le film de cape et d’épée Le Capitan réalisé par Robert Vernay sort en tandem dans les salles du Français et de l’Apollo le 19 mars 1946 pour la première partie puis le 26 mars pour la seconde. Le Français accueille 31.320 spectateurs pour les deux parties. Durant ces années d’après-guerre, l’affiche du Français se veut éclectique avec, entre autres, L’Invité de la onzième heure de Maurice Cloche le 16 janvier 1946, Étoile sans lumière de Marcel Blistène avec Edith Piaf le 3 juillet 1946, Fantasia de Walt Disney le 1er janvier 1947, Copie conforme de Jean Dréville avec Louis Jouvet dans un double rôle savoureux le 16 septembre 1947, le beau Rebecca d’Alfred Hitchcock avec Joan Fontaine et Laurence Oliver le 2 décembre 1947, La Dame de Shanghaï d’Orson Welles avec Rita Hayworth le 9 mars 1948, Aux Yeux du souvenir de Jean Delannoy avec Michèle Morgan et Jean Marais le 28 décembre 1948 ou encore Manon d’Henri-Georges Clouzot le 23 mars 1949.

Ci-dessus: Rebecca le 2 décembre 1947.

Ci-dessus: La Môme vert-de-gris le 7 octobre 1953. 

Ci-dessus: réédition de Autant en emporte le vent le 16 novembre 1955. 

Réalisé avant-guerre, le tant attendu Autant en emporte le vent (1939) sort enfin à Bordeaux et en exclusivité au Français le 6 mars 1951. Le film-fleuve – d’une durée de près de 4 heures – de Victor Fleming ne réalise que 23.585 entrées en cinq semaines, un nombre d’entrées décevant mais compensé par le prix élevé des billets. Autant en emporte le vent revient régulièrement sur l’écran du Français: le 16 novembre 1955, le 7 janvier 1960, le 17 septembre 1969, le 22 septembre 1971, le 22 août 1979, le 14 juillet 1982 et le 17 avril 1985.

Un des grands succès de ce début des années 1950 est le film de Jacques Becker Edouard et Caroline qui sort au Français le 1er mai 1951. Le beau Olivia de Jacqueline Audry reçoit quant à lui un accueil mitigé lorsqu’il est affiché le 15 mai 1951. A l’occasion de la réédition au Français de Blanche-Neige et les Sept Nains le 18 septembre 1951, son directeur organise un concours de dessins réservé aux enfants de moins de 15 ans. Les concurrents doivent choisir comme thème soit une scène, soit l’un des personnages de la célèbre féerie en couleurs de Walt Disney. Ce concours remporte un grand succès, des centaines de dessins sont alors exposés dans le hall du cinéma. Le prix offert par la SOGEC est une bicyclette remise au cours d’une séance du film. 26.780 spectateurs découvrent ou redécouvrent le film durant les deux semaines de sa nouvelle exploitation.

Dans son numéro du 19 avril 1952, la revue corporatiste La Cinématographie française constate une baisse des entrées dans les salles d’exclusivité de Bordeaux. Au Français, la tendance suit la courbe décroissante puisqu’on enregistre 743.478 entrées en 1946, 601.874 en 1947, 560.530 en 1948, 541.763 en 1949, 477.335 en 1950 et 415.739 en 1951.

Grand succès de Fernandel, Le Petit Monde de don Camillo sort à Bordeaux le 1er octobre 1952 dans trois salles: l’Olympia, le Mondial et Le Français. Alors qu’il n’y est programmé qu’une semaine dans cette dernière où il enregistre 19.703 entrées, le film de Julien Duvivier cumule 110.838 entrées en neuf semaines d’exploitation à Bordeaux.

Dans les années 1950, le Français multiplie les sorties avec, entre autres, Bas les masques de Richard Brooks le 27 mai 1953, Le Démon s’éveille la nuit de Fritz Lang le 12 août 1953, Les Aventures de Peter Pan de Walt Disney pour les fêtes de fin d’année le 23 décembre 1953, Avant le déluge d’André Cayatte le 7 avril 1954, Fenêtre sur cour d’Alfred Hitchcock le 18 mai 1955, La Main au collet du même cinéaste le 18 avril 1956, La Fureur de vivre de Nicholas Ray le 30 mai 1956, Le Roi et moi de Walter Lang le 6 février 1957, le propre remake de Leo McCarey Elle et lui le 20 novembre 1957, L’Arbre de vie d’Edward Dmytryk le 31 décembre 1958, La Chatte sur un toit brûlant de Richard Brook le 4 février 1959, La Mort aux trousses d’Alfred Hitchcock le 21 octobre 1959 ou encore Le Bossu d’André Hunebelle le 16 décembre 1959.

