Adresse: 66 avenue des Champs-Élysées à Paris (8e arrondissement)
Nombre de salles: 1
Fermeture définitive

Nous évoquons dans le présent article l’enseigne d’un cinéma mono-écran Gaumont qu’il ne faut pas confondre avec le Gaumont Champs-Elysées Marignan. Le Gaumont Champs-Elysées est une prestigieuse salle d’une capacité de 500 fauteuils qui ouvre ses portes le 14 avril 1971 pour une période d’exploitation d’un peu moins de trente années.

Dès le printemps 1969, la S.N.E.G. (Société Nouvelle des Etablissements Gaumont) annonce le projet d’ouverture d’une luxueuse salle de cinéma située « sur le bon trottoir » des Champs-Elysées à l’entrée de la galerie commerciale Point-Show. C’est l’époque où les salles de l’avenue des Champs-Elysées entament une phase de modernisation avec notamment les restructurations des cinémas Normandie le 5 septembre 1969, Marignan-Concorde le 19 décembre 1968 et l’ouverture du Paramount-Elysées le 21 juin 1968.

Ci-dessus: le cinéma est installé au rez-de-chaussée et au sous-sol d’un immeuble contemporain.

Ci-dessus: plans de coupe du cinéma.

La S.N.E.G. évoque dans la revue professionnelle Le Film français le projet du Gaumont Champs-Elysées: « le cinéma (architecte Georges Peynet) s’insérera dans une façade aux lignes sobres et nobles sans toutefois perdre de son attraction publicitaire. Son hall donnera sur l’Avenue et sur la galerie marchande. Il sera revêtu de marbre clair mur et sol. Un large emmarchement conduira le spectateur à un étage intermédiaire où seront groupés autour du bureau du directeur les services annexes, la cabine et les groupes sanitaires. La salle sera commandée par un foyer avec vestiaire. Elle sera partiellement gradinée. 500 fauteuils confortables y seront disposés. Une scène largement ouverte sur la salle recevra un écran de 12m sur 6m, les parois latérales seront décorées de dièdre de métal ou de bois… La cabine surplombant les derniers rangs de fauteuils sera largement dimensionnée. Elle pourra recevoir outre deux bases de 70mm, un projecteur auxiliaire et un projecteur de télévision ».

Gaumont Champs-Elysées à Paris

Gaumont Champs-Elysées à Paris

Ci-dessus: la salle à son ouverture en 1971.

Gaumont Champs-Elysées à Paris

Ci-dessus: l’escalier menant à la salle.

Cette salle se distingue des autres grâce à son système exclusif de fauteuils sur suspension hydraulique dans lesquels les spectateurs s’enfoncent avec délice. Dans leur Guide des cinémas à Paris (Edition Syros-Alternatives), Christophe Chenebault et Marie Gaussel évoquent la salle et ses célèbres fauteuils: « tous les passionnés de cinéma de la capitale la reconnaissent à ses fauteuils à suspension dans lesquels on s’enfonce doucement après s’être assis. Le procédé avec compensateurs hydrauliques est simple: deux pistons baignés d’huile dans les pieds des fauteuils, deux ressorts pour le faire remonter et le tour est joué ».

Gaumont Champs-Elysées à Paris

Gaumont Champs-Elysées à Paris

Ci-dessus: Trafic de Jacques Tati est le film inaugural du Gaumont Champs-Elysées le 14 avril 1971.

Le nouveau cinéma Gaumont Champs-Elysées est lancé, il obtient le classement Art & Essai grâce à une programmation de films d’auteurs présentés en version originale. Le film inaugural du cinéma est la nouvelle œuvre de Jacques Tati Trafic qui bénéficie d’une exclusivité totale au Gaumont Champs-Elysées. Il enregistre dans cette seule salle 201 920 entrées en vingt-huit semaines d’exploitation. Il faut alors débourser 15 francs dans le nouveau et luxueux cinéma de la Gaumont, alors que 12 francs sont affichés au Colisée, au Marignan et au Normandie – tous trois sur les Champs-Elysées – et seulement 10 francs à l’Empire Cinérama ou au Rex.

Le film de Pier Paolo Pasolini Le Décaméron est le deuxième programme d’exclusivité totale à partir du 29 octobre 1971: il réalise 155 213 entrées en dix-sept semaines au seul Gaumont Champs-Elysées. Ces véritables exclusivités attirent les cinéphiles parisiens dans cette salle notamment parce que les œuvres proposées, réalisées par des cinéastes reconnus, sont des films souvent primés et attendus.

En 1972, Gaumont annonce l’abandon temporaire de la formule d’exclusivité totale appelée « roadshow ». Le Gaumont Champs-Elysées s’associe dès le 21 avril 1972 à une autre salle du réseau, le Gaumont Lumière, pour la sortie très attendue du film de Stanley Kubrick Orange mécanique. Il se murmure que le maître aurait sélectionné lui-même les deux salles pour la sortie de son nouveau film qui tient trente-huit semaines à l’affiche des deux cinémas. Le Gaumont Champs-Elysées peut se targuer d’être la seule salle des Champs-Elysées qui assure les exclusivités des films de Kubrick en programmant Barry Lindon le 8 septembre 1976, Shining le 16 octobre 1980 et Full metal jacket le 21 octobre 1987.

