Adresse: 20 rue Quentin-Bauchart à Paris VIIIe arrondissement)
Nombre de salles: 1
A la fin des années 1960, les prémices d’une importante mutation dans l’exploitation cinématographique se font sentir. C’est en effet en 1968 que la grande salle du Marignan-Pathé des Champs-Elysées et celle du Wepler-Pathé de la place Clichy sont scindées en deux cinémas. C’est cette même année que celle du cinéma Normandie se transforme afin d’accueillir ses spectateurs dans un volume plus adapté aux exigences du moment.
Deux ans plus tard, les producteurs René Pignères et Gérard Beytout, à la tête de la Société Nouvelle de Cinématographie (SNC), une maison de production fondée en 1934, ouvrent une nouvelle salle de cinéma au 20 rue Quentin-Bauchart, à proximité du prestigieux cinéma Biarritz. Les deux producteurs à succès, notamment avec la série des Gendarmes interprétés par Louis de Funès, confient à l’architecte Georges Peynet la création de leur salle de cinéma baptisée le France-Elysées.
Ci-dessus: le hall du cinéma France-Elysées en 1970.
Ci-dessus: le plan de la salle en 1970.
Ci-dessus: annonce de l’ouverture de la salle en 1970.
Les caractéristiques de ce nouveau cinéma conçu pour le plus grand confort du public et situé dans une artère reliant l’avenue Marceau à l’avenue des Champs-Elysées, qui est à cette époque plus que jamais « l’avenue du cinéma« , sont décrites dans la revue Le Film français datée du 17 avril 1970: « Tout d’abord, le dernier né des Etablissements Gallay, le fauteuil LEM qui s’enfonce et s’évase doucement lorsque le spectateur y prend place. Il ne s’agit pas de simples fauteuils à ressorts mais d’un système absolument unique de piston à huile (genre Lockheed) qui s’enfonce mollement tandis que le dossier s’incline légèrement vers l’arrière de manière à préserver la totale visibilité des autres rangs. 77 prototypes ont été construits avant de trouver le dispositif idéal. Profusion de marbre blanc dans le hall et le foyer, dont les parois sont d’un côté, recouvertes de « Bermudes », sortes de niches de métal blanc masquant de fortes lampes, l’ensemble se réverbérant dans l’autre paroi tapissée de miroirs. Dans le foyer, on note des panneaux de laque blanche et des revêtements de tissus Flotex. En séparation des cloisons de glaces gravées d’argent. Dans la salle, alternance de panneaux d’acier et de revêtement «Flotex» où l’on remarque, de part et d’autre, douze motifs de bois naturellement pétrifiés aux reflets polychromes (plus d’un million et demi d’anciens Francs pièce) qu’éclaireront des projecteurs dissimulés dans les décrochements. Le rideau de scène est constitué d’éléments d’acier mat coulissant latéralement à la Japonaise ». L’article précise qu’il est possible de fumer dans la salle du France-Elysées, grâce aux importants matériels de climatisation installés dans les sous-sols.
Ci-dessus: Tristana de Luis Buñuel inaugure le France-Elysées. Le film est également à l’affiche des cinémas Studio Raspail, Saint-Germain Huchette et Publicis Défense.
Ci-dessus: Le Messager de Joseph Losey à l’affiche en exclusivité au France-Elysées ainsi qu’aux cinémas Saint-Germain Huchette, Studio Raspail, Madeleine et Convention.
C’est le film de Luis Buñuel Tristana, interprété par Catherine Deneuve, Franco Nero et Fernando Rey, qui est sélectionné pour l’inauguration le mardi 28 avril 1970 au soir de la salle de 440 fauteuils du France-Elysées. Par la suite, l’établissement affiche des œuvres comme Bloody Mama de Roger Corman avec Shelley Winters à partir du 25 novembre 1970, La Symphonie pathétique (The Music Lovers) de Ken Russell le 12 février 1971, Cinq pièces faciles (Five easy pieces) de Bob Rafelson avec Jack Nicholson le 14 avril 1971 ou la première réalisation de Jack Nicholson Vas-y, fonce (Drive, He Said) le 26 mai 1971.