En 1960, M. Raymond Gautreau, dirigeant de la société Océanic, reprend le cinéma et décide de faire du Français un « Théâtre ancien à écran large ». Après trois mois de travaux, la salle qui fête alors ses 160 ans se trouve à nouveau à l’avant-garde des dernières innovations tout en conservant son harmonieuse façade du XVIIIè siècle signée de Tourny. Le Film français dans son numéro 869 commente ces transformations : « Par un hall aux immenses vitres-glaces, aux murs en marbre blanc et aux sols en marbre blanc et noir, un accès aux couloirs de dégagements aux murs tendus de damas en vieil or, aux sols violet, aux éclairages très doux diffusés par des appliques de cristal à pendeloques et de là on gagne soit les pas-perdus conduisant aux fauteuils d’orchestre, soit le foyer-salon précédant les mezzanines et balcons, foyer meublé d’un ensemble Louis XVI bleu pâle et enrichi d’une tapisserie d’Aubusson de Lurçat. La salle s’offre maintenant à nos regards: damas rose clair pour recouvrir les murs; grands rideaux à l’Italienne de damas rose encadrant les loges, moquettes gris Trianon et fauteuils « Pullmann » rose pour l’orchestre et gris pour les mezzanines. Cet ensemble est rehaussé par un éclairage scintillant provenant de quatre grands lustres à coupole dont les cristaux de baccarat rivalisent de pureté et se reflètent sur le plafond peint, d’Emile Brunet. La scène se présente dans les mêmes tons de gris : de la fosse d’orchestre tendue de soie et de moquette. On y accède par deux escaliers. Elle est garnie d’un immense rideau de velours gris pouvant être présenté soit à la Grecque, soit à l’Italienne. Cette scène qui a été considérablement élargie (de 9 mètres, elle a été portée à 14 mètres) comprend trois autres rideaux : gris, bleu et rouge, qui encadrent l’écran selon le format des films présentés : standard, panoramique, scope et 70MM. La cabine a été équipée par Philips, qui a remplacé les bases FP 6 par de nouveaux projecteurs universels Philips DP 70. De même, les chaines sonores ont été complétées jusqu’à 6 canaux ».

Cinéma Le Français à Bordeaux

Cinéma Le Français à Bordeaux

Ci-dessus: la salle en 1960.

Cinéma Le Français à Bordeaux

Cinéma Le Français à Bordeaux

Ci-dessus: le hall en 1960.

Cinéma Le Français à Bordeaux

Ci-dessus: le foyer en 1960.

L’installation des confortables fauteuils Pullmann a nécessité la suppression de 200 places, le Français offrant ainsi aux Bordelais une capacité de 1200 fauteuils. Mais, précise Le Film Français, « Quel confort ! L’écran, un des plus grand de France avec ses 120 m², est de couleur nacrée, d’une très grande luminosité. Enfin, une machinerie, dotée d’un jeu d’orgues électriques, permet 75 éclairages différents ».

Parmi les films à grand spectacle projetés en 70MM, le Français propose Ben-Hur de William Wyler à partir du 21 décembre 1960, South Pacific de Joshua Logan, en Todd-AO, le 29 mars 1961, Le Cid d’Anthony Mann le 31 janvier 1962, Le Roi des Rois de Nicholas Ray le 11 avril 1962, West side story de Robert Wise à partir du 24 octobre 1962, Les Révoltés du Bounty de Lewis Milestone le 13 février 1963, Lawrence d’Arabie de David Lean le 18 septembre 1963 qui est repris le 18 mars 1964 pour six semaines, Cléopâtre de Joseph L. Mankiewicz en Todd-Ao le 20 décembre 1963, La Chute de l’Empire romain d’Anthony Mann le 11 novembre 1964, My Fair lady de George Cukor le 14 avril 1965, Lord Jim de Richard Brooks le 10 novembre 1965, L’Extase et l’agonie de Carol Reed en Todd-AO le 4 mai 1966, Le Docteur Jivago de David Lean le 21 décembre 1966, Playtime de Jacques Tati le 7 avril 1968, 2001, l’Odyssée de l’espace de Stanley Kubrick le 2 octobre 1968 ou bien Funny girl de William Wyler le 14 mai 1969.