Le Film français commente les premiers très bons résultats de Barry Lindon grâce en partie à l’habileté de la programmation: créer le désir par la rareté. Deux sorties se démarquent au Gaumont Champs-Elysées dont la programmation est habituellement dédiée aux films d’auteurs: la salle affiche le 19 octobre 1977 le film de Georges Lucas La Guerre des étoiles. Prévue initialement une semaine plus tôt, la sortie française est décalée car les copies 70 mm pour le Grand Rex, le Marignan et le Gaumont Champs-Elysées ne sont pas prêtes. Ce report, inimaginable aujourd’hui, montre l’importance de ces trois prestigieuses salles pour le lancement de grands films. La Guerre des étoiles est finalement proposé dans vingt-trois salles à Paris et sa périphérie. L’autre sortie est Rencontres du troisième type de Steven Spielberg: ce film y est programmé en 70 mm dès le 22 février 1978 dans la salle du Gaumont et y tient l’affiche seize semaines. La copie 70 mm en version française sort à Paris au cinéma Le Français.

Le Gaumont Champs-Elysées reste la salle des grands auteurs du Septième art. Woody Allen y est incontestablement le cinéaste le plus grand nombre de fois à l’affiche: La Rose pourpre du Caire reste seize semaines dès le 29 mai 1985, Hannah et ses sœurs y est programmé  le 21 mai 1986, Radio days le 20 mai 1987, Maudite Aphrodite le 14 février 1996 et Harry dans tous ses états le 21 janvier 1998.

D’autres grands maîtres du cinéma bénéficient d’une sortie dans la prestigieuse salle: Federico Fellini avec Amarcord le 8 mai 1974, Pier Paolo Pasolini avec Le Décaméron le 29 octobre 1971, Luchino Visconti avec Le Crépuscule des dieux le 15 mars 1973 et Violence et passion le 19 mars 1975, Ken Russell avec Mahler le 28 août 1974, Roberto Rossellini avec Le Messie le 18 février 1976, Robert Altman avec Trois femmes le 25 mai 1977, Quintet le 11 avril 1979 et Cookie’s fortune le 7 avril 1999.

Ci-dessus: Le Crépuscule des dieux de Luchino Visconti avec Helmut Berger et Romy Schneider, projeté au Gaumont Champs-Elysées le 15 mars 1973.

Ci-dessus: Amarcord de Fellini, projeté au Gaumont Champs-Elysées le 8 mai 1974.

Citons encore Milos Forman avec Hair le 9 mai 1979, Amadeus le 31 octobre 1984 et Larry Flint le 19 février 1997, Werner Herzog avec Nosferatu, fantôme de la nuit le 19 janvier 1979, Ingmar Bergman avec Sonate d’automne le 25 octobre 1978 et Fanny et Alexandre le 9 mars 1983, Akira Kurosawa avec Ran le 18 septembre 1985, James Ivory avec Maurice le 9 décembre 1987 et Les Vestiges du jour le 23 février 1994, Shohei Imamura avec La Ballade de Narayama le 28 septembre 1983, Ettore Scola avec Le Bal le 21 décembre 1983 et Quelle heure est-il? – le dernier film de Massimo Troisi – le 25 avril 1990, avec sur scène des acrobates en première partie…

Et aussi Joseph Losey avec Don Giovanni le 14 novembre 1979, Michelangelo Antonioni avec Identification d’une femme le 17 novembre 1982, Rainer Werner Fassbinder avec son ultime film Querelle le 8 septembre 1982…

Ci-dessus: la salle du Gaumont Champs-Elysées en 1994.

Ci-dessus: le hall du Gaumont depuis la galerie Point Show.

Ci-dessous: Les Vestiges du jour de James Ivory à l’affiche le 23 février 1994.

Ci-dessus: à l’affiche en 1995, Get Shorty réalisé par Barry Sonnenfeld.

Le 28 septembre 1988 sort dans la salle du Gaumont Champs-Elysées le film de Martin Scorsese La Dernière tentation du Christ. Cette œuvre adaptée d’un récit de Salman Rushdie provoque des vagues de violences issues de groupuscules extrémistes. Le cinéma Saint-Michel qui programme le film est incendié. Une des salles du Berlitz subit également des incidents criminels. Devant une telle violence, le film de Scorsese est retiré des écrans. Seule la salle du Gaumont Champs-Elysées maintient courageusement le film malgré les manifestations devant le cinéma, les bombes lacrymogènes utilisées contre les spectateurs dans les files d’attente, les réactions violentes à l’intérieur de la salle et le saccage de fauteuils.

Au courant des années 1990, les plans de sortie des films tendent vers une multiplication des copies sur les écrans des cinémas de Paris et de sa périphérie. Le modèle du cinéma à salle unique ainsi que le dispositif de sortie limitée à quelques écrans de la capitale s’essouffle. La salle unique du Gaumont Champs-Elysées affiche des titres moins prestigieux et perd progressivement son statut de salle de luxe malgré une rénovation entamée en 1991 qui comprend notamment l’agrandissement de l’écran.

Le cinéma Gaumont Champs-Elysées ferme ses portes le 31 décembre 1999 à 18 heures après l’ultime projection du film d’Eric Valli Himalaya, l’enfance d’un chef. La salle est remplacée par une enseigne commerciale de vêtements mais reste dans la mémoire de nombreux cinéphiles comme un cinéma confortable, chaleureux et prestigieux.

Ci-dessus: le film d’Eric Valli Himalaya, l’enfance d’un chef clôt l’aventure du cinéma Gaumont Champs-Elysées. Les photos sont prises le dernier jour de la fermeture du cinéma le 31 décembre 1999.

Voir les salles de cinéma des Champs Elysées.

Textes: Thierry Béné.
Documents: Le Film français, Pariscope et collection particulière.