En 1971, la Columbia sort le film de Joseph Losey auréolé de la Palme d’or du festival de Cannes cette année-là, Le Messager. A l’affiche le 18 juin dans une combinaison de cinq salles à Paris, incluant le France-Elysées, le succès du film interprété par Julie Christie et Alan Bates est immédiat et lui permet de rester dix-sept semaines à l’affiche du cinéma de la rue Quentin-Bauchart. Le succès du Messager permet à la salle d’enregistrer, pour l’année 1971, 198.000 entrées contre 130.900 un an plus tard.
Ci-dessus: Le Jardin des Finzi-Contini de Vittorio de Sica à l’affiche le 8 décembre 1971 en exclusivité au France-Elysées ainsi qu’aux cinémas Saint-Germain Village, Studio Raspail et Vendôme. Vas-y, fonce (Drive, He Said) de Jack Nicholson à l’affiche du France-Elysées le 26 mai 1971.
Ci-dessus: Skidoo d’Otto Preminger à l’affiche du seul France-Elysées le 9 février 1972.
Les films prestigieux se succèdent au France-Elysées à l’instar du chef d’oeuvre de Vittorio De Sica Le Jardin des Finzi-Contini avec Dominique Sanda, Lino Capolicchio et Helmut Berger à l’affiche le 8 décembre 1971, La Randonnée (Walkabout) de Nicolas Roeg le 23 février 1972, Brewster McCloud de Robert Altman le 26 juillet 1972 ou encore La Vallée de Barbet Schroeder avec Bulle Ogier et Jean-Pierre Kalfon, sur une mythique bande originale de Pink Floyd, le 30 août 1972.
Family life et La Maman et la putain: deux œuvres emblématiques au France-Elysées.
Cette même année, un film britannique rencontre un succès historique au Quartier latin dans le cinéma appartenant au producteur Roger Diamantis, le Saint-André des Arts. Le triomphe de Family life de Ken Loach amène son distributeur Nef Diffusion à ajouter une copie pour le diffuser dans une salle des Champs-Elysées. Le France-Elysées accueille ainsi le chef-d’œuvre de Ken Loach à partir du 23 novembre 1972 pour treize semaines.
Il est utile de rappeler que la sortie en France de Family life est perturbée par la sous-commission de contrôle qui requiert à la commission plénière de visionner de nouveau le film. Juste avant sa sortie, le film risque au mieux une interdiction aux mineurs, au pire une interdiction totale. Finalement, Family life obtient son visa mais se voit assorti de réserves affichées à l’entrée de la salle: « Il est précisé que le présent film est consacré à l’évolution d’une jeune fille vers une très grave maladie mentale et qu’il est à ce titre, susceptible de troubler certains spectateurs ». Le film a pour obligation de garder son titre anglais et doit être exploité exclusivement en version originale. Ces difficultés d’obtention du visa d’exploitation contribuent au succès du film, une oeuvre qui semble déranger l’establishment à un moment où les courants antipsychiatriques sont très vifs dans le champ de la santé mentale. Si le succès est beaucoup plus important au Saint-André des Arts, les treize semaines d’exploitation dans la salle du France-Elysées ne passent pas inaperçues. Un an plus tôt, le documentaire de Marcel Ophüls Le Chagrin et la Pitié créé un précédent en sortant le 5 avril 1971 au Studio Saint-Séverin et, devant le succès rencontré, est également diffusé dans une salle des Champs-Elysées, celle du Paramount-Elysées le 28 avril.
En 1973 sort le documentaire en trois parties de André Harris et Alain de Sedouy, Français, si vous saviez. La première partie En passant par la Lorraine est programmée au France-Elysées ainsi qu’au Saint-André des Arts, la deuxième partie Général nous voilà au S.F. Elysées ainsi qu’au Hautefeuille et la troisième partie Je vous ai compris sur les écrans du Saint-Séverin et du Cinéma du Panthéon.
Ci-dessus: Brewster McCloud de Robert Altman à l’affiche le 26 juillet 1972 au France-Elysées ainsi qu’au Studio Cujas. Ce merveilleux automne de Mauro Bolognini en exclusivité au France-Elysées le 17 mars 1972.
Ci-dessus: La Maman et la Putain de Jean Eustache à l’affiche le 17 mai 1973 au France-Elysées ainsi qu’au Hautefeuille.
Ci-dessus: La Privé de Robert Altman à l’affiche le 27 novembre 1973 au France-Elysées ainsi qu’au Hautefeuille, au Saint-Germain Village, à l’ABC, au Convention, au Méry, au Gamma d’Argenteuil et au Club de Maisons-Alfort.