Ci-dessus: Les Héros de Télémark le 16 mars 1966. 

L’ère des multisalles commence. Pour rentabiliser les grandes salles uniques, les cinémas sacrifient le balcon de leurs salles afin de créer un écran supplémentaire. C’est le cas du Français qui ouvre en 1971 une nouvelle salle conçue par l’architecte Vincent R. Wynsberghe d’une capacité de 98 fauteuils. Le Film français évoque le nouvel écran sous la plume de G. Coumau: « Décorée entièrement en bleu des mers du Sud, cette salle sera exploitée de midi à minuit en permanent, soit 5 séances par jour. Possibilité de fumer (heureuse innovation) sans inconvénient pour les spectateurs, grâce à une installation de climatisation-ventilation. En outre, un bar-dégustation permettra aux spectateurs de se réconforter, tout spécialement aux séances de midi et 19 heures. L’accès à la salle 2, s’effectue par un escalier indépendant et sous peu par un ascenseur ».

La création de la nouvelle salle est fêtée, en présence de nombreuses personnalités locales et avec un buffet-cocktail, le vendredi 5 novembre 1971 avec le polar La Saignée de Claude Mulot programmé en tandem avec le cinéma L’Intendance. Deux films, qui sortent au Français, triomphent au box-office au cours des années 1970: Borsalino de Jacques Deray avec le tandem Delon-Belmondo le 1er avril 1970 et Mourir d’aimer d’André Cayatte le 3 février 1971.

Le succès de la seconde salle du Français – qui obtient un taux de remplissage de 80% grâce à des films comme Les Valseuses de Bertrand Blier ou Emmanuelle de Just Jaeckin – amène Raymond Gautreau à envisager une extension du Français. Dès l’été 1972, le directeur met ainsi en chantier, et sans aucune fermeture des deux salles, la création de quatre salles supplémentaires. Intégrées dans les vastes dépendances de l’immeuble dont la superficie totale est 1200 m², les architectes Jean-Claude Menasce et M. Tosi créent deux salles (188 et 183 fauteuils) logées en sous-sol, à l’angle de la rue Montesquieu et Fénelon. Deux autres salles (68 et 90 fauteuils) sont installées au 1er étage. Signe des temps, ces deux écrans sont consacrés aux films X.

La salle originale du Français – démunie tout de même de son balcon – reste intacte avec les possibilités de ses 1.200 fauteuils et de sa scène d’offrir aux Bordelais des spectacles ainsi que du music-hall. Le succès est au rendez-vous et le multisalles Le Français enregistre 470.697 entrées en 1974, 480.168 en 1975, 497.398 en 1976. Malgré les excellents chiffres, d’autres cinémas se placent devant le Français: le Gaumont-Bordeaux (anciennement l’Olympia) et l’Ariel.

Ci-dessus: La salle 4 du Français en 1976. 

Une nouvelle ère s’ouvre en 1982 lorsque Georges Raymond reprend le complexe qu’il va transformer en un cinéma de 14 salles, au lieu des six salles et 1.890 fauteuils. Le Film français, sous la plume de F. Revault d’Allones, revient sur la révolution qu’entreprend le fondateur du circuit CGR: « Le complexe va rouvrir avec huit salles supplémentaires: deux de plus de 400 places, trois de plus de 140 places et deux de 110 et une de 50. Ces nouvelles salles sont gagnées principalement dans les loges, les logements de fonction, les bureaux annexes, ainsi que la scène et le sous-sol de l’actuelle grande salle. Celle-ci (1202 places en 83) va tomber dès lors à 700 places, mais en conservant son « cachet », et notamment son célèbre plafond peint et ses lustres. Au total, un complexe d’une capacité future de 2938 places, l’un des plus importants de France et d’Europe. L’ensemble nécessitera près d’une trentaine d’employés, Monsieur Jean-François Ledoze, en gardant la direction (…) Cette vaste transformation sera dirigée par Kléber Raymond, le propre frère de Georges Raymond. La façade sera entièrement refaite et sablée, redonnant toute sa beauté à l’ancien Théâtre et il n’y aura plus qu’un seul hall d’entrée commun aux quatorze salles ouvrant sur la Place de l’Intendance. On retrouvera bien entendu au Français, la programmation de Parafrance (…) Ses 14 écrans lui offriront des possibilités nouvelles. Le Français devrait voir ses entrées plus que doubler dépassant le million annuel, là où en 1982, il enregistrait 543 000 entrées ».

