Adresse: 56 rue de Rome à Marseille (Bouches-du-Rhône)
Nombre de salles: 1 puis 3

Alors que deux mois auparavant le producteur Jacques Haïk ouvre à Paris et à grand renfort de publicité sa mythique salle du boulevard Poissonnière, la cité phocéenne, elle aussi, inaugure en ce vendredi 24 février 1933 « son » Rex. La nouvelle salle du centre de Marseille est lancée avec le film d’Ernst Lubitsch « Une Heure près de toi » interprété par Maurice Chevalier et Jeanette MacDonald.

« Il y a quelque chose de nouveau à Marseille! »: c’est avec cette trouvaille publicitaire annoncée sur les affiches que le lancement du Rex s’effectue, la description du cinéma étant longuement relatée par Gaston Crémieux dans le quotidien Le Petit Marseillais du 18 février 1933: « Le Rex est construit à l’emplacement occupé avant par le plus ancien cinéma Marseillais, le Modern. Celui-ci a été complètement mis en bas et, grâce à la démolition et à l’acquisition de nombreux locaux environnants, une surface de plus de 1500 m2 a pu être réalisée ».

Le journaliste revient sur la situation de la salle, à l’intersection de deux rues commerçantes emblématiques de la ville: « Il est situé entre la rue de Rome et la rue Saint-Ferréol, avec entrée sur l’une et l’autre rue. Chacune de ces entrées est artistiquement décorée et dotée d’un éclairage féérique qui déversera le soir venu, des torrents de lumière multicolore dans les deux grandes artères Marseillaises, rue de Rome et Saint-Ferréol ».

Le Rex, le nouveau « Palais du Cinéma » de Marseille.

Le journaliste, subjugué par la nouvelle salle de Marseille, poursuit la description du cinéma créé par l’architecte Eugène Chirié (1902-1984), à qui l’on doit dans la cité phocéenne les cinémas Odéon, Pathé Madeleine et, à Lyon, le célèbre Pathé Bellecour. « La salle de spectacle a 30 mètres de profondeur, 25 mètres de large et 18 mètres de hauteur. Les fauteuils d’orchestre pourront aisément recevoir 1100 spectateurs confortablement assis. Le grand balcon, un des plus grands de Marseille et de province puisqu’il peut recevoir 600 spectateurs assis, n’est porté sur aucun point d’appui intermédiaire: il s’avance de 18 mètres dans la salle sur 22 mètres de portée sans qu’aucun soutien soit visible ».

Cinéma Rex à Marseille

Ci-dessus: l’annonce de l’ouverture du cinéma Rex de Marseille « classé parmi les plus belles salles de spectacles de France. »

Les propriétaires du Rex commandent un décor fastueux, aussi bien dans la salle que dans les loges, comme le relate Gaston Crémieux lors de son exploration détaillée et passionnante du cinéma: « De nombreuses loges fermées et indépendantes sont placées en haut du balcon ainsi que quelques baignoires latérales: à un niveau supérieur se trouve un autre étage de loges d’où le coup d’œil sur la salle est splendide et toutes forment une succession de petits salons intimes et décorés avec un goût exquis. Le cadre et le mur de scène, entièrement dorés à la feuille, sont formés de larges cannelures montant d’un seul jet au plafond: une large peinture décorative de ton saumon et à dessins modernes recouvrent les parois de la salle: une coupole de 13 mètres de diamètre, richement travaillée en reliefs et ors spéciaux très clairs, termine cet ensemble grandiose ainsi que le plafond. Sous le plafond du balcon, trois grandes coupoles lumineuses diffuseront une lumière savamment tamisée; les tapis recouvrant le sol des fauteuils d’orchestre et des balcons sont rouges et les sièges ont été étudiés spécialement pour joindre à un confort encore inconnu une forme et une somptuosité toute nouvelles. L’éclairage de la grande salle est réalisé par quatre cercles lumineux donnant une lumière intense et aérienne soutachant les contours de la grande coupole. On demeure stupéfait devant ce grand anneau lumineux d’une légèreté et d’une grâce sans pareilles dont aucun point d’attache n’est visible. L’ensemble équipé en trois couleurs, permet d’obtenir les plus belles combinaisons d’éclairage, grâce à un jeu d’orgues électriques de conception ultra moderne ».