Cette même année, La Maman et la Putain de Jean Eustache sort uniquement dans deux salles parisiennes, le Hautefeuille et le France-Elysées où il y reste à l’affiche pendant six semaines. Le France-Elysées opère un virage à 180 degré puisqu’il enchaîne, après le film de Jean Eustache, avec la reprise du film de Jean Girault Le Gendarme de Saint-Tropez (1964) avec Louis de Funès le 12 juillet 1973. René Pignères et Gérard Beytout, propriétaires de la salle, y programment ainsi les films issus de leur catalogue. Parmi les films SNC, citons la comédie érotique Malicia de Salvatore Samperi avec Laura Antonelli à l’affiche le 9 janvier 1974, L’Amour à la bouche de Gérard Kikoïne le 16 octobre 1974, C’est dur pour tout le monde de Christian Gion le 18 juin 1975, Un Enfant dans la foule de Gérard Blain le 2 juin 1976, Une Femme à sa fenêtre de Pierre Granier-Deferre avec Romy Schneider le 10 novembre 1976, Bilitis du photographe britannique David Hamilton le 16 mars 1977, Le Diable dans la boîte de Pierre Lary le 20 avril 1977, Le Cercle infernal de Richard Loncraine avec Mia Farrow le 3 mai 1978, Cri de femmes de Jules Dassin avec Melina Mercouri et Ellen Burstyn le 8 septembre 1978, Le Gendarme et les extra-terrestres de Jean Girault le 31 janvier 1979, Je te tiens, tu me tiens par la barbichette de Jean Yanne le 4 avril 1979 ou encore Laura, les ombres de l’été de David Hamilton le 28 novembre 1979.
Ci-dessus: Le Prête-nom de Martin Ritt au France-Elysées le 26 janvier 1977 ainsi qu’au Madeleine, au Saint-Germain Village, au Cinéma du Panthéon, au Studio Raspail, au Convention, au Gambetta, au Gamme d’Argenteuil et au Gaumont Evry. Sugarland Express de Steven Spielberg à l’affiche le 12 juin 1974,
Les productions SNC insufflent une dimension populaire dans la programmation du France-Elysées qui affiche, en plus des films maisons, des œuvres comme Sugarland Express, le premier long métrage de Steven Spielberg, à l’affiche le 12 juin 1974, Du rififi chez les mômes (Bugsy Malone) d’Alan Parker avec la jeune Jodie Foster le 25 août 1976, Le Prête-nom de Martin Ritt interprété par Woody Allen le 26 janvier 1977, le film en deux parties Jésus de Nazareth de Franco Zeffirelli le 11 janvier 1978 pour la première partie et le 15 mars 1978 pour la seconde, Molière d’Ariane Mnouchkine avec Philippe Caubère à l’affiche le 11 octobre 1978 sept semaines après sa sortie pour seize semaines d’exploitation et Norma Rae de Martin Ritt avec Sally Field le 30 mai 1979. Le France-Elysées joue les prolongations de la copie en 70mm en provenance du Gaumont Ambassade d’Apocalypse Now de Francis Ford Coppola le 9 janvier 1980 et de celle de Don Giovanni de Joseph Losey le 27 février 1980.
La salle du France-Elysées intègre le complexe UGC Biarritz.
Pour les sorties de films porteurs en exclusivité, le France-Elysées se retrouve désormais en tandem avec une des grandes salles de l’avenue des Champs-Elysées, comme cela se produit avec le film de Francis Girod La Banquière avec Romy Schneider le 27 août 1980, ce qui ne favorise pas la salle de la rue Quentin-Bauchart. En quatrième semaine, La Banquière enregistre encore 8.648 entrées à l’Ambassade contre seulement 1.884 dans la salle du France-Elysées. Dès la fin de l’année 1980, on observe au France-Elysées une érosion de la fréquentation dont la programmation semble hésiter entre les films populaires et les œuvres Art & essai. Ni les prolongations en 70mm de La Porte du paradis de Michael Cimino le 1er juillet 1981, ni Garde à vue de Claude Miller avec Lino Ventura et Michel Serrault le 23 septembre 1981 ne ramènent le public vers ce beau cinéma en retrait de l’avenue des Champs-Elysées. La salle est cédée le 27 janvier 1982 au circuit UGC qui l’intègre à son complexe UGC Biarritz. L’ancienne salle du France-Elysée devient bientôt la salle « Prestige » du complexe de six salles.