L’ouverture du multisalles a lieu le 4 août 1984. Les années passent et le complexe connaît une chute de sa fréquentation. Au mitan des années 2000 et durant cinq années, le Français voit ses portes closes. Un chantier gigantesque est enclenché, l’intérieur du cinéma est entièrement détruit pour être repensé.

Le Mega CGR Le Français, nouvelle vitrine du circuit CGR, accueille ses spectateurs le 26 mai 2010. Le journaliste Anthony Bobeau, dans Le Film français du 9 juillet 2010, découvre le flambant neuf multiplexe: « C’est le projet le plus ambitieux de CGR : 15M d’Euros (.. .) Une grande salle aux fresques historiques entièrement restaurées (…) Le cinéma a privilégié un positionnement commercial en version Française ». Alfonso Corralex, directeur régional de CGR, commente dans le même article le nouveau joyau cinématographique bordelais: « Les spectateurs sont ravis, le hall d’accueil, le bar à vin, le numérique sont autant d’atouts auprès du public. Quant à la grande salle, elle fait beaucoup parler d’elle. Certains spectateurs demandent explicitement à voir un film dans celle-ci (…) Nous sommes installés dans le triangle d’or de Bordeaux, un quartier devenu piéton, où il nous faut faire revenir le jeune public et les étudiants ». La fresque d’Emile Brunet est sauvegardée et installée dans la grande salle du cinéma.

Ci-dessus: le CGR Le Français de nos jours.

Pour sa réouverture, le multiplexe accueille l’avant-première du film de James Mangold Night and day en présence de ses interprètes Tom Cruise et Cameron Diaz. Le cinéma CGR Le Français dispose désormais de 12 salles d’une capacité de 80 à 550 places pour un total de 1.865 fauteuils. La dimension des écrans est de 10 à 20 mètres de base. Depuis 220 ans, le Français reste un des hauts-lieux du spectacle à Bordeaux.


Portfolio, façade du Français au fil du temps.

Cinéma Le Français à Bordeaux

Ci-dessus: L’Impératrice rouge le 19 octobre 1934.

Cinéma Le Français à Bordeaux

Ci-dessus: La Veuve joyeuse le 27 septembre 1935.

Cinéma Le Français à Bordeaux

Ci-dessus: La Gondole aux chimères le 18 septembre 1936.

Cinéma Le Français à Bordeaux

Ci-dessus: La Fille du bois maudit le 2 octobre 1936.

Cinéma Le Français à Bordeaux

Ci-dessus: Sept hommes, une femme en 1936.

Cinéma Le Français à Bordeaux

Ci-dessus: Les Perles de la couronne le 28 janvier 1937.

Cinéma Le Français à Bordeaux

Ci-dessus: La Grande illusion le 29 octobre 1937.

Cinéma Le Français à Bordeaux

Ci-dessus: Trois de Saint-Cyr en 1939.

Cinéma Le Français à Bordeaux

Ci-dessus: Le Récif de corail en 1939.

Cinéma Le Français à Bordeaux

Ci-dessus: La Capitan le 19 mars 1946.

Cinéma Le Français à Bordeaux

Ci-dessus: Olivia le 15 mai 1951.

Cinéma Le Français à Bordeaux

Ci-dessus: La Main au collet le 18 avril 1956.

Cinéma Le Français à Bordeaux

Ci-dessus: reprise de Autant en emporte le vent le 7 décembre 1960.

Cinéma Le Français à Bordeaux

Ci-dessus: le Français en 1976 avec le cinéma Marivaux (à gauche).

Cinéma Le Français à Bordeaux

Ci-dessus: le CGR Le Français en 1999.

Textes: Thierry Béné
Documents: Gallica-BnF, Le Film français, La Cinématographie française, CGR, La Petite Gironde et Collection particulière.