A cette époque, les salles de cinéma programment également des spectacles vivants et des attractions. Comme au théâtre, les cinémas offrent aux spectateurs des espaces pour déambuler ou se rafraîchir autour d’un verre: « La scène, équipée pour recevoir les attractions les plus importantes s’orne de tentures, de frises et de pendillons de couleurs d’un très joli aspect. Trois foyers, deux escaliers majestueux, un grand bar américain de 15 mètres de long surmonté d’une glace immense, un grand hall de 10 mètres de plafond, une grande rotonde centrale dominant les escaliers, des galeries desservant les loges en étage avec vue sur l’ensemble des foyers, tout en un mot a été conçu avec un souci de modernisme et de confort qui n’ont jamais été atteints dans aucune salle de spectacle à ce jour ».

Le Rex fait ainsi forte impression au journaliste qui termine sa visite en s’attardant sur les spécificités techniques et sur la façade du cinéma: « La façade de la rue Saint-Ferréol est ornée d’une grande enseigne « Rex » en métal chromé avec marquise et éclairage au néon: la façade d’entrée de la rue de Rome d’où se détache le monogramme « Rex » de 3,50 mètres de diamètre, en métal, est également éclairée au néon. La cabine de projection équipée en Western, renferme les appareils de projection les plus modernes existant actuellement sur le marché mondial. La ventilation et le chauffage ont été particulièrement étudié pour faire du « Rex » la salle de spectacle la plus agréable aussi bien en hiver qu’en été. L’installation sonore est parfaite en tous points et nous signalerons une innovation inédite qui réside dans l’installation de rangées de fauteuils spécialement équipés pour les personnes atteintes de surdité: installations d’un prix fortement élevé et que seul le Paramount de Paris et le Rex de Marseille ont adoptée ».

Assurément, comme le conclut le journaliste, le Rex est « un nouveau Palais du Cinéma qui comptera comme l’une des plus belles salles de spectacles de France ».

Comme si les qualificatifs ne suffisent pas, une autre plume du même quotidien revient, en date du 25 février 1933 et au lendemain de l’inauguration, sur le bien-nommé Palais du Cinéma: « La magnifique salle de spectacle dont l’ouverture était impatiemment attendue, a inauguré hier la série de ses représentations et la soirée fut un magnifique spectacle pour les privilégiés qui réussirent, non sans peine, à trouver de la place, tant l’affluence était grande. Ce fut pour les spectateurs une soirée enchaînements successifs et de tous les instants. Il est impossible d’imaginer une salle plus luxueuse et plus confortable que celle du Rex où tout a été prévu pour le confort et le bien-être du public. Les fauteuils y sont remarquablement vastes. Les effets de lumière, féeriques au point d’avoir provoqué des applaudissements. Le sol est entièrement couvert de tapis qui donnent de suite une note de chaude intimité. Les peintures artistiques murales, les glaces, les ferronneries, les buffets ont en un mot contribué à faire du Rex le véritable « Palais du Cinéma » et l’on peut affirmer, sans crainte d’être démenti, qu’à peine venu au monde, il se classe au premier rang des plus belles salles de France ».

Cinéma Rex à Marseille

Ci-dessus: le film inaugural du Rex, « Une Heure près de toi » d’Ernst Lubitsch interprété par Maurice Chevalier et Jeanette MacDonald.

Cinéma Rex à Marseille

Ci-dessus: « Prince de mon cœur » de Jacques Daniel-Norman avec le chanteur Reda Caire, à l’affiche du Rex et du Studio.

Ci-dessus: « L’Incendie de Chicago » de Henry King à l’affiche du Rex et du Studio le 22 septembre 1938.

Cinéma Rex à Marseille

Ci-dessus: « Blanche Neige et les sept nains » de Walt Disney au Rex et au Studio le 15 décembre 1938.

Le Rex est lancé. La salle devient rapidement un des cinémas les plus fréquentés de Marseille. Pour assurer une programmation variée, l’affiche change toutes les semaines, exception faite lorsque le succès du film nécessite une prolongation. L’écran du Rex accueille, parmi d’autres, « Caprice de princesse » d’Henri-Georges Clouzot et Karl Hartl le 22 décembre 1933, « Madame Bovary » de Jean Renoir avec Valentine Tessier et Pierre Renoir le 2 février 1934, « La Bataille » de Nicolas Farkas et Viktor Tourjanski avec Annabella et Jean Boyer projeté le 9 février 1934 en tandem avec l’Odéon,  « Le Petit Jacques » de Gaston Roudès le 3 février 1935 et enfin, le 28 février 1935 également à l’Odéon, « Le Comte Obligado » de Léon Mathot interprété par la grande vedette de l’époque Georges Milton.

En 1935, le « double programme » est systématisé au Rex: il s’agit, comme dans beaucoup d’autres cinémas, de permettre au spectateur d’assister, pour le prix d’un billet, à deux films qui se jouent successivement dans la même salle. Les spectacles de scènes, héritiers du music-hall et du théâtre et annoncés avant le « grand film », disparaissent progressivement du programme des salles de cinéma.

Ainsi, se succèdent lors du double programme du Rex des œuvres telles « Embrassez-moi » de Léon Mathot et « Nana » de Dorothy Arzner et George Fitzmaurice avec Anna Sten, tous deux à l’affiche dès le 4 juillet 1935. « L’Homme invisible » de James Whale est joué avec « Ève cherche un père » de Mario Bonnard la semaine du 1er août 1935 tandis que deux films de Sacha Guitry, « Pasteur » et « Bonne chance » , sont donnés le 13 novembre 1935.

Lorsqu’il s’agit de films importants, le double programme est suspendu ou remplacé par un moyen métrage qui précède le film. « Crime et Châtiment » de Pierre Chenal avec Harry Baur est à l’affiche du Rex le 3 octobre 1935, « Les Croisades » de Cecil B. DeMille le 9 avril 1936, « Capitaine Blood » de Michael Curtiz avec Errol Flynn et Olivia de Havilland le 29 avril 1936, « Gueule d’amour » de Jean Grémillon avec Jean Gabin le 22 octobre 1937, « Gribouille » de Marc Allégret avec Raimu et Michèle Morgan le 22 octobre 1937, « L’Incendie de Chicago » de Henry King avec Tyrone Power le 22 septembre 1938, « L’Étrange Monsieur Victor » de Jean Grémillon avec Raimu le 13 octobre 1938 ou encore « La Tragédie impériale » de Marcel L’Herbier avec Harry Baur le 23 janvier 1939.

Un autre cinéma marseillais, le Studio, assure la sortie de ses films conjointement avec le Rex. C’est le cas avec « Blanche Neige et les sept nains », le triomphe d’avant-guerre de Walt Disney dont la première vision est assurée à Marseille au Pathé-Palace le 20 octobre 1938 pour trois semaines avant d’arriver sur les écrans des deux cinémas la semaine du 15 décembre 1938.

La guerre éclate. Cette semaine-là, le Rex affiche un double programme de la Warner Bros.: « Les Ailes de la flotte » de Lloyd Bacon et « Les Secrets d’une artiste », réunissant tous deux Olivia de Havilland. Durant les premiers mois du conflit mondial, le Rex affiche chaque semaine un double programme composé de nombreux films américains comme le burlesque « Têtes de pioche » de John G. Blystone avec Laurel et Hardy et « La Famille Hardy en vacances » de George B. Seitz le 28 décembre 1939.

Durant la guerre, les nouvelles productions cinématographiques se raréfient. Pour assurer une affiche renouvelée, le Rex propose des reprises, contrairement aux grands cinémas marseillais comme le Capitole, le Pathé-Palace ou l’Odéon qui mettent entre parenthèse le cinéma pour les spectacles scéniques de théâtre ou de music-hall. Le Rex affiche ainsi des reprises en double programme comme « Baccara » (1935) d’Yves Mirande avec Jules Berry affiché avec « Sa Douce maison » (1933) de Robert Florey avec la belle Kay Francis la semaine du 5 septembre 1940 ou bien « Éducation de prince » (1938) d’Alexandre Esway et « J’ai le droit de vivre » (1937) de Fritz Lang la semaine du 12 septembre 1940. Le 31 octobre 1940, le Rex assure la programmation, en tandem avec le Studio, de l’inédit « Les Conquérants » de Michael Curtiz avec Errol Flynn et Olivia de Havilland.

La rentrée de septembre 1941 est marquée dans l’exploitation marseillaise par l’alliance des deux premières salles d’exclusivité de Marseille, le Pathé-Palace et le Rex qui assurent ainsi en tandem la sortie des grandes exclusivités. Après leur exploitation dans les deux salles, les productions sont prolongées en seconde vision au cinéma Hollywood de la rue rue Saint-Ferréol.

Les grandes exclusivités bénéficient avec cette combinaison des deux salles d’une capacité totale de 4.500 fauteuils. Parmi les œuvres qui sont à l’affiche du Rex et du Pathé, nous pouvons relever, entre autres, « L’Acrobate » de Jean Boyer avec Fernandel le 23 octobre 1941, « Madame Sans-Gêne » de Roger Richebé avec Arletty le 30 octobre 1941, « Le Soleil a toujours raison » de Pierre Billon avec Tino Rossi le 13 novembre 1941, la production Continental-Films « Le Dernier des six » de Georges Lacombe avec Pierre Fresnay le 5 décembre 1941, « Cartacalha, reine des gitans » de Léon  Mathot avec Viviane Romance le 26 février 1942, « La Piste du nord » de Jacques Feyder avec Viviane Romance le 8 avril 1942, « Le Destin fabuleux de Désirée Clary » de et avec Sacha Guitry le 23 septembre 1942 ou bien « Le Voile bleu » de Jean Stelli avec Gaby Morlay le 27 octobre 1942.

Ci-dessus: deux films projetés au Rex et au Pathé Palace durant l’Occupation, « Pontcarral, colonel d’Empire » de Jean Delannoy le 16 décembre 1942 et « Les Visiteurs du soir » le 30 décembre 1942.

Occupée à partir du 12 novembre 1942, Marseille garde cependant ses salles ouvertes. Pour clôturer cette année 1942, le Rex et le Pathé-Palace affichent à partir du 30 décembre « Les Visiteurs du soir » interprété par Arletty et Jules Berry. Précédant le film de Marcel Carné qui rencontre un important succès, « Pontcarral, colonel d’Empire » de Jean Delannoy tient l’affiche des deux salles pendant quatorze jours à partir du 16 décembre 1942. Durant l’année 1943, les deux salles poursuivent leur partenariat avec des films comme « L’Assassin a peur la nuit » de Jean Delannoy avec Jules Berry le 20 janvier 1943, « Lumière d’été » de Jean Grémillon avec Pierre Brasseur et Madeleine Robinson le 13 mai 1943, « Le Voyageur de la Toussaint » de Louis Daquin d’après Georges Simenon le 17 juin 1943 et surtout « L’Éternel retour » de Jean Delannoy le 24 novembre 1943. L’adaptation par Jean Cocteau du mythe de Tristan et Iseult magnifie ses deux jeunes interprètes Jean Marais et Madeleine Sologne.

En pleine Occupation, Louis Garnier, le directeur général du Rex et du Hollywood, répond à l’enquête initiée par Charles Ford pour la revue Le Nouveau film datée de janvier 1944 et ayant pour objet la situation de l’exploitation dans le pays: « Une salle comme le Rex a certainement un noyau de clientèle stable qui vient voir tous les programmes, mais ce noyau est proportionnellement beaucoup moins important que pour les salles de quartier. Je dois compter surtout sur le public qui vient voir tel ou tel film, c’est pourquoi je m’évertue à intercaler adroitement dans mes programmes quelques films plus faibles avant ou après « les gros morceaux » (…) C’est dans la période actuelle que j’ai battu mes records. Le premier a été battu en octobre 1942 avec « Le Voile bleu », nous avons eu au cours de la semaine 26.612 spectateurs. Ce record a encore été dépassé par « L’Éternel retour » qui a fait 26.153 entrées en une semaine de 6 jours. Jamais nous n’avions obtenu ces résultats là avant-guerre ».

Alors que le Rex affiche « Un seul amour » de et avec Pierre Blanchar, les bombardements américains du 27 mai 1944 sur le centre ville détruisent entièrement le cinéma. Le quotidien Le Radical revient sur cette catastrophe qui foudroie près de 2.000 personnes: « C’est le centre même de la cité qui a été touché et il suffit de dire que les bombes sont tombées sur deux immeubles de la Canebière pour fixer aussitôt dans les esprits le tragique de la situation. Marseille a été frappé en plein cœur ».

La reconstruction du Rex après les bombardements de 1944.

Après la Libération, Louis Garnier fait entièrement reconstruire le Rex, toujours sous la direction de l’architecte Eugène Chirié. Le 28 octobre 1947, la nouvelle salle est inaugurée à 21 heures avec la production Pathé « Le Silence est d’or » de René Clair avec Maurice Chevalier. Le hasard fait que deux films de Maurice Chevalier inaugurent le Rex: en 1933 avec « Une Heure près de toi » et donc, à sa reconstruction en 1947, avec « Le Silence est d’or ». Le Rex reconstruit est inauguré par un gala au profit de la Croix-Rouge française et de l’Entraide française, en présence des autorités officielles de la ville et du département.

La Cinématographie française dans son numéro du 27 décembre 1947 évoque le nouveau Rex: « La salle contient 2.000 places assises toutes face à l’écran. Avec ses promenoirs, il peut recevoir facilement plus de 2.500 spectateurs. C’est de loin la plus grande salle de Marseille et une des plus importantes de France. La répartition des places est la suivante: fauteuils d’orchestre 1.000; mezzanine, 500; grand balcon, 500. La salle proprement dite a 40 mètres de profondeur et 28 mètres de largeur, formant un immense vaisseau en forme d’éventail, où toutes les places jouissent d’une visibilité et d’un confort parfait (…) Chaque niveau a ses foyers, ses bars, ses salons de thé, ses dépendances, vestiaires, toilettes, téléphone, etc. (…) Parmi les innovations que l’on peut qualifier d’inconnues dans les cinémas français, citons entre autres, deux salons de thé, trois cabines téléphoniques publiques, les fauteuils biplaces, deux entrées indépendantes et trois sorties de secours indépendantes (…) L’accès par la rue de Rome, de tonalité générale blanche, avec soubassements en marbre noir (…) La caisse placée au centre est équipée avec double distributeurs « Automaticket ». De part et d’autre, de grands panneaux latéraux pour la publicité des films présentés. L’éclairage en tubes de néon de couleurs, formant motif décoratif, autour d’une coupole encastrée, éclairée indirectement (…) La façade de la rue Saint-Ferréol est recouverte de granit rose avec encadrement de métal chromé d’où se détache, éclairé par des tubes au néon, en lettres massives, le nom de l’établissement (…) Le foyer du mezzanine qui domine le vestibule et l’entrée donnant sur la rue de Rome est vaste, dégagé, de proportions harmonieuses, formant un cadre d’une rare élégance. Une grande glace, formée de panneaux verticaux courbes, créé un curieux effet de profondeur et de répétition d’image (…) Les murs de teinte ivoire clairs sont garnis de miroirs rectangulaires encastrés, éclairés indirectement, précédés de quatre lances blanches et or formant un curieux motif décoratif (…) La forme extraponentielle de cet immense vaisseau, c’est-à-dire légèrement arrondi vers la scène, permet à toutes les places d’être face à l’écran. Les murs en sont revêtus de tissu de soie de verre cloutés d’or avec soubassements en marbre. Le plafond uni blanc, formant une grande voussure s’arrondi doucement vers la scène (…) A l’orchestre, comme dans toute la salle, le sol est recouvert d’une épaisse moquette de teinte beige, veinée de marron. Quatre portes y donnent accès et deux sorties de secours indépendantes permettent une évacuation rapide des mille places qui s’y trouvent groupées. La salle monte en pente douce vers l’écran (…) Le mezzanine est bordé par une rangée de loges de corbeille, séparées des autres places par une rampe en tubes chromés reposant sur des motifs de ferronnerie modernes. Les fauteuils s’échelonnent sur une série de gradins séparés en trois sections par de larges dégagements donnant à toutes les places une visibilité très dégagée (…) Nous rencontrons à chaque rangée des fauteuils biplaces, innovation unique en France (…) Une série de loges de baignoire occupe tout le fond du mezzanine, spacieuses et confortables. Ne surplombant qu’en partie seulement le mezzanine, le balcon, d’une pente plus prononcé, comporte 500 places face à l’écran (…) La scène de 12 mètres de large par 7 mètres de profondeur est prête pour tous les spectacles, cinéma, attractions, revues, opérettes, comédies. Les rideaux de scène, en forme de niche, prolongent la ligne de la salle et sont en soie de verre. De couleur rouge cerise, ils sont au nombre de trois : un quatrième doré, précède immédiatement l’écran. Les dépendances comportent une fosse d’orchestre, une dizaine de loges d’artistes, un local pour les musiciens et un autre pour les instruments. L’ensemble de la cabine est placée au fond et au-dessus du balcon. Il est absolument indépendant de la salle et possède son installation propre de protection contre l’incendie (…) Les appareils de projection sont au nombre de quatre. La distance de projection est de 40 mètres et se fait sous un angle de 24 degrés. L’écran, en amiante, a une superficie de 42 m2 soit 7 mètres sur 6″.

Cinéma Rex à Marseille

Cinéma Rex à Marseille

Ci-dessus: la salle du Rex en 1947.

Cinéma Rex à Marseille

Ci-dessus: le foyer de la mezzanine lors de l’inauguration en 1947.

Cinéma Rex à Marseille

Ci-dessus: le foyer de la mezzanine lors de l’inauguration en 1947.

Cinéma Rex à Marseille

Ci-dessus: le foyer en 1947.

Cinéma Rex à Marseille Cinéma Rex à Marseille

Ci-dessus: les plans du cinéma en 1947.

Le Rex mise sur une attention particulière pour ses clients: douze contrôleurs se relaient tandis que vingt-deux ouvreuses habillées de noir et or et portant un élégant pantalon et un casaquin accueillent les spectateurs. A cette équipe viennent s’ajouter les caissières, le personnel de bureau et les accessoiristes. Le prix des places en 1947 est de 60 francs à l’orchestre et au balcon, de 80 francs à la mezzanine et de 100 francs dans les loges et les baignoires. Comme au théâtre, la location est ouverte – uniquement pour des fauteuils dans les loges et les baignoires – à un bureau ouvert tous les jours de 10 heures à midi et de 14 à 18 heures. Le Rex propose trois séances en matinée et une en soirée à 21 heures.

Parmi les nombreux films qui sont joués au Rex et au Pathé-Palace, pour des durées d’une semaine seulement, citons le musical « La Reine de Broadway » de Charles Vidor avec Rita Hayworth et Gene Kelly le 5 novembre 1947, l’hilarant « Copie conforme » de Jean Dréville avec Louis Jouvet le 12 décembre 1947, « Antoine et Antoinette » de Jacques Becker le 1er janvier 1948 ou « Aux yeux du souvenir » de Jean Delannoy avec Jean Marais et Michèle Morgan le 29 décembre 1948. Le film qui établit un record de recettes durant ces premiers mois de réouverture reste « La Belle Meunière » de Marcel Pagnol et Max de Rieux, présenté le 15 décembre 1948 en même temps qu’au cinéma Le Français. Le film réalise 23.001 entrées au Rex et rapporte 3.035.680 francs de recettes. Une forte augmentation du prix des places est effectuée pour ce film: 120 et 180 francs contre 80, 100 et 120 francs d’ordinaire.

Le 10 février 1948, la première mondiale du film « Ruy Blas » de Pierre Billon avec Jean Marais et Danielle Darrieux se déroule à Marseille dans la salle du Rex. Pour fêter l’événement, une soirée de gala est donnée au bénéfice de l’Entraide Française de l’association des prisonniers de guerre, des sinistrés de Brest et des inondés de l’Est.

Le Rex dans le giron du circuit Gaumont.

Le 28 juin 1949, le Rex rejoint le circuit Gaumont à travers une société qui associe la Société Nouvelle des Etablissements Gaumont (S.N.E.G.) et la Société d’Entreprises de Spectacles de Jean Font, un exploitant de salles de cinéma, dont le Castillet et  le Nouveau Théâtre, implantées à Perpignan. Les deux entreprises forment la société Rex-Marseille-Gaumont pour assurer la gérance du Rex et superviser également la programmation du Hollywood. Lorsque l’accord est signé, « Fabiola » d’Alessandro Blasetti, également à l’affiche du Pathé-Palace, enregistre en une semaine 22.896 entrées au seul Rex.

A partir d’octobre 1950, le Rex s’associe au cinéma Le Français, tandis que le Pathé-Palace noue un partenariat avec Les Variétés, Le Cinévog et le Phocéac. La programmation du Rex est désormais essentiellement composée de films qui sortent dans le circuit Gaumont, en particulier ceux joués au Gaumont Palace de Paris. Citons « Cendrillon » des studios Disney le 20 décembre 1950, « Topaze » de Marcel Pagnol avec Fernandel le 21 février 1951, « Caroline chérie » de Richard Pottier avec Martine Carol le 21 mars 1951, « Le Fruit défendu » d’Henri Verneuil avec Fernandel et Françoise Arnoul le 26 novembre 1952, « Le Retour de don Camillo » de Julien Duvivier avec Fernandel le 2 septembre 1953, « Lucrèce Borgia » de Christian-Jaque le 18 novembre 1953, « Les Orgueilleux » d’Yves Allégret le 27 janvier 1954.

En 1955, Louis Font et la Gaumont décident de rénover le Rex. Après une fermeture de cinq semaines, la salle accueille désormais le procédé français Cinépanoramic ainsi que le son stéréophonique Perspecta. Cette nouvelle installation porte à quatre le nombre de salles marseillaises de première vision équipées avec le son stéréophonique magnétique. Le 15 juin, « Une Etoile est née » de Georges Cukor inaugure la salle nouvellement équipée. La presse corporative évalue à 200 millions de francs le chiffre d’affaire du Rex pour l’année 1955, contre 140 millions de francs en 1953. Un million de spectateurs ont poussé les portes du Rex la seule année 1955! Les performances s’enchaînent dans la salle: 29.532 entrées sont comptabilisée pour « Vingt mille lieues sous les mers » de Richard Fleischer la semaine du 5 octobre 1955, 23.600 entrées pour « La Grande bagarre de don Camillo » de Carmine Gallone la semaine du 7 décembre 1955 et 21.179 entrées pour « La Lumière d’en face » de Georges Lacombe avec la jeune Brigitte Bardot dès le 21 mars 1956.

Cinéma Rex à Marseille

Ci-dessus: l’orchestre du Rex en 1956.

En 1956, la Twentieth Century-Fox organise au Rex une présentation corporative du procédé Cinémascope 55MM. Quelques temps plus tôt, le même studio organisait cette présentation pour les exploitants français dans des établissement en province – au Fémina à Bordeaux et au Broglie à Strasbourg – ainsi que dans la salle du Normandie sur les Champs-Elysées à Paris. Le Cinémascope 55MM consiste à utiliser les images tournées en 55 MM pour les réduire, au cours du tirage, à un positif normal de 35 MM. Si l’amélioration de la projection Cinémascope est nette avec ce procédé, celui-ci ne dure qu’un temps et concerne, parmi d’autres films, les comédies musicales « Le Roi et moi » de Walter Lang et « Carousel » de Henry King,

La vie bat son plein au Rex comme ce mardi 11 septembre 1956 quand son dirigeant M. Font organise une soirée de gala pour la première mondiale du film « Les Promesses dangereuses » de Jean Gourguet à laquelle assistent les exploitants locaux ainsi que l’acteur marseillais Rellys et la chanteuse Maria Candido qui, selon la presse locale, tient à être présente malgré un récent accident de voiture aux environs de Vichy.

Les années 1950 sont les années fastes du Rex avec de nombreux succès à l’affiche comme « La Mousson » de Jean Negulesco avec Lana Turner et Richard Burton qui attire 25.602 spectateurs la semaine du 26 septembre 1956, « La Chatte sur un toit brûlant » de Richard Brooks avec Elizabeth Taylor le 25 février 1959, « Babette s’en va-t-en guerre » de Christian-Jaque avec Brigitte Bardot le 30 septembre 1959, « Les Quatre cents coups » de François Truffaut le 14 octobre 1959 ou bien « Orfeu negro » de Marcel Camus le 4 novembre 1959.

Après quelques travaux d’embellissement, le Rex accueille sur son écran, et pour plusieurs semaines d’exploitation, les mythiques superproductions tournées en 70MM telles « Exodus » d’Otto Preminger avec Paul Newman le 27 septembre 1961, « Le Cid » d’Anthony Mann avec Charlton Heston le 20 décembre 1961, « La Fayette » de Jean Dréville le 21 février 1962, « Le Roi des rois » de Nicholas Ray le 10 avril 1962, « Les 55 Jours de Pékin » du même réalisateur avec Ava Gardner le 16 octobre 1963 et « Les Drakkars » de Jack Cardiff le 29 avril 1964.

Ci-dessus: « Le Roi des rois » de Nicholas Ray à l’affiche du Rex le 10 avril 1962

Ci-dessus: « La Guerre des boutons » d’Yves Robert à l’affiche du Rex et du Français dès le 19 décembre 1962.

Cinéma Rex à Marseille

Ci-dessus: façade du Gaumont Rex en 1965.

Ci-dessus: « Le Clan des Siciliens » d’Henri Verneuil à l’affiche du Gaumont Rex le 19 décembre 1969.

Une grande première est organisée au Rex pour la présentation en 70MM du film d’Henry Hathaway « Le Plus grand cirque du monde ». Organisée sous le patronage de la mutuelle des journalistes professionnels de la presse quotidienne marseillaise, le Rex, pour la soirée inaugurale, décore son hall sur le thème du cirque, quatre clowns s’emploient également dans la salle à recréer l’ambiance du film.

Les superproductions et les productions françaises défilent sur l’écran du Rex comme « Le Tonnerre de Dieu » de Denys de La Patellière avec Jean Gabin le 6 octobre 1965, « Viva Maria ! » de Louis Malle avec Brigitte Bardot et Jeanne Moreau le 26 janvier 1966, « Paris brûle-t-il ? » de René Clément le 16 novembre 1966, « La Canonnière du Yang-Tsé » de Robert Wise avec Steve McQueen et Candice Bergen le 5 avril 1967, « On ne vit que deux fois » de Lewis Gilbert avec Sean Connery le 4 octobre 1967 ou le triomphal « Le Livre de la jungle » des studios Disney le 11 décembre 1968.

Le Gaumont Rex transformé en cinéma de trois salles.

Si 1969 est l’année de la reprise au Rex de « Autant en emporte le vent » de Victor Fleming « gonflé » en 70MM – qui réunit 46.414 spectateurs en cinq semaines, le véritable événement reste, pour la première du film au Rex et sous les caméras de Gaumont-Actualités, la venue le 18 décembre des trois stars du polar d’Henri Verneuil « Le Clan des Siciliens »: Jean Gabin, Lino Ventura et Alain Delon.

Cinéma Gaumont Rex à Marseille

Ci-dessus: façade du Gaumont Rex, après les travaux de 1971.

Cinéma Gaumont Rex à Marseille

Ci-dessus: façade du Gaumont Rex en 1971.

Cinéma Gaumont Rex à Marseille

Ci-dessus: croquis de la salle 1 du Gaumont Rex en 1971.

Cinéma Gaumont Rex à Marseille

Ci-dessus: la salle 2 du Gaumont Rex en 1971.

Cinéma Gaumont Rex à Marseille

Ci-dessus: la salle 3 du Gaumont Rex en 1971.

A l’heure où les grandes salles de cinéma sont divisées en complexes multisalles en vue d’accueillir plus de films, le Rex ne déroge pas à la règle et subit une transformation durant le printemps 1971. L’architecte Georges Peynet, au lendemain de la dernière projection du film de Jean-Paul Rappeneau « Les Mariés de l’an II » le 16 mai 1971, entame ainsi la restructuration du cinéma mono-écran en un complexe cinématographique de trois salles.

Les trois écrans du Gaumont Rex sont inaugurés le 8 novembre 1971. Un  cocktail, organisé par la S.N.E.G. et son directeur général Roger Sallard, voit défiler, entre autres, le maire Gaston Defferre, le cinéaste Pierre Tchernia ainsi que Robert Enrico et son comédien Guy Marchand venus présenter « Boulevard du rhum ». Le Film français du 12 novembre 1971 revient sur le nouveau Gaumont Rex: « Pour permettre une gestion qui correspond mieux aux besoins de la clientèle actuelle, la direction de la S.N.E.G. a demandé à son architecte Georges Peynet de créer trois salles dans l’ancien volume du Rex qui comprenait un orchestre et deux balcons. La prolongation du premier balcon est devenue l’orchestre de la salle Rex 1 qui, avec le second balcon de l’ancienne salle, permet d’accueillir 900 spectateurs. Les Rex 2 et 3 ont été implantés dans l’orchestre de l’ancienne salle et sont desservis par un même foyer reliant la rue de Rome et la rue Saint Ferréol. L’accès du Rex 1 se fait à travers un élégant foyer doté d’un bar confortable. La salle a été décorée, sur les murs de tissu corail qui se prolonge en rideau sur la scène, dégageant un écran de 11 m sur 5m. La cabine de projection équipée de projecteurs mixtes 35/70mm a été dotée d’une amplification moderne transistorisée apte à reproduire tous les enregistrements sonores magnétiques ou photographiques dans des conditions optimum de qualité. Le Rex 2 a été conçu dans des tons vifs. Sur une moquette bleue électrique se détachent 400 fauteuils recouverts de velours noir. Les murs et le rideau de scène, dégage un écran de 86 sur 3,50 m. Le Rex 3, la plus petite salle, contiguë au Rex 2 est partiellement gradinée et compte 200 fauteuils. L’ensemble de ces trois salles est climatisé. Le renouvellement et le conditionnement de l’air ont été largement calculés pour un meilleur confort. Un jalonnement lumineux et coloré conduit le spectateur dans la salle où passe le programme qu’il désire voir. Le fléchage lumineux correspond à la couleur de son billet ».

Si le Gaumont Rex réussit à maintenir un grand confort qui lui garantit une fréquentation stable durant une dizaine d’années, il ne résiste cependant pas à la période de crise des salles de cinéma qui s’installe dès le début des années 1980. En plus de ce phénomène, le centre de Marseille est progressivement déserté par les spectateurs qui fuient une environnement où l’insécurité grandit. Enfin, les combinaisons de sorties s’élargissent sur les écrans de la ville brisant l’exclusivité que pouvaient bénéficier certaines salles. A titre d’exemple, le film de Patrice Leconte « Les Spécialistes » sort simultanément dans quatre salles de Marseille: au Capitole, au Pathé Bonneveine, au Pathé Madeleine et enfin au Gaumont Rex.

Après plus de cinquante années de projections de film sur son écran, le règne du Rex prend tristement fin le 2 juillet 1985, à l’issue d’une ultime séance. Cette décennie voit la fermeture d’autres grands cinémas marseillais du centre: le Hollywood et l’Odéon en 1987, le Pathé en 1988,

Remerciements: M. Thierry Béné
Documents: La Cinématographie française, Le Film français, Gallica-BnF.