Cette intégration dans le cinéma UGC Biarritz dynamise la fréquentation de l’ancienne salle du France-Elysées. La première exclusivité à s’y installer est La Folle histoire du monde de Mel Brooks qui accueille 12.572 spectateurs la semaine de sa sortie le 3 février 1982. Parmi les titres programmés dans la salle UGC Prestige du Biarritz, citons Officier et Gentleman de Taylor Hackford avec Richard Gere le 19 janvier 1983, l’unique copie 70mm à Paris de L’Étoffe des héros de Philip Kaufman avec Sam Shepard le 25 avril 1984, Uranus de Claude Berri avec Michel Blanc et Gérard Depardieu le 12 décembre 1990, Le Parrain, 3e partie de Francis Ford Coppola le 27 mars 1991 ou bien L’Accompagnatrice de Claude Miller avec Richard Bohringer et Romane Bohringer le 11 novembre 1992.
Suite à un arrêté du Conseil de la concurrence en date du 9 février 1994 enjoignant UGC à réduire sa part de marché sur l’avenue des Champs-Elysées, le circuit prend la décision de fermer le Biarritz. Les salles du complexe situées à l’angle de l’avenue des Champs-Elysées et de la rue Quentin-Bauchart ferment définitivement leurs portes le 1er février 1995 tandis que la salle historique du Biarritz devient la salle de projection privée Elysées-Biarritz. L’ancien France-Elysées est repris par le circuit Les Ecrans de Paris où figurent comme associés Simon Simsi et Jean Labadie.
Ci-dessus: Braveheart de Mel Gibson à l’affiche de la salle Prestige de l’UGC Biarritz le 29 septembre 1993. Guiltrip de Gerard Stembridge à l’affiche du Majestic Biarritz en avril 1996.
Ci-dessus: le Majestic-Bastille, la nouvelle enseigne de l’ancienne salle Prestige de l’UGC Biarritz, la dernière semaine de son exploitation.
La salle, désormais ouverte sous l’enseigne Majestic-Biarritz, propose les grandes exclusivités comme L’appât de Bertrand Tavernier avec Marie Gillain le 8 mars 1995, Les Misérables du XXè siècle de Claude Lelouch avec Jean-Paul Belmondo et Michel Boujenah à partir du 22 mars 1995 pendant neuf semaines, Braveheart de Mel Gibson avec Sophie Marceau le 4 octobre 1995, Nelly et Monsieur Arnaud de Claude Sautet avec Emmanuelle Béart et Michel Serrault le 18 octobre 1995 pour neuf semaines, GoldenEye de Martin Campbell avec Pierce Brosnan le 20 décembre 1995 ou bien L’Armée des 12 singes de Terry Gilliam avec Bruce Willis le 28 février 1996.
Malgré sa belle affiche, la salle du Majestic-Biarritz ne rencontre pas le succès espéré. D’autant que les spectateurs commencent à délaisser les cinémas de l’avenue des Champs-Elysées au profit de grands multiplexes comme celui des Halles ou ceux qui émaillent petit à petit les communes de la banlieue. D’ailleurs, le 21 juin 1995, ouvre un mastodonte de l’exploitation parisienne, le multiplexe UGC Ciné Cité Les Halles, « le plus grand cinéma de France au cœur de Paris ».
C’est dans ce contexte que le Majestic-Biarritz ferme définitivement ses portes. Le 2 avril 1996 au soir, après une dernière projection de Guiltrip de Gerard Stembridge, les lumières d’une salle qui fête seulement vingt-six années d’exploitation s’éteignent. La magazine Le Film français dans son numéro 2605 du 5 avril 1996 commente la fermeture du Majestic-Bastille: « Pour Simon Simsi et Jean Labadie associés dans les écrans de Paris, repreneur du cinéma, l’espoir de donner vie à cette belle salle unique n’aura duré que 13 mois, le Majestic-Biarritz se heurtant essentiellement au problème d’alimentation en films ».
Textes: Thierry Béné.
Documents: Le Film français, Cinémas de France, France-Soir, Pariscope et Collection particulière